L’hypocrisie américaine des « Droits de l’Homme », par Todd E. Pierce

Source : Todd E. Pierce, Consortium News, 27-07-2017

Bien avant l’arrivée de Trump à la présidence, le gouvernement américain se moquait déjà des « droits de l’homme », condamnant les abus commis par les États adverses, mais gardant le silence sur les crimes commis par les agents américains ou leurs alliés, explique Todd E. Pierce.

Le secrétaire d’État Rex Tillserson envisagerait de fermer le Bureau de la justice pénale internationale (Office of Global Criminal Justice), une petite agence au maigre budget de 3 millions de dollars par an, affiliée au département d’État.

D’après son site web, le bureau « émet des recommandations au Secrétaire d’État […] sur des sujets liés aux crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocides ». Il « coordonne également les positions du gouvernement américain par rapport aux cours internationales et mixtes poursuivant actuellement des personnes responsables de génocides, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité – non seulement les crimes commis en ex-Yougoslavie, au Rwanda, au Sierra Leone et au Cambodge – mais également au Kenya, en Libye, en Côte d’Ivoire, au Guatemala et partout ailleurs dans le monde ».

Le bureau déploie aussi « une gamme d’outils diplomatiques, légaux, économiques, militaires et de renseignement pour contribuer à faire connaître la vérité, juger les responsables, protéger et venir en aide aux victimes, permettre la réconciliation, prévenir les atrocités, et établir l’état de droit ».

D’après le New York Times, les défenseurs des droits de l’homme ont pris cette proposition comme un exemple de « l’indifférence de l’administration Trump face aux droits de l’homme en dehors de la Corée du Nord, de l’Iran ou de Cuba ». Les militants pour les droits de l’homme disent aussi que fermer le bureau « entraverait les actions pour faire connaître les atrocités et amener les criminels devant la justice ». Newsweek signalait, toutefois, que l’administration Obama avait semble-t-il envisagé également de diminuer les moyens alloués au bureau et de le fusionner avec une autre agence.

Selon l’article de Newsweek, le bureau proposait des récompenses pour des informations sur les « criminels de guerre, et s’est élevé contre des dictateurs brutaux, parmi lesquels le président du Soudan Omar al-Bachir et le président syrien Bachar El Assad ». Mais l’article remarquait aussi qu’il « n’a pas critiqué l’Arabie saoudite ni les autres alliés des Américains ayant de tristes bilans en matière de droits de la personne ».

Le même article de Newsweek explique que le Bureau a été créé suite au vote de la loi contre les crimes de guerre de 1996. Cette loi définit un crime de guerre comme une « grave violation » de la Convention de Genève. La loi contre les crimes de guerre, codifiée comme le paragraphe 2441 de l’article 18 du Code américain, définit comme une infraction, « que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur des États-Unis » le fait de commettre un crime de guerre, s’il est un membre des forces armées des États-Unis ou un Américain de nationalité. La journaliste de Newsweek, Nina Burleigh, indique justement que lorsque « la CIA a commencé à utiliser la torture au début de la guerre d’Irak et plus tard, à emprisonner pour des périodes indéterminées et sans procès des gens à Guantanamo, les États-Unis violaient ouvertement la Convention [de Genève NdT] « . Comme noté plus haut, le Bureau de la justice pénale internationale a dénoncé le président syrien Bachar El Assad. Mais il semble n’avoir eu aucun problème avec le gouvernement syrien lorsque les responsables de la CIA ont auparavant sous-traité la torture au gouvernement syrien dans ce qui s’appelait guerre mondiale contre le terrorisme.

Un symbole d’hypocrisie

Si jamais une agence gouvernementale a symbolisé l’hypocrisie américaine, c’est bien le bureau de la justice pénale internationale. Il n’est pas difficile de comprendre, lorsqu’on déchiffre l’énoncé de sa mission, que « partout ailleurs dans le monde » ne signifie pas « chefs des nations alliées des États-Unis ».

L’hypocrisie ne s’arrête pas là : tout en ayant une agence gouvernementale chargée de « contribuer à faire connaître la vérité, juger les responsables, protéger et aider les victimes, permettre la réconciliation, prévenir les atrocités et établir l’État de droit », le ministère américain de la Justice agit à l’exact opposé en appliquant la loi sur les crimes de guerre elle-même.

Cette hypocrisie est visible dans une série d’affaires qui commence avec le jugement rendu en 2006 par le tribunal de district de D.C. dans l’affaire Rasul c. Rumsfeld. Comme l’explique le professeur en droit Steve Vladeck, interrogé au sujet de cette affaire dans un article datant de 2006, « La torture ou d’autres formes de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants entrent-ils dans le cadre des fonctions d’un employé du gouvernement ? Au moins de façon plutôt surprenante, … la réponse à cette question est ‘oui’ ».

Depuis 2006, le principe auquel Vladeck fait référence dans le jugement Rasul c. Rumsfeld est devenu un principe séculaire de la jurisprudence américaine, et un symbole de l’hypocrisie américaine lorsqu’il se compare aux autres déclarations américaines sur la torture et les crimes de guerre, comme en témoignent les nombreuses affaires jusqu’à présent.

La façon dont ces jugements sont rédigés élimine toute illusion quant à l’opposition du gouvernement des États-Unis aux crimes de guerre lorsque ceux-ci sont commis par « un membre des forces armées des États-Unis ou un Américain de nationalité », puisque la loi leur a conféré l’impunité de l’enfreindre. Le Président Obama l’a exprimé dans sa célèbre déclaration selon laquelle les membres de la CIA qui sont coupables de torture ne seraient pas tenus pénalement responsables pour des agissements définis comme « crimes de guerre », c’est-à-dire pour torture. Pas surprenant, donc, que Donald Trump puisse si facilement dire qu’il croit que la torture fonctionne, puisque c’est ce que beaucoup de responsables de la CIA continuent de dire.

Ne pas poursuivre en justice les crimes de guerre est en soi un crime de guerre selon le droit international, et pour reprendre les mots du « Bureau de la justice pénale internationale », est l’opposé de sa mission de « contribuer à faire connaître la vérité » et de « juger les responsables ». Mais en allant encore plus loin, le gouvernement américain a conçu une procédure légale afin de priver les victimes de protection et d’assistance. C’est exactement ce dont sont accusés par le Bureau de la justice pénale internationale les chefs des pays en lice pour un changement de régime organisé par les USA .

Protection des tortionnaires

La question soulevée lors d’une série de procès impliquant le crime de guerre de la torture est celle de savoir si les prisonniers de Guantanamo qui furent les victimes des responsables du gouvernement américains peuvent poursuivre ces responsables pour réparations civiles. Les tribunaux ont cependant considéré que les responsables du gouvernement bénéficiaient de l’immunité pour les actes qu’ils avaient commis et étaient poursuivis pour torture, laquelle entrait « dans le cadre des fonctions de leur emploi ». Ces jugements se basent sur des procédures basées sur la loi Westfall, bien trop complexe pour être expliquée ici, mais qui est utilisée pour annuler la loi contre les crimes de guerre.

Typique du verbiage que l’on trouve dans les jugements du tribunal : « de nombreux détenus ont été l’objet d’abus, dont ’rasage forcé, isolement cellulaire, privation de sommeil, déplacement en fers et chaînes, lunettes noircies et cache-oreilles’, et interruption des… pratiques religieuses », même une fois que les CSRT [Tribunaux d’examen du statut de combattant] avaient jugé qu’ils n’étaient pas des combattants ennemis… Le tribunal a estimé que les actions des accusés étaient « du type de ce pour quoi ils étaient employés » quand bien même le traitement abusif avait eu lieu lorsque plusieurs des plaignants « n’avaient aucune valeur en terme de renseignement ».

Le tribunal soulignait que « bien que la justification du renseignement se soit évaporée, la nécessité de maintenir un environnement de détention ordonné demeurait après l’affranchissement des CSRT ». Le tribunal poursuivait : « Autorisée ou non, la conduite était forcément à prévoir car maintenir la paix, la sécurité et la sûreté dans un endroit comme Guantanamo Bay est une affaire stricte et difficile ».

C’est ce que disaient les militaires allemands et les officiers de la Gestapo des prisons où ils travaillaient lors de leur procès pour crimes de guerre à Nuremberg. La plus commune de leurs défenses légales contre les accusations de crimes de guerre était que les accusés ne faisaient que suivre « les ordres venant d’en haut », en Allemand, « Befehl ist Befehl », les ordres sont les ordres, une tactique connue désormais comme la défense de Nuremberg. En d’autres termes, la précédente génération de criminels de guerre invoquaient l’argument selon lequel leurs actions entraient « dans le cadre de leur emploi ». Cette défense a échoué à Nuremberg pour les Allemands, mais elle fonctionne à présent pour les responsables américains dans les tribunaux américains.

La fermeture du Bureau de la justice pénale internationale ne fait qu’officialiser ce qui est la politique américaine depuis le 11 septembre. Si l’hypocrisie est le tribu que le vice paye à la vertu, alors le gouvernement américain a couvert le vice de tribu avec l’hypocrisie du Bureau de la justice pénale internationale. S’il ferme, cela signifie que nous ne paierons même plus le tribu au vice; en place, nous adhérerons pleinement au vice faisant preuve de notre « authenticité ». Et ce pourrait être le seul exemple où le « Bureau de la justice pénale internationale » remplit sa mission de « faire connaître la vérité ».

Le Major retraité Todd E. Pierce est un ancien avocat de la défense du procureur général des Armées au centre de détention de Guantanamo Bay, Cuba.

Source : Todd E. Pierce, Consortium News, 27-07-2017

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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