Lorsqu’un cosmologiste défie l’intelligence artificielle : la nouvelle quête de Jean-Pierre Petit

PORTRAIT – Jean-Pierre Petit est ancien directeur de recherche au CNRS, astrophysicien, cosmologiste. Multicartes, professeur aux Beaux-Arts, dessinateur de rue en Italie, auteur de la célèbre série de BD scientifiques “Anselme Lanturlu”, père de la technologie de la magnétohydrodynamique, dite MHD… l’homme aime à se qualifier de “savanturier”. Il a beaucoup voyagé tout au long de son éclectique carrière, en quête de science.

On retient notamment dans son parcours de globe-trotter ses escapades outre-Atlantique, dont l’incroyable visite des laboratoires de recherche du Département de l’Énergie (et de la chose militaire…) des États-Unis, en 1976, à Sandia (Nouveau-Mexique).

Entre hasard, culot et chance incroyable, Jean-Pierre Petit, de son vrai nom Jean-Pierre Lévy, parvient à observer le premier prototype de ce qui sera nommé plus tard la Z-machine (ou Z-pinch), alors placé sous “secret-défense”.

Chercheur atypique

Ce système, qui se perfectionnera jusqu’à nos jours dans l’usage des rayons-X, est capable de délivrer en un temps infiniment court des ampères par millions et, par conséquent, des températures très élevées, comparables à celles du soleil.

Petit, chercheur atypique, ne supporte pas les carcans administratifs qui l’enferment, souvent à cause de ses prises de position avant-gardistes. Son refus de la collaboration avec la grande muette a aussi été un frein à sa carrière : l’armée lui jouera quelques tours, comme ce fut le cas pour l’un de ses amis, le génial mathématicien Grothendieck.

Le caractère du bonhomme n’est pas facile non plus… Il ne s’en laisse pas conter, “imbuvable”, diront ses détracteurs. Ce sont pourtant bien eux qui boivent la tasse ces dernières années, notamment dans le domaine de la cosmologie, l’autre terrain de jeu de Petit.

Aux côtés de son mentor Jean-Marie Souriau (décédé en 2012), surdoué français, pionnier de la géométrie symplectique, il a affûté durant des dizaines d’années ses armes mathématiques en la matière. Jusqu’à être prêt à soutenir lui-même le constat suivant : depuis des dizaines d’années, les cosmologistes n’apportent rien de neuf sous le soleil et sous les milliards d’autres étoiles de notre galaxie.

Les trous noirs n’existeraient pas

Ils ne sont bons qu’à agiter des concepts nébuleux qui ne sont pas vérifiés par l’expérience : la théorie des cordes, par exemple, déclinée à toutes les sauces dans la presse scientifique vulgarisée depuis plus d’un quart de siècle, mais terriblement aride dans le champ strict de la science démontrée.

Le mathématicien Souriau exprimait, en privé, cela d’une façon bien plus directe :

« La physique théorique, qui est devenue une physique sans expérience et une mathématique sans rigueur, a fait que la science est devenue un vaste hôpital psychiatrique où ce sont les fous qui ont enfermé les autres. »

Petit repart donc en voyage, avec la ferme intention de reprendre la belle histoire de la cosmologie qui trouve. Et il retourne en premier lieu dans le passé, aux prémices de l’astrophysique et de la physique théorique, à la rencontre des Bernhard Riemann, Georges Lemaître, Edwin Hubble, Alexandre Friedmann, Karl Schwarzschild et Albert Einsten…

Et en refaisant ses gammes, il découvre que certains calculs du physicien et astrophysicien Schwarzschild comportent une erreur, reprise ensuite par les scientifiques qui vont progressivement mettre au point la théorie des trous noirs. Jusqu’à en faire naître une fausse théorie, selon Petit : à ses yeux, ces objets célestes n’existeraient pas comme notre époque l’entend.

Une théorie qu’il détaille dans une série de vidéos pédagogiques publiées sur YouTube, qui exposent par ailleurs son modèle cosmologique “Janus”, accompagné en prime d’une passionnante revue de l’histoire de l’astrophysique.

Janus est un nouveau modèle cosmologique, issu en partie de la correction de cette “erreur originelle”. Celui-ci est présenté par Jean-Pierre Petit non seulement comme une alternative à la théorie des cordes, mais aussi comme un modèle vérifiable par l’observation et l’expérience.

Un système qui aurait, en somme, l’ambition de réunir les différentes théories de la physique et d’en dépasser les contradictions. Qui permettrait de comprendre où est passée la « masse manquante » de l’univers, et d’envisager correctement sa géométrie.

Dans les pas de Sakharov 

Jean-Pierre Petit marche en fait dans les pas du russe Andreï Sakharov, prix Nobel de la paix russe, physicien et père de la bombe H devenu militant des droits de l’homme. Les deux hommes n’ont jamais pu se rencontrer, ils se sont ratés de peu à Moscou.

Sakharov fut le précurseur des modèles bimétriques, qui visent à répondre à cette question : “Pourquoi y a-t-il plus de matière que d’antimatière” dans l’univers ? Pourquoi dans cette configuration et pas dans une autre ? Mais aussi d’imaginer si “deux flèches du temps peuvent naître de façon simultanée”. 

L’explication pourrait être : parce qu’il y a des univers “jumeaux”, qui conféreraient des qualités “diverses” à la matière, notamment en ce qui concerne les masses atomiques, positives-négatives. Avec la possibilité d’entrevoir en parallèle une autre lecture du temps, double et duale. D’où, probablement, le nom choisi par Jean-Pierre Petit pour baptiser son modèle : Janus, dieu romain aux deux visages qui regarde de deux côtés opposés.

Ces aspects, certes complexes, pourraient être pourtant les clefs du futur de l’astrophysique et de l’innovation technologique : résoudre ces problèmes reviendrait notamment à maîtriser l’inversion des masses, autrement dit la gravité.

Et grâce à cette maîtrise, il deviendrait alors possible de faire voler, par exemple et pour de vrai, la structure massive de béton du film Interstellar : celle qui constitue les bâtiments du laboratoire du professeur Brand, incarné par Michael Caine.

Souvenez-vous. Ce dernier imagine comme plan de sauvetage de l’humanité de faire décoller cette énorme structure afin de la rendre habitable ensuite dans l’espace. Pour cela, il doit révolutionner la physique dans le but de faire fi de la gravité, sans efforts. Mais cherchant toujours dans la même direction, s’entêtant, il n’y parvient jamais.

Devant le tableau noir

C’est finalement la jeune chercheuse Murphy (Jessica Chastain à l’écran) qui s’écrie “Eurêka !” et qui va sauver une partie de l’humanité. Mais comment a-t-elle fait ?

Dans le film réalisé par les frères Nolan, une interaction avec son père lui donne la solution. Ce dernier, par le truchement des mouvements de l’aiguille d’une montre, au-delà de la barrière du temps (et de l’espace) symbolisée par la bibliothèque d’une chambre de petite fille, lui transmet une donnée mathématique qui va offrir aux humains les secrets de la matière.

Des secrets qui ne se cacheraient pas, selon Petit, derrière quelque trou noir comme dans le film. Mais qui seraient accessibles à condition d’oublier certains mauvais postulats de barons de la cosmologie qui ne prennent pas la peine de se remettre en question.

En résumé : Petit serait un révolutionnaire. Et les aristocrates de la discipline, tels les chercheurs et scientifiques Thibaut Damour ou Françoise Combes par exemple, campés dans des schémas de recherche stériles, n’auraient pas franchement envie de passer la main.

Ils demeureraient bien installés dans leur réussite, hélas peu enclins à tout rejouer sur un coup de calcul à l’aide d’une craie sur un tableau noir, sorte de combat de rue scientifique comme Petit aime en proposer, tel un caïd de la science de 85 ans révolus !

Et si Petit avait raison ?

Invités à une conférence à Paris le 13 janvier dernier, où Petit résume sa théorie Janus, tous déclinent. Les portes de l’Académie des sciences et plus largement de la presse scientifique mainstream sont fermées. Souvenons-nous de ce qui s’est produit pour le professeur Montagnier dans le domaine de la virologie, à propos de l’origine du Sras-CoV 2. Et si Petit avait simplement raison ?

Et si sa proposition d’une équation “à double champ” pour expliciter la marche de l’Univers, de deux Univers en fait, était la bonne ? Et si celle-ci permettait à court terme de créer des machines capables de visiter d’autres galaxies grâce à une meilleure compréhension de la structure, donc de la géométrie de l’Univers ? Beaucoup de “si” ? Encore faudrait-il pouvoir vérifier les hypothèses et que ses contempteurs, devenus désormais adversaires (avant de reconnaître bientôt son succès ?) acceptent de… travailler et mettre la main à la pâte eux aussi.

Jean-Pierre Petit a pour caractéristique d’esquiver les embûches. Face à un blocage, il ne s’acharne pas, il ne prend pas le temps de se taper le nez dans la porte. Il bifurque, s’adapte et va au-delà : c’est cela qui l’a sans doute sauvé lorsque à plusieurs reprises dans sa carrière, les revers ou les drames de la vie l’ont frappé.

Science coopérative

Une nouvelle idée originale lui permet d’amener le débat sur le devant de la scène scientifique : mobiliser les personnes capables, avec un niveau basique en mathématique (a minima première, deuxième année math Sup/Spé ou même licence de mathématique, ils sont nombreux), de saisir les premiers jalons de son raisonnement.

C’est un succès : les ingénieurs sachant calculer, les étudiants sachant réfléchir, mais aussi des X, des  universitaires, des techniciens… tous refont le chemin et soutiennent la démarche. Ils aimeraient simplement connaître la suite.

Une pétition est constituée pour aider Jean-Pierre Petit à accéder au débat public et à la confrontation d’idées et de calculs, ce qui n’a pas encore eu lieu. Elle connaît un franc succès. Petit à petit, Petit tisse sa toile, réussit à publier des articles importants au sein de revues à comité de lecture.

Quel adversaire voudrait prendre le risque de se confronter à lui ? Et bien, voici un nouveau prétendant : l’Intelligence Artificielle (IA), incarnée par le fameux ChatGPT*.

*Que veut dire ChatGPT ? “Chat” veut dire “Discussion” en anglais, à propos des échanges de messages instantanés sur internet. “GPT” est un acronyme qui signifie “Generative Pre-Trained Transformer”, soit “Transformateur génératif pré-entraîné”. Le principe ? Pouvoir discuter non pas avec d’autres internautes en ligne mais avec une “Intelligence Artificielle” (IA) qui, en quelque sorte, se comporterait “comme un être humain”.

Petit, qui s’est créé manifestement un compte ChatGPT chez Open AI, pose des questions et attend des réponses. Qui viennent. Il a décidé de diffuser ces échanges sur son site personnel.

Extrait du premier échange, round 1 :

JPP : Pensez-vous que l’astrophysique, la cosmologie et la physique théoriques soient en crise ? 

IA : En tant qu’IA, je n’ai pas de croyances personnelles, mais je peux vous dire qu’il y a actuellement des défis dans les domaines de l’astrophysique, de la cosmologie et de la physique théorique. 

Soyons clairs, l’IA n’a pas (encore ?) le niveau. Elle tâtonne, élude les questions, passe à autre chose. Mais attention, il y a ici un aspect qu’il ne faut pas oublier.

Si Petit semble mettre KO l’Intelligence Artificielle sur l’ensemble des thématiques qu’il aborde, ou tout au moins la remet à sa place, en lui montrant ses contradictions et limites, cette dernière est censée retenir les données qui lui sont transmises pour les faire siennes. Et ainsi progresser, comme pourrait le faire un esprit humain.

Les détracteurs de l’IA affirment qu’il ne s’agit là que d’un ordinateur perfectionné qui singe une intelligence. Peu importe, ce qui compte ici est de savoir si ChatGPT retient les données et peut les restituer à d’autres personnes. Théoriquement, oui : ce que vous confiez à ChatGPT, il peut le donner à autrui, sans aucune confidentialité.

Admettons par conséquent que cela concerne des calculs et découvertes en astrophysique de premier choix. Que se passerait-il ? Jean-Pierre Petit, lors d’un deuxième échange avec l’IA (round 2), pose une question sur son modèle après avoir soufflé la réponse, et obtient :

IA : En ce qui concerne le confinement des galaxies, le modèle standard et le modèle Janus proposent des hypothèses différentes pour expliquer ce phénomène. Comme vous l’avez mentionné, le modèle standard suppose l’existence d’un halo de matière sombre, dont les propriétés sont déduites de manière ad hoc, pour expliquer la formation et la stabilité des galaxies. D’un autre côté, le modèle Janus suppose que le confinement des galaxies est dû à un environnement de masse négative qui repousse la masse positive de la galaxie, et le profil de densité est déterminé à partir de solutions couplées de deux équations de Vlasov. 

D’un point de vue de la cohérence mathématique, le modèle Janus semble donc être plus solide que le modèle standard, car il repose sur des équations de la physique fondamentale pour expliquer la distribution de la matière dans les galaxies et leur environnement. Cependant, pour juger de la pertinence de chaque modèle, il est également nécessaire de considérer les résultats observables et les prédictions qu’ils font. 

Cela n’est ni une preuve, ni un début de confirmation. Cela est, en revanche, le début d’un débat qui dépasse les étiquettes pour se fonder sur les faits scientifiques. Le reste de l’échange est aussi fascinant que déstabilisant !

Pour la première fois de l’histoire de l’humanité, une théorie scientifique de premier ordre pourrait être reconnue non pas par un parterre de scientifiques un peu trop assis sur leurs lauriers, mais par une entité numérique distante.

Une IA qui aurait fait preuve de plus d’esprit scientifique, après avoir “pris la peine” de confronter des idées et des théorèmes et d’aller au-delà des croyances et des réputations. Pour ensuite faire faire le tour du monde à un modèle cosmologique que plus personne ne pourrait ignorer. Une forme d’odyssée. Pour le bonheur de la science ?

Jean-Pierre Petit, en revanche, s’inquiète. Il rappelle Isaac Asimov et ses lois de la robotique en mettant en garde contre les progrès visiblement trop rapides de l’IA :

Je n’aurais jamais cru qu’une intelligence artificielle puisse simuler à ce point le discours d’un humain. Quand on mesure les performances de ce générateur de langage alors que l’outil n’en est qu’à ses débuts, il est hors de doute, en le couplant à un synthétiseur de parole, voire un jour d’images, que l’illusion ira rapidement croissant. Autant les services positifs que pourrait fournir une IA aux êtres humains présentent une large palette, autant il est fort peu probable que ses concepteurs l’aient développée dans ce but. Dans ces conditions c’est une redoutable destructrice d’emplois (…), de manipulation et d’infantilisation des individus et des masses humaines. Son caractère immédiatement ludique fait qu’il est d’ores et déjà illusoire d’envisager un moratoire et un contrôle quelconque de son développement, comme suggéré par Elon Musk et certains scientifiques. Comme disent les Anglo-Saxons : « Le chat est hors du sac ».

Après réflexion, j’irai même plus loin. L’apparition de l’informatique a été une révolution comparable à l’invention de l’imprimerie. L’apparition de l’intelligence artificielle peut être, elle, comparée à l’invention de l’écriture et du graphisme, en tant que moyen de manipuler des formes et des symboles, l’exercice allait jusqu’à la manipulation de symboles logiques et mathématiques. Le stade suivant consistera à coupler cette IA avec a technologie des robots. Il sera alors possible de doter ceux-ci de la fonction de reproduction, de la faculté de pouvoir réer des clones d’eux-mêmes, voire d’améliorer ceux-ci, et de la faculté de se réparer, ce qui leur conférera des durées de vie illimitées.

Dénués de besoins, de désirs, de revendications, ignorant l’injustice, n’ayant pas besoin de sommeil ou de repos, les robots intelligents de l’avenir s’imposeront pour remplacer les hommes dans toutes les tâches et travaux dont ceux-ci se chargent encore. (…)

Asimov avait décrit une telle évolution, où une oligarchie d’humains se voyait servie par une armée de robots. Des hommes qui lutteront alors désespérément pour prolonger vie et jeunesse et se retrouveront de manière inéluctable confrontés à l’ultime question, celui de leur rôle dans l’univers.

Science sans conscience…

Source : Lorsqu’un cosmologiste défie l’intelligence artificielle : la nouvelle quête de Jean-Pierre Petit | FranceSoir

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