Macron ferme des écoles rurales pour doubler les classes de CP et de CE1 des zones prioritaires

Pour répondre aux besoins qu’engendre le doublement de 5.600 classes dans les zones prioritaires prévu pour la rentrée prochaine, de nombreuses académies font appel aux instituteurs d’établissements ruraux. Conséquence : des centaines d’écoles s’apprêtent à fermer sur tout le territoire. Le député LFI François Ruffin réagit pour Marianne.

En janvier, le gouvernement a annoncé créer 3.881 postes d’instituteurs pour la rentrée 2018. Mais le compte n’y est pas pour combler les besoins de ces 5.600 nouvelles classes, qui viendront s’ajouter aux 2.500 dédoublées l’an dernier. Alors, pour préserver cette promesse emblématique de la campagne d’Emmanuel Macron, les directeurs d’académie piochent dans les effectifs des écoles dont le nombre d’élèves est en baisse, faute de moyens supplémentaires permettant des ouvertures de postes. Pour François Ruffin, député France insoumise de la Somme, le gouvernement s’adonne à du « bricolage », « faute de vouloir mettre des moyens », pour pouvoir préserver malgré tout une mesure « trop ambitieuse ». Le risque de cette « improvisation », selon lui ? La création d’un sentiment de « concurrence entre les territoires. » Interview.

Marianne : Vous participiez ce lundi à l’opération « Nuit des écoles » qui consistait à bloquer les établissements dont les classes sont menacées de fermeture par la nouvelle carte scolaire. Qu’est-ce qui vous révolte dans les arbitrages des différentes académies ?

François Ruffin : Partout en France, le point commun de ces arbitrages c’est que l’on déshabille l’un pour habiller l’autre. Emmanuel Macron a mis en avant une mesure forte pendant sa campagne. Celle de doubler les classes de CP et de CE1 des zones prioritaires (REP et REP+) pour permettre à ces élèves de pouvoir étudier dans des classes aux effectifs réduits. Donc dans de meilleures conditions. Une belle idée selon moi. Candidat aux législatives, je m’étais même engagé à voter « pour » si j’étais élu. Mais le problème, c’est qu’aucun moyen n’est dédié à la réalisation de cette mesure. Afficher des ambitions, trop d’ambition, sans mettre de moyens ce n’est pas sérieux.

La création de 3.881 postes annoncée par le ministère de l’Education nationale ne vous semble donc pas suffisante ?

Elle ne couvre même pas les besoins. Du coup le gouvernement se lance dans du bricolage, on gratte tous azimuts. J’ai entendu Jean-Michel Blanquer (ministre de l’Éducation, ndlr) répondre à une question d’un parlementaire Les Républicains sur la question en disant que les départements ruraux compteront à la prochaine rentrée « plus de professeurs que d’élèves ». Mais on ne fait pas de politiques éducatives avec des moyennes !

Il faut avoir le courage de donner des moyens inéquitables aux établissements pour rétablir une égalité des chances. Dans le département de la Somme, nous avons le deuxième plus haut taux en terme de difficultés de lecture. Et nous sommes parmi les territoires qui envoient le moins de monde au bac. Pourtant, on a voulu nous supprimer 63 classes. Même si on a réussi, par la lutte, à ramener ce chiffre à 38 classes menacées aujourd’hui, ce n’est pas suffisant. Ce n’est pas en nous mettant des bâtons dans les roues qu’on permettra la réussite de nos enfants.

« Le gouvernement se lance dans le bricolage »

Le ministre de l’Éducation justifie cette réorganisation par la baisse de la démographie de certaines zones, dont votre département fait parti. C’est un argument qui vous paraît absurde ?

Non, je ne nie pas la baisse du nombre d’élèves. C’est donc normal de procéder à un réajustement. S’il y a moins d’élèves, c’est logique qu’il y ait moins de professeurs… Et je peux aussi comprendre que dans un village où il a 25 élèves dans une école, on ne puisse pas maintenir deux classes. Mais là, c’est disproportionné et irréfléchi. Il n’y a aucune logique, aucune vision. On veut juste préserver un symbole, une promesse de campagne emblématique, qu’importe comment… Tout cela parce qu’on a peur de mettre des moyens. Alors qu’il n’y a pas d’investissement plus rentable que l’éducation.

Pour certaines communes, supprimer une classe c’est enterrer définitivement l’école du village. N’y a-t-il pas un risque d’accentuer leur enclavement ?

D’abord, je tiens à dire que les dégâts des improvisations du gouvernement sur le sujet ne touchent pas que les villages reculés. Chez moi, il y a des écoles situées dans des zones sensibles urbaines qui voient certaines de leurs classes disparaître parce qu’elles ne sont pas répertoriées comme REP. Mais c’est vrai que la ruralité est particulièrement touchée. Et pour elle, il y a un véritable danger. Un village qui perd son école perd aussi son identité et un peu de son âme. Et puis, malheureusement, l’école est souvent le dernier service public encore présent dans de nombreux villages… Il y a le risque de tuer ces communes mais aussi de mettre, dans les esprits, une sorte de concurrence malsaine entre les intérêts des « gens des villes », comme je l’entends souvent, d’un côté, et ceux de la campagne de l’autre.

« Macron et ses parlementaires n’ont aucun ancrage territorial »

En juillet dernier, lors de la Conférence des territoires, Emmanuel Macron promettait qu’il n’y aurait « plus aucune fermeture de classes dans les zones rurales ». Sept mois plus tard la promesse est oubliée. Peut-on y voir une forme de mépris pour ces territoires ?

Je ne pense pas qu’il faille interpréter cela comme une volonté « anti-campagne ». Cela témoigne plutôt du fait qu’il n’ait aucun ancrage territorial. Ce n’est pas un homme de terrain, il n’a jamais été élu d’un territoire… Et c’est la même chose pour les parlementaires La République en marche (LREM). Ils n’ont alors aucune remontée du terrain, ils ne connaissent pas les attentes, les souffrances, les frustrations de la population. Il y a trois mesures qui illustrent parfaitement cette déconnexion flagrante. D’abord, la suppression des contrats aidés. Ensuite, la baisse des allocations logement dont bénéficient de nombreux locataires du parc HLM français. Puis celle-ci, avec l’imbroglio que l’on connaît autour du doublement des classes de REP et REP +.

Des appels à la mobilisation ont été émis dans plus de 50 départements selon le SNUipp-FSU, le premier syndicat des professeurs des écoles. Avec des formes diverses : manifestations, blocages, actions symboliques… Qu’en attendez-vous ?

Qu’ils soient entendus, évidemment, et que des moyens soient débloqués. Mais qu’est ce qu’il va en avoir à faire le Président ? Pas grand chose. Pour autant, nous, les élus de terrain mobilisés pour cette cause, allons tenter de rassembler les gens, de les encourager à se réapproprier leur destin commun. Ces personnes, qui voient la classe ou même l’école de leurs enfants fermer, peuvent être tentées de se dire qu’elles n’y peuvent rien. Qu’elles n’ont aucun autre choix que de subir les décisions prises là-haut. C’est ce qu’on entend souvent. Mais nous devons changer cela, lutter contre ce sentiment d’indifférence. Même si on n’obtient pas de résultat. En Picardie on dit souvent : ‘Entre le Nord qui ferme ses usines et Paris qui ferme son cœur, nous on ferme notre gueule’. C’est justement ce qu’il faut changer. Ne plus se taire !

 

via François Ruffin sur les fermetures d’écoles rurales : « Donnons des moyens inéquitables pour rétablir l’égalité des chances »

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