«On condamne les enfants qui n’ont pas le profil idéal pour l’école d’aujourd’hui»

Des centaines d’écoliers seront perdus en orthographe à la Toussaint prédit Anne-Marie Gaignard. L’ancienne dysorthographique et auteur de Rien n’est foutu, explique les raisons de cet échec à venir et accuse l’école de sacrifier une moitié de ses enfants pour « aller plus vite ».

«Il essayait mais rien n’y faisait.» Jean-François a 55 ans. Il est dysorthographique. Comme des milliers d’enfants, étudiants et employés, il peine à lire et à écrire. Le personnel enseignant français a bien tenté de le comprendre mais il était trop lent. Il a fallu l’abandonner. Ce destin que nous conte Anne-Marie Gaignard, dans son livre Rien n’est foutu (Le Robert) est bouleversant. Tragique même. Et il n’est pas un cas isolé.

Mal-jugés, méconnus, les dysorthographiques traînent leurs difficultés depuis la plus tendre enfance en silence. Un tabou que casse désormais la fondatrice de Défi 9, une méthode d’apprentissage de l’orthographe dispensée «chaque soir, depuis 2009, à quelque 2000 élèves». Anne-Marie Gaignard, auteur du best-seller La Revanche des Nuls en orthographe , revient sur son procédé et explique pourquoi l’école est, pour l’heure, incapable d’assurer la bonne formation d’une moitié de ses enfants.

LE FIGARO – Comment avez-vous découvert votre dysorthographie?

Anne-Marie Gaignard – Nous sommes en 1968-69. À cette époque, je dois être entre le CP et le CE1. Ma mère est alertée par mon école. On dit de moi que «j’ai la tête comme une passoire». Je ne comprends pas… Ma sœur, qui m’a précédée, a été brillante. Pourquoi n’est-ce pas mon cas? On cherche des réponses. Et le mot tombe finalement. On me dit «dyslexique». Ma mère ne comprend pas. Moi non plus. Toute ma famille brille. Et moi? Je suis le canard boiteux.

Ma mère m’envoie alors voir une orthophoniste. Le début d’une longue série. En vain. Car je n’ai, en réalité, aucun dysfonctionnement. Ma mémoire photographique n’était tout simplement pas en place. Et du fait de ce mauvais diagnostic, j’ai dû trimballer, toute ma scolarité durant, mes kilos de fautes d’orthographe. Je n’ai même pas pu faire le métier que je voulais…

« L’orthographe n’a rien à voir avec l’intelligence »

Tout cela, je m’en suis aperçue un soir, lors d’une conférence sur les neurosciences. J’ai 36 ans, je participe au congrès national de l’APEDYS, une association créée pour répondre aux interrogations des parents d’enfants dys. On nous pose plusieurs questions. «Qui n’a aucun souvenir d’avoir appris à lire?», «qui est capable de retrouver sa voiture sur le parking d’une grande surface?», etc. À la fin de ce questionnaire, on nous explique que certaines personnes peuvent avoir une incapacité à lire et écrire correctement, mais que cette difficulté n’a rien à voir avec un dysfonctionnement. «C’est un ratage d’apprentissage.» Je m’écroule. Je prends non seulement conscience que l’orthographe n’a rien à voir avec l’intelligence mais surtout, que tous les adultes qui m’avaient entourée jusque-là, se sont tous trompés. Ils m’ont pensé débile alors qu’en réalité, je n’avais pas appris à lire!

Comment aviez-vous fait jusque-là?

J’ai mis trois plus fois de temps que tout le monde à lire. Toutefois mon père, qui n’avait pas baissé les bras me décèle une intelligence différente et imagine une solution. Un soir, il rapporte de son entreprise un disque-livre. C’est Aladin et la lampe merveilleuse. Je lance le tourne-disque. Et pour la première fois, j’apprends à lire.

Mais je ne sais toujours pas écrire! Car dans tous les emplois que j’exercerai, je serai toujours la même élève au tableau. Incapable d’écrire sans faire de fautes. Ce ne sera qu’une fois enceinte de ma fille, que je prendrai enfin et véritablement les choses en main. Je voulais aider mon enfant. C’est comme ça que j’ai inventé ma méthode.

Comment l’avez-vous créée?

Je suis retournée chez mes parents, j’ai rouvert mes cahiers, réuni mes anciennes copies et enregistré toutes mes erreurs sur des cassettes. Inspirée par les appréciations de mes professeurs: «Ne s’est pas relue», «Manque d’attention», etc., j’ai relu mes copies, à l’envers en remontant du point aux virgules. Et là, en ôtant le sens des phrases, les pluriels m’apparaissaient enfin. Je voyais les terminaisons. Je lisais.

« Quand vos enfants entrent au CP, c’est comme au casino. On fait tourner la roulette. Et quand la porte est fermée, ça devient une tour d’ivoire »

Combien de temps cela vous a-t-il pris?

Vingt-cinq ans de ma vie! Durant plus d’une décennie, j’ai vécu entourée de post-it et de listes de mots. Pour être sûre de tout. Je groupais tous les mots que je trouvais, pour que ça soit plus simple à retenir. J’ai dû m’enfiler le dictionnaire à l’envers. Mais j’y suis parvenue!

Maintenant que ma méthode existe, il faut seulement une quinzaine d’heures pour qu’un dysorthographique puisse s’en sortir. On peut aujourd’hui donner toutes les clés aux élèves et aux adultes pour travailler comme il faut. Avec leurs propres mots.

Dans votre livre Rien n’est foutu (Le Robert), vous mettez en cause la méthode globale, mise en place par l’Éducation nationale, responsable selon vous de la dysorthographie.

Oui, la méthode globale provoque la dysorthographie. J’en ai été l’une des victimes. Elle a fait son apparition, l’année où je suis rentrée en classe préparatoire. Elle a été pondue par des pédagogues qui se sont dit que ça irait beaucoup plus vite. En effet, l’idée est simple, on donne un texte auquel on accole une image. Mais quand les mots ne parlent pas à l’élève, ce dernier va à l’image sans jamais vraiment pouvoir reconnaître les mots. Et là, ça fait de gros ravages…

La méthode globale a fini par disparaître et être remplacée par une méthode mixte. Mais c’est une couverture! On a seulement mixé du syllabique et du texte plus de l’image. C’est honteux! Cette méthode mixte ne fonctionne pas. Trop d’enfants perdent confiance et se découragent.

« On condamne les enfants qui n’ont pas le profil idéal pour l’école d’aujourd’hui »

Et ce n’est pas la formation des maîtres du premier degré qui inversera la tendance. Les professeurs n’ont ni les bons outils, ni la bonne méthode, ils font comme ils peuvent. Ils ne sont pas formés pour répondre aux problèmes des dys. Ils suivent la méthode qui a été celle de l’instituteur qui les précédait. Je mets en garde les parents! Quand vos enfants entrent au CP, c’est comme au casino. On fait tourner la roulette. Et quand la porte est fermée, ça devient une tour d’ivoire, on ne sait plus ce qu’il s’y passe.

Quel intérêt aurait l’Éducation nationale à conserver une méthode mixte aussi catastrophique?

L’Éducation nationale ne remet pas en cause cette méthode mixte car elle fonctionne pour une moitié. Et tant pis si l’autre moitié est sacrifiée! Ce qui plaît avec cette méthode c’est qu’elle va très vite pour les enseignants. Sauf qu’en travaillant sur un même texte durant une semaine, les enfants ne lisent pas, ils apprennent par cœur. Ils ne savent donc ni lire ni écrire. Or, c’est entre le CP, le CE1 et le CE2 que tout se fait. Si on rate ces étapes, c’est fichu! Ne nous étonnons donc pas de retrouver aujourd’hui des collégiens qui ne savent pas lire…

Que faudrait-il mettre en place pour sauver ces élèves «sacrifiés»?

Il faut des méthodes d’apprentissage pour les trois types de mémoire de nos enfants. Elles existent mais le problème, c’est que nos enfants du CP ne sauront pas lire à Noël. Il faut neuf mois complets pour savoir lire. Pas écrire. Juste lire. Il faut du temps pour une vraie acquisition. Aujourd’hui, on est loin du compte. Et vous verrez, à la Toussaint, il y aura déjà des enfants perdus…

On condamne ceux qui n’ont pas le profil idéal pour l’école d’aujourd’hui.

Rien n’est foutu, les fautes d’orthographe ne sont pas une fatalité!, Le Robert, 254 p., 16,90 €.

 

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