Macron – Le Pen, un vote de classes

Sans surprise, l’électeur macronien est bien – voire très bien – inséré professionnellement. Selon notre enquête, 35 % des cadres et professions intellectuelles supérieures ont voté en sa faveur. Il est même numéro 1 dans cette catégorie. Et s’il se défend pas si mal parmi les professions intermédiaires (23 % ont voté pour lui), il ne rassemble que 20 % des employés et seulement 15 % des ouvriers (alors que Le Pen capte 41 % de cet électorat et Jean-Luc Mélenchon 24 %). Partant de là, Macron attire davantage que tout autre candidat la frange de la population se considérant en «ascension sociale». La moitié des personnes dont la «situation dans la société s’améliore plutôt» ont ainsi voté pour le leader d’En marche, contre 15 % uniquement de ceux qui jugent qu’elle se «détériore» (et 37 % de ceux qui estiment qu’elle «reste globalement la même»). Dans le même filon, il séduit 45 % des «optimistes», mais seulement 10 % des «révoltés» (quand Le Pen attire à elle 9 % des optimistes et 40 % des révoltés). En découle, assez logiquement, un vote Macron «pro-mondialisation». L’homme a ainsi convaincu 37 % des électeurs qui pensent que la mondialisation économique est «une chance», contre 12 % de ceux qui considèrent qu’il s’agit d’«une menace».

Politiquement, et conformément au positionnement qu’il revendique, Macron brasse large. Même si son assise reste majoritairement à gauche. Ainsi, 45 % des électeurs de Hollande en 2012 ont voté pour lui au premier tour, mais aussi 46 % de ceux de Bayrou, et 17 % de ceux de Sarkozy. Son électorat penche d’ailleurs beaucoup plus à gauche : 42 % se revendiquent de cette famille, 16 % au centre, 22 % à droite, et 17 % «ni à droite, ni à gauche, ni au centre».

Un choix par conviction ?

Sondage ViaVoice : la nature du vote (infographie BIG)

Revers de la médaille de ce positionnement incertain pour Macron : la fragilité du lien qu’il entretient avec son électorat. Des cinq principaux candidats à l’élection présidentielle, il est celui pour qui ce rapport est le plus lâche. Alors que les électeurs français, dans leur ensemble, sont 73 % à avoir voté pour un candidat proche de leurs «convictions», ils ne sont que 58 % dans ce cas pour le leader d’En marche (contre 41 % qui ont voté pour lui «par défaut»). Un petit tiers de son électorat (30 %) l’ont même choisi pour faire avant tout «barrage à un autre candidat». Pas vraiment de bon augure pour les élections législatives à venir. A l’inverse, le vote en faveur de Marine Le Pen apparaît bien plus solide, ses électeurs étant 81 % à avoir émis un vote de «conviction».

Sur le fond, enfin, les électeurs d’Emmanuel Macron mettent en avant trois enjeux principaux dans leur vote : «préparer l’Europe de demain», «réduire le chômage» et «réformer l’Education», quand Marine Le Pen, elle, a convaincu pour «réduire l’immigration», «lutter contre le terrorisme» et «contre l’insécurité et la délinquance».

Le second tour est-il déjà plié ?

Sondage ViaVoice : le second tour (infographie BIG)

Un écart de 23 points. Si 51 % des sondés souhaitent une victoire d’Emmanuel Macron à cette élection présidentielle, ils ne sont que 28 % à espérer voir Marine Le Pen entrer à l’Elysée. Mais, signe que l’alternative de ce second tour ne va pas de soi pour tout le monde, 21 % refusent de répondre à cette question. Un taux de non-réponse qui atteint respectivement 30 % chez les électeurs de Jean-Luc Mélenchon et 32 % chez ceux de François Fillon, les deux réserves de voix les plus tentées par l’abstention. Mais la décision de Mélenchon de ne pas appeler immédiatement après les résultats du premier tour à barrer la route au Front national risque cependant d’être incomprise de ses électeurs : selon notre sondage Viavoice, ils sont 58 % à souhaiter une victoire d’Emmanuel Macron, contre 12 % à vouloir celle de Le Pen (23 % chez Fillon). Réflexe de prudence ou réelle incertitude sur l’issue du second tour, 40 % des sondés déclarent par ailleurs que «l’élection n’est pas jouée d’avance et qu’il y a encore de réelles incertitudes», contre 55 % qui affirment le contraire. Comme si la double surprise de l’élection de Donald Trump et du vote en faveur du Brexit avait été intégrée par les Français.

Le clivage gauche-droite a-t-il encore un avenir ?

Sondage ViaVoice : le clivage gauche-droite (infographie BIG)

C’est un des paradoxes de ce scrutin. Le candidat du «ni de droite ni de gauche» est arrivé en tête d’un premier tour qui a ravivé le fossé entre la gauche et la droite. Jamais la gauche n’a été aussi à gauche, et donc éloignée de sa droite. Il faut remonter à l’élection présidentielle de 1969 et aux 21 % réalisés par le Parti communiste de Jacques Duclos pour retrouver des scores similaires à celui de La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon. Sans être totalement remise en cause par Viavoice, la droitisation de la société française, pourtant commentée abondamment depuis des années, n’apparaît pas aussi clairement dans notre enquête : 29 % des Français se disent à gauche, contre 36 % à droite (extrême droite comprise), alors que 22 % se considèrent «ni de droite, ni de gauche, ni du centre». Etrangement, ce n’est pas chez les électeurs de Macron que l’on retrouve la part la plus importante de ces «indéfinis» (17 % des électeurs d’En marche se déclarent «ni de droite, ni de gauche, ni au centre»), mais chez Marine Le Pen (24 %) et, dans une moindre mesure, chez Mélenchon (19 %).

Il n’empêche que l’ex-ministre de l’Economie a choisi d’assumer un positionnement politique qui semble parler à de plus en plus de Français : 66 % des sondés considèrent en effet que le clivage gauche-droite, qui a structuré toute notre vie politique, «n’est plus pertinent et doit être dépassé». Même chez les électeurs de Benoît Hamon, qui a pourtant fait toute sa campagne en revendiquant l’héritage de la gauche, ils sont 65 % à déclarer que cette notion doit être «dépassée». Signe ultime que cette élection présidentielle porte en germe une recomposition future de notre paysage politique.

(1) Enquête Viavoice réalisée dimanche et lundi auprès d’un échantillon représentatif de la population française de 1 961 personnes.

via La France de Macron, un vote par défaut – Libération

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