Notre-Dame : pire que la reconstruction de la flèche, le réaménagement de ses abords ?

Préconisations de la mission Perrault pour l’aménagement de l’île de la Cité – Vue des aménagements en sous-sol du parvis (avant/après création d’un sol vitré). Source ici

Étude d’impact du projet de loi

L’étude d’impact, datée du 23 avril 2019, apporte de nouvelles précisions :

–          Sur les dérogations propres aux abords

L’étude d’impact affirme que « le droit applicable aux immeubles construits en abords de monuments historiques, prévu par les articles L.621-30 à L.621-32, pourrait également faire l’objet d’adaptations. » (Étude d’impact, p. 33). L’article L. 621-32 du code du patrimoine dispose en effet que « Les travaux susceptibles de modifier l’aspect extérieur d’un immeuble, bâti ou non bâti, protégé au titre des abords sont [en principe] soumis à une autorisation préalable. » Il faut noter l’emploi du pluriel pour « monuments historiques ». Il ne s’agit donc pas des seuls abords de Notre-Dame de Paris (dans un rayon de 500 m) mais de l’ensemble de ceux générés par les monuments historiques de l’île de la Cité.

–          Sur les dérogations propres au régime de la domanialité publique

L’étude analyse les « impacts des dispositions [dérogatoires] envisagées » en matière d’occupation privative du domaine public :
« Un dispositif d’autorisation d’occupation et de sous occupation permettrait de dispenser de la procédure de sélection prévue par le code général de la propriété des personnes publiques pour l’opération elle-même [restauration de Notre-Dame proprement dite] et celles qui lui sont liées, y compris si elles sont éloignées. » (Étude d’impact, p. 33) !

–          Sur les dérogations propres à l’archéologie

L’étude d’impact précise que « Les travaux de restauration de la cathédrale Notre-Dame pourraient donner lieu à la prescription de fouilles archéologiques, après diagnostic, notamment sur les sites annexes utilisés pour des installations provisoires. Ces opérations peuvent prendre plusieurs mois. »  (Étude d’impact, p. 29)

  •          Sur la création d’un établissement public associant la mairie de Paris

L’étude d’impact explique qu’« Il est envisagé de confier la restauration et la conservation de la cathédrale Notre-Dame de Paris à un établissement public et d’associer à la gouvernance de l’établissement, en particulier dans le cadre de son conseil d’administration, les collectivités territoriales concernées, notamment la Ville de Paris, le Diocèse de Paris en tant que principal utilisateur de la cathédrale […]. Or les deux établissements publics existants ne disposent pas d’une gouvernance reflétant pleinement la diversité des personnes intéressées à la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris.» (Étude d’impact, p. 23)

Cette disposition, écartant l’OPPIC et le CMN comme ne permettant pas d’associer la ville de Paris, était à ce stade incompréhensible, la cathédrale Notre-Dame n’appartenant qu’à l’État… En outre, la mairie de Paris ne brille pas par le soin qu’elle apporte à la conservation du patrimoine cultuel !

  • Les déclarations de Dominique Perrault et du Président de la République

Dominique Perrault, interviewé dans Le Point du 23 avril 2019, date de la remise de l’étude d’impact et veille du dépôt du projet de loi, donne des indications intéressantes. Évoquant son rapport remis en décembre 2016 et se référant au concept « d’île monument », dépassant la seule cathédrale, il explique : « La question qui se posait, c’est de savoir comment 14 millions de visiteurs qui viennent chaque année sur le parvis de Notre-Dame disparaissent presque immédiatement. […] le public quitte l’île de façon très rapide car il y est très mal accueilli. »

« Je ne vais pas tout vous dire aujourd’hui ! […] Mais oui, il faut repenser la cathédrale avec son île, pour ouvrir la réflexion sur l’accueil d’un public plus large, et sur les conditions d’appropriation de ce patrimoine. Et je pense que l’idée de s’ouvrir est très belle. » (voir ici).

Préconisations de la mission Perrault pour l’aménagement de l’île de la Cité – Flanc sud, promenade Maurice Carême (avant/après ouverture du quai sur les sous-sols du parvis). Source ici

C’est en définitive le discours d’Emmanuel Macron du 24 mai 2019 qui lève toute ambiguïté sur la volonté de réactivation du projet Perrault, pensée semble-t-il immédiatement : « Et, je l’ai dit le soir de l’incendie, nous construirons Notre-Dame plus belle encore en repensant ses abords : le parvis, le square Jean XXIII, la promenade du flanc sud de l’Île-de-la-Cité, dans un dialogue constant, notamment avec le clergé et la Ville de Paris et en nous appuyant sur les travaux qui ont été réalisés il y a maintenant plus de deux ans par plusieurs ici présents [Dominique Perrault était au nombre des invités : voir ici], et en lui redonnant une flèche. Mon représentant spécial sur ce dossier, le général Georgelin, et le ministre de la Culture, que je remercie de son investissement sans faille sur ce dossier depuis le 15 avril, y veilleront. C’est dans cet esprit et en élargissant le projet que nous conduirons cette entreprise. » (voir ici)

  • Les amendements gouvernementaux de juillet 2019

La polémique née de la multiplicité des dérogations – à définir par voie d’ordonnance – a provoqué la suppression de l’article 9 du projet de loi par le Sénat et, en réponse, 2 amendements du Gouvernement (voir ici et ici) destinés à inscrire directement dans la loi des dispositions devant initialement être réglées par ordonnance. Ces amendements, votés par l’Assemblée Nationale le 2 juillet 2019, confirment, de façon anticipée, la volonté d’un réaménagement des abords de la cathédrale conforme aux orientations de la mission Perrault.

L’article 8 du projet de loi révèle ainsi que l’établissement public créé peut « Réaliser des travaux d’aménagement de l’environnement immédiat de la cathédrale Notre-Dame de Paris tendant à sa mise en valeur et à l’amélioration de ses accès ; à cette fin, il peut passer une convention de maîtrise d’ouvrage avec la ville de Paris ; »

Il précise également que « Les ressources de l’établissement sont constituées : 1° Des subventions de l’État, notamment issues du produit des fonds de concours provenant de la souscription prévue par la présente loi […]; 2° Des subventions d’autres personnes publiques ou privées ; »

L’exposé des motifs explicite cette notion nouvelle « d’aménagement de l’environnement immédiat » de la cathédrale : celui-ci désigne « principalement le parvis, les squares entourant la cathédrale et la promenade du flanc sud de l’Ile de la Cité ; » (voir ici), c’est-à-dire précisément les zones d’intervention définies par le projet Perrault.

Les dérogation au droit du patrimoine sont heureusement limitées à la suppression de la consultation de la Commission régionale du patrimoine et de l’architecture en cas d’appel de l’avis de l’ABF « sur les installations et constructions temporaires ». Mais, en toute hypothèse, l’ABF est impuissant concernant des aménagements souterrains. Pour le reste, il se montre en général docile (permettant notamment au groupe LVMH de raser un îlot entier d’immeubles des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles pour son projet de la Samaritaine). En revanche, il s’agit bien de déroger, toujours par voie d’ordonnance, aux règles d’urbanisme, applicables notamment au sous-sol, ou au droit de l’environnement.

La nouvelle mouture de l’article 9 laisse ainsi une place très significative aux ordonnances, qui devront « faciliter la réalisation, dans les meilleurs délais […] des travaux […] de restauration de la cathédrale de Notre-Dame de Paris et d’aménagement de son environnement immédiat, y compris son sous-sol […] Ces ordonnances peuvent prévoir des adaptations ou dérogations aux règles en matière de voirie, d’environnement et d’urbanisme, en particulier en ce qui concerne la mise en compatibilité des documents de planification, la délivrance des autorisations nécessaires, ainsi que les procédures et délais applicables. »

L’exposé des motifs précise à nouveau que « l’environnement immédiat [de Notre-Dame], y compris son sous-sol » désigne « principalement le parvis, les squares entourant la cathédrale et la promenade du flanc sud de l’Ile de la Cité. […] » (voir ici).

Conclusion :

Les débats entourant la restauration de la flèche, comme la réactivation à cette occasion de la « querelle des anciens et des modernes », occultent malheureusement la question également importante du devenir des abords de la cathédrale. Dans un contexte sensible de mutation domaniale de l’île de la Cité, les dérogations du projet de loi sont probablement autant destinées à « reconstruire » rapidement la cathédrale qu’à « lever les freins » d’un réaménagement de ses abords peu compatible avec la législation actuelle. Si les amendements au projet de loi comportent des avancées, la vigilance reste ainsi de mise.

Julien Lacaze, vice-président de Sites & Monuments

Consulter le rapport de la mission Perrault du 7 décembre 2016 sur l’île de la Cité

 

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