Mourir de la grippe ou du coronavirus : faire parler les chiffres de décès publiés par l’Insee… avec discernement

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La grippe, cause directe ou indirecte du décès

Une fois identifiée, reste à savoir de combien de décès l’épidémie est effectivement responsable. La réponse est complexe car elle doit tenir compte de la « comorbidité », c’est-à-dire la conjonction, en règle générale, de plusieurs facteurs lorsque l’épidémie de grippe touche chaque hiver la population : de fait, dans les certificats de décès, les médecins doivent coder les différentes causes, selon une classification internationale des maladies. La cause initiale de décès est alors définie comme étant la maladie, ou les circonstances en cas de mort violente (suicide, accident, homicide), « à l’origine du processus morbide ayant entraîné le décès ». C’est ainsi que pour un patient atteint par exemple d’une infection pulmonaire, d’une affection respiratoire ou d’un diabète, la grippe peut précipiter le décès sans être comptabilisée comme la cause directe Le décès serait alors survenu mais quelques semaines ou mois plus tard. Selon cette classification, sont recensés chaque année en France « seulement » quelques centaines de décès attribués à la grippe en cause principale : ce nombre a varié entre 317 et 1 890 selon les années entre 2011 et 2016, d’après les données collectées et publiées par le centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès. Il peut exister un rapport de 1 à 10 entre le nombre de décès causés directement par la grippe et recensés comme tels dans les certificats de décès et le nombre de décès dont l’épidémie est « responsable », mesuré à partir de l’analyse statistique de la surmortalité.

Estimer le nombre de victimes du coronavirus dans les statistiques de décès va demander du temps

Contrairement à la grippe ou à la canicule, pour lesquels la répétition des observations et la mise en place de dispositifs de suivi spécifiques permettent d’affiner les modèles et les analyses, le coronavirus est une maladie nouvelle. Pour autant, l’information chiffrée sur le nombre de cas recensés et le nombre de décès liés ne manque pas. Elle provient principalement des remontées des hôpitaux, qui enregistrent les décès directement imputés au Covid dans leurs services, mais aussi des arrivées et sorties des services qui permettent de mesurer l’évolution de l’épidémie. Elle est récemment complétée par des remontées en provenance des maisons de retraite.

Dans une publication d’octobre 2017 sur l’analyse des lieux de décès enregistrés en 2016, l’Insee estimait à 59 % la part des décès intervenant dans un établissement de santé, 26 % à domicile, 14 % en maison de retraite et 1 % sur la voie publique. Mais ce qui est vrai en général peut être différent pour une pathologie donnée, et le confinement lui-même peut avoir un impact spécifique, difficile à anticiper, sur le lieu où se produisent les décès. L’Insee travaille actuellement sur ces données relatives au lieu de décès pour le mois de mars 2020 et devrait apporter prochainement des éléments nouveaux sur ce sujet, ainsi que sur la répartition par sexe et âge des décès.

Durant la période de l’épidémie, les remontées directes des décès seront sans doute inférieures au nombre total de victimes du virus, notamment parce qu’elles ne concernent que les décès directement imputés au Covid. Ceci n’est pas propre à la France, et la part des décès non comptabilisés dans les données administratives nationales peut différer fortement d’un pays à l’autre. En outre, la mesure de la mortalité spécifique imputable à un événement exceptionnel tel que l’épidémie de Covid-19 devra aussi être analysée conjointement avec ce qui a pu se passer avant ou ce qui se passera après :
– avant : la « clémence » de la grippe saisonnière – les mois de janvier et février 2020 sont des points bas de mortalité – a épargné des personnes très fragiles, ce qui a sans doute accru la population à risque face à cette épidémie ;
– après : on pourrait constater un « déficit de mortalité » correspondant aux vies écourtées par l’épidémie, comme cela a pu être après la canicule de 2003. De même, le pic de décès de janvier 2017 dû à la grippe a été suivi par des points bas de mortalité en mars et avril.

Cela ne remet pas en cause les estimations de la surmortalité liées à l’épidémie, mais cela peut apporter des facteurs explicatifs de la létalité du virus et de la mortalité constatée après l’épidémie.

Au total, ce travail d’évaluation oblige à beaucoup d’humilité dans les projections aujourd’hui, et dans les interprétations demain. Il faut se méfier de ceux qui laisseraient croire qu’on peut calculer les effets de tous ces facteurs à chaud, sans disposer d’un recul nécessaire sur la crise et ses conséquences. Dans ses publications, Santé publique France pointe que la hausse de la mortalité observée dans les régions les plus touchées est très probablement liée à l’épidémie de Covid-19, sans qu’il soit possible d’en estimer la part attribuable à cette date. L’Insee s’engage à contribuer à éclairer le débat dans la durée, au côté de Santé publique France.

Pour en savoir plus

Santé publique France :

Insee :

Source : Mourir de la grippe ou du coronavirus : faire parler les chiffres de décès publiés par l’Insee… avec discernement – Le blog de l’Insee Le blog de l’Insee

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