Menace d’attentats sur Sotchi : comment l’Arabie saoudite fait payer à Vladimir Poutine son soutien à Bachar el-Assad

Atlantico : « En ce qui concerne les Jeux olympiques, nous avons préparé un cadeau pour toi et pour les touristes, afin de venger le sang des musulmans répandu dans le monde entier. » Tel était le message de deux djihadistes du Caucase à Vladimir Poutine. La menace d’attentats à Sotchi est prise au sérieux étant donné les tensions qui existent entre le Caucase et la Russie. Le Caucase peut-il vraiment réussir, seul, à mettre à mal les JO ?

Alain Chouet : Les proclamations grandiloquentes des salafistes violents n’ont qu’une valeur incantatoire de propagande et une portée très relative comme on peut le voir au quotidien dans les imprécations d’Ayman Zawahiri ou des chefs djihadistes au Sahel. Il n’en reste pas moins que nos sociétés contemporaines – en particulier occidentales – sont extrêmement vulnérables aux violences terroristes et aux atteintes à la vie humaine.

A l’occasion de grands rassemblements humains forcément très ouverts et objets d’une couverture médiatique planétaire comme le sont les Jeux olympiques, il est tout à fait possible pour des individus ou des petits groupes déterminés – y compris à se donner la mort – de commettre des actes terroristes qui auront un maximum de retentissement. Les autorités locales seront évidemment tenues pour comptables et responsables de n’avoir pas pu ou pas su les prévenir. Et le déroulement des jeux s’en trouvera nécessairement bouleversé.

Le wahhabisme gagne du terrain au Caucase. D’ailleurs, le Prince Bandar, chef des services de renseignement saoudiens, aurait proposé à Poutine, en juillet 2013, une aide face aux djihadistes caucasiens si ce dernier acceptait de participer au renversement du régime syrien. Or la position russe va plutôt en faveur d’el-Assad. Quel rôle l’Arabie saoudite joue-t-elle dans la situation au Caucase ? Quels sont ses liens avec les djihadistes du Caucase ? Quels intérêts l’Arabie saoudite aurait-elle à jouer un tel jeu vis-à-vis de la Russie ? Avec quels risques ?

Le prince Bandar ben Sultan est actuellement le patron du GID (General Intelligence Directorate), les services spéciaux séoudiens, après avoir été pendant près de vingt ans ambassadeur à Washington – ce qui lui a valu le surnom de Bandar « Bush » car il était très proche de la famille Bush et des néo-conservateurs. Grand héritier du clan Sudeïri de la famille Séoud (opposé à la branche Tuwaïjri, à laquelle appartient l’actuel roi Abdallah), il détient aujourd’hui la réalité du pouvoir en Arabie et mène une politique extrêmement agressive contre l’Iran, les chiites et toute dérive démocratique dans les pays arabes. En 2012, il a publiquement revendiqué être à l’origine de la création et du soutien de Jabhat el-Nosra, la principale mouvance militaire djihadiste armée opposée au régime el-Assad.

De fait, le prince Bandar ne fait que poursuivre la politique constante de l’Arabie qui visait, jusqu’aux années 90, et en liaison avec la stratégie des Etats-Unis, à endiguer les ambitions soviétiques, puis à isoler l’Iran chiite par un « cordon sanitaire » sunnite dans les républiques musulmanes d’Asie Centrale et du Caucase devenues indépendantes ou entrées en dissidence. Le soutien – essentiellement politique, financier et logistique – de l’Arabie aux indépendantistes islamistes sunnites caucasiens (Tchétchènes, Ingouches, Daghestanais, etc.) est avéré et documenté.

Lors de sa longue entrevue avec Poutine à l’été 2013, Bandar a effectivement proposé d’aider la Russie en usant de  son influence pour « apaiser » les islamistes caucasiens « légitimement indignés » par la position de Moscou dans l’affaire syrienne…. En vieux routier des subtilités orientales, Poutine a évidemment compris que le raisonnement était réversible et que si la Russie ne changeait pas de position, Bandar « userait de son influence » pour lui pourrir les Jeux de Sotchi par des attentats islamistes…. Mais on ne menace pas Poutine comme ça et l’entrevue s’est très mal terminée.

Quelques semaines plus tard, une islamiste kamikaze caucasienne se faisait sauter dans un autobus d’une station balnéaire de la Mer noire en y faisant plusieurs victimes ; et plus récemment, deux attentats sanglants ont été commis à Volgograd, concrétisant ainsi les « prévisions » du Prince Bandar à la veille des négociations de Genève 2 et dans la perspective des Jeux olympiques.

La leçon essentielle à retenir de tout cela est que, de son aveu même, le chef des services séoudiens dispose d’une influence certaine sur les djihadistes caucasiens et peut aussi bien les inciter à la retenue qu’à passer à l’offensive.

Poutine peut-il régler seul le problème ? Quels autres pays pourraient venir influencer la situation ?

Le problème ne concerne les Jeux de Sotchi que de manière circonstancielle. La menace s’inscrit dans l’ensemble des confrontations du Moyen-Orient qui met aux prises l’Iran chiite et les pétromonarchies wahhabites. L’Iran – qui se sent encerclé par des pays musulmans sunnites alliés politiquement et militairement aux Occidentaux – tente de se désenclaver par une alliance avec la Russie d’une part et, d’autre part, avec les forces politiques de la région dominant des pays qui doivent depuis des siècles protéger leurs minorités non-musulmanes, non arabes ou non sunnites dans un océan arabe sunnite aujourd’hui fortement radicalisé par l’action des monarchies d’Arabie séoudite et du Qatar. C’est ce qui a mené à la création de ce qu’on appelle « l’arc chiite » unissant Téhéran au régime syrien dominé par les Alaouites (minorité religieuse issue du chiisme, longtemps persécutée et vouée au génocide par les jurisconsultes wahhabites), au Hezbollah libanais et au nouveau régime irakien, dominé par les chiites et issu de l’imprudente occupation américaine du pays.

A cette alliance « est-ouest » des minorités, l’Arabie s’efforce d’opposer un « axe sunnite » nord-sud qui l’unirait à une Turquie militairement puissante, membre de l’OTAN mais rejetée par l’Europe et gouvernée par un parti islamiste. Cet axe suppose la mise sous tutelle d’une Jordanie faible mais où la composante politique salafiste est importante et surtout la domination de la Syrie par les extrémistes sunnites que les services spéciaux séoudiens du Prince Bandar ne se cachent même plus de soutenir, financer et armer.

Il y a là un foyer d’antagonismes irréconciliables tant que les régimes de l’Iran appuyé sur la Russie, et surtout de l’Arabie appuyée sur les Etats-Unis, continueront de vouloir fonder leur légitimité sur la seule religion dans ses versions les plus fondamentalistes.

 

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