Peter C. Gøtzsche : REMÈDES MORTELS ET CRIME ORGANISÉ : comment l’industrie pharmaceutique a corrompu les services de santé

Je suis en train de lire une bombe… un gros livre (600 p) qui rappelle en détail (et avec des milliers de preuves !) les crimes révoltants commis (en toute connaissance de cause !) par les gredins qu’on appelle gentiment « Bad pharma » :

Site de l’éditeur (où vous pouvez consulter un extrait) : https://www.pulaval.com/produit/remedes-mortels-et-crime-organise-comment-l-industrie-pharmaceutique-a-corrompu-les-services-de-sante

Quand je pense que c’est à des bandits endurcis et multirécidivistes comme Pfizer, AstraZeneca ou Johnson&Johnson qu’on nous impose de faire une confiance aveugle à travers la vaccination obligatoire, je trouve ça révoltant : ces entreprises (leurs patrons, leurs actionnaires et leurs mercenaires) ont déjà maintes fois tué froidement leurs cobayes et leurs clients, tout en organisant leur totale impunité, leur scandaleuse irresponsabilité. Ces fripouilles ont corrompu à la fois la science médicale (le savoir publié) et les autorités de santé (les garants publics du savoir le plus fiable) en finançant la formation/information des médecins (les universités, les revues scientifiques, les médecins réputés, la formation continue des praticiens, les sociétés savantes…) et en plaçant leurs créatures corrompues dans toutes les institutions de contrôle (agences, ordres, conseils scientifiques…) ! Tant et si bien que les industriels font aujourd’hui quasiment ce qu’ils veulent pour gagner beaucoup d’argent sans aucun contrôle sérieux.

D’abord, AUCUN traitement ne devrait être obligatoire : le premier principe de l’éthique médicale universelle, partout sur terre, est la nécessité absolue du CONSENTEMENT du patient (voir ici).

Et si une autorité décidait malgré tout de rendre un médicament obligatoire (il faudrait que ce soit forcément validé par référendum), il faudrait absolument, bien sûr, au minimum :

1) que le médicament imposé soit rigoureusement SANS DANGER, conçu, fabriqué et longuement testé par des industriels digne de confiance, selon des protocoles robustes et sous le contrôle d’experts indépendants,

et 2) que, en cas de drame, celui qui a forcé les victimes assume pleinement et personnellement la RESPONSABILITÉ (financière et morale) des dommages (autant que c’est possible, car une indemnité financière même énorme ne compensera jamais une infirmité à vie, ni un décès).

Or c’est rigoureusement le contraire qui se passe !

1) Ceux qui ont conçu les « vaccins » sont des gredins multirécidivistes (ce livre le prouve mille fois) qui ont TOUS — sciemment, volontairement et en connaissance de cause — trompé le public et empoisonné des centaines de milliers de patients pour gagner beaucoup d’argent.

2) Tous les acteurs de l’obligation vaccinale se sont d’avance exonérés de toute responsabilité envers ceux qu’ils forcent aux injections :
. les industriels se sont fait voter des lois interdisant définitivement leur mise en cause en cas de dommage grave (infirmité ou mort),
. les médecins piqueurs font carrément signer aux injectés des décharges de responsabilité ( !),
. les journalistes et leurs invités influenceurs ne sont, de toute façon, jamais responsables des conséquences de leurs propagandes, pas plus ici qu’ailleurs,
. les gouvernements ne prévoient quasiment rien pour dédommager les victimes (enfin, rien qui soit à la hauteur des risques réels)
et ils ne mettent en place qu’une pharmacovigilance largement factice (d’abord elle est passive ( !), et ensuite, elle est activée par ceux-là mêmes qui ont pratiqué les injections ( !) et qui ont donc mécaniquement, forcément, fatalement, un intérêt personnel vital à ce que rien de dramatique ne soit déclaré à la suite de leur geste), comme si personne ne voulait voir vraiment les dangers réels des médicaments,
. et les politiciens eux-mêmes ne sont jamais personnellement responsables de leurs fautes quand elles sont commises dans l’exercice de leurs fonctions (du fait de l’absence d’une vraie constitution)…

Bref, PERSONNE N’EST RESPONSABLE pour des injections expérimentales conçues et fabriquées par des crapules patentées qu’un gouvernement de forbans irresponsable rend OBLIGATOIRES !

Tout ça est absolument choquant.
L’obligation vaccinale est un abus de pouvoir incandescent.

Ce livre démontre une partie importante du raisonnement ci-dessus : les industriels qui conçoivent, produisent et contrôlent les produits qu’on nous injecte de force NE SONT PAS DU TOUT DIGNES DE CONFIANCE.

Comme je l’ai fait pour des milliers de mes livres depuis 2005, j’ai scanné ce livre, le l’ai OCRisé, j’ai relu et corrigé le résultat. J’ai donc un .doc dans lequel je peux chercher par mots-clefs.

Cette enquête de Peter Gøtzsche est un service public. Il faudrait à la fois la rendre disponible gratuitement (il est déjà indisponible — ou hors de prix — chez de nombreux vendeurs) et aider financièrement son auteur (et son éditeur) pour qu’il continue à nous informer avec cette puissance remarquable.

Je vais ici reproduire ses deux avant-propos, son introduction, son plan détaillé, et deux chapitres importants (mais c’est difficile de choisir, tout le livre est important) : un sur les monstrueux crimes de l’industrie pharmaceutique et un autre sur ses énormes bobards .

Je vous recommande chaleureusement ce livre important.

Je propose que nous signalions dans les commentaires de ce billet les éventuels AUTRES livres et documents allant dans le même sens (des preuves manifestes de l’activité criminelle des grands industriels du médicament). L’ensemble servira à documenter/légitimer notre refus solennel de leur faire confiance, et encore moins d’y être forcés.

Je vous fais remarquer que, si nous avions une constitution digne de ce nom — c’est-à-dire avec un vrai RIC en toutes matières, et avec des médias socialisés / non appropriables), nous pourrions intervenir nous-mêmes en politique et nous défendre efficacement contre tous les abus de pouvoir.

Bonne lecture.

Étienne.


Avant-propos par Richard Smith,
Rédacteur en chef du BMJ (British Medical Journal)

La seule mention du nom de Peter Gøtzsche comme orateur dans un congrès ou comme collaborateur cité dans la table des matières d’un périodique suffit à soulever l’enthousiasme d’innombrables personnes. En effet, on peut le comparer au jeune garçon qui voyait bien que l’empereur était nu et qui ne se gênait pas pour le dire. Or, la plupart d’entre nous ne voyons pas la nudité de l’empereur et, dans le cas contraire n’oserions pas en parler. Voilà pourquoi nous avons un si grand besoin de gens comme Peter. Avec lui, pas de compromis ni de dissimulation, mais un franc parler assorti de métaphores colorées. L’insistance de Peter à comparer l’industrie pharmaceutique au crime organisé peut certes en déranger plusieurs, mais renoncer à lire le présent ouvrage pour ce motif, ce serait rater l’occasion de comprendre une réalité importante et de s’en indigner.

Peter conclut son livre en racontant que la Société danoise de rhumatologie lui avait demandé de prononcer une conférence sur le thème La collaboration avec l’industrie pharmaceutique : est-ce si dommageable ? Le titre était à l’origine La collaboration avec l’industrie pharmaceutique. Est-ce dommageable ? Mais la société l’avait trouvé trop fort. Peter commença sa conférence en énumérant des crimes des commanditaires de la réunion. Roche avait grandi grâce à ses ventes illégales d’héroïne. Abbott avait empêché Peter d’avoir accès à des études non publiées qui montraient qu’une pilule pour maigrir était dangereuse. UCB avait elle aussi caché des données tandis que Pfizer avait menti à la FDA (Food and Drug Administration) puis avait été condamnée aux États-Unis à une amende de 2,3 milliards de dollars pour avoir fait la promotion de l’utilisation hors indications de quatre médicaments. Merck, le dernier commanditaire, avait, selon Peter, provoqué le décès de milliers de patients en raison de son comportement malhonnête relativement à un médicament contre l’arthrite. Une fois son introduction complétée, Peter se lança dans une condamnation de l’industrie.

On peut imaginer se trouver à cette rencontre dont les commanditaires bafouillent de colère et dont les organisateurs marinent dans l’embarras. Peter cite un collègue qui lui aurait dit que son approche aurait peut-être détourné des auditeurs dont l’opinion n’était pas encore faite. Mais la plus grande partie de l’auditoire a été captivée et a compris la légitimité des points soulevés par Peter.

De très nombreuses personnes qui ont soutenu avec enthousiasme la mammographie de routine pour prévenir les décès par cancer du sein, peuvent comprendre la grogne des commanditaires – parce qu’ils ont été eux aussi critiqués par Peter qui a fait paraître un livre décrivant ses expériences relatives à la mammographie. Ce qui me semble particulièrement important c’est que Peter faisait partie des quelques rares critiques de la mammographie de routine quand il a commencé ses recherches et qu’en dépit des attaques très intenses dont il a été l’objet, les faits ont fini par lui donner raison.

Il n’avait pas d’opinion arrêtée sur la mammographie quand les autorités du Danemark lui ont demandé de réviser les faits connus mais il a rapidement conclu que les preuves disponibles étaient de piètre qualité. Sa conclusion générale était que la mammographie de routine pourrait bien sauver des vies, cependant beaucoup moins que ne le prétendaient les promoteurs de cet examen, au prix de plusieurs faux positifs, imposant à des femmes des procédures invasives et inquiétantes sans aucun avantage et le surdiagnostic de cancers inoffensifs. Les discussions qui ont suivi à propos de la mammographie de routine ont été amères et pleines d’hostilité mais la perspective de Peter est maintenant devenue ce qu’on pourrait appeler la perspective orthodoxe quant à ce problème. Son livre montre d’une manière détaillée comment des scientifiques ont déformé les faits établis pour mieux soutenir leurs croyances.

Je sais depuis longtemps que la science est pratiquée par des êtres humains qui ne sont pas des robots, ce qui signifie qu’ils restent exposés aux défaillances humaines, mais j’ai été renversé par les propos du livre de Peter sur la mammographie.

Une grande partie du présent ouvrage est également renversante pour des motifs apparentés : on montre comment on peut corrompre la connaissance pour faire avancer certains arguments et comment l’argent, les profits, les emplois et les réputations sont les corrupteurs les plus puissants.

Peter concède que certains médicaments ont procuré de grands avantages. Il le fait dans une phrase : « Mon livre ne concerne pas les avantages bien connus de médicaments comme les succès rencontrés pour traiter les infections, les maladies cardiaques, certains cancers et les déficiences hormonales comme le diabète de type I. » Certains lecteurs trouveront que c’est insuffisant, mais Peter est très explicite pour dire que le présent ouvrage porte sur les échecs du système au complet de la découverte, de la production, du marketing et de la réglementation des médicaments. Ce n’est pas un livre qui porte sur leurs avantages.

Plusieurs lecteurs se demanderont si Peter n’exagère pas en suggérant que les activités de l’industrie pharmaceutique s’apparentent à celles du crime organisé. Les caractéristiques du crime organisé sont définies dans la loi des États-Unis comme le fait de commettre d’une manière répétée certaines transgressions comprenant l’extorsion, la fraude, le viol d’interdits fédéraux sur les drogues, la corruption, le détournement de fonds, l’obstruction de la justice, l’obstruction dans l’application des lois, l’intimidation des témoins et la corruption politique. Peter fournit des preuves, la plupart fort détaillées, pour soutenir son argument que les compagnies pharmaceutiques sont coupables de la plus grande partie de ces crimes.

Et il n’est pas le premier qui compare l’industrie à la mafia ou à la pègre. Il cite un ancien vice-président de Pfizer qui a déclaré :

Il est proprement effrayant de voir les ressemblances de cette industrie avec la pègre. La pègre gagne des quantités d’argent qui sont obscènes, tout comme l’industrie. Les effets secondaires du crime organisé sont des massacres et des assassinats alors que les effets secondaires de l’industrie sont de même nature. La pègre corrompt les politiciens et d’autres, tout comme le fait l’industrie.

L’industrie est certainement à couteaux tirés avec le ministère de la Justice des États-Unis en raison des compagnies qui ont payé des milliards en amendes. Peter décrit en détail les dix plus grandes sociétés, mais il en existe beaucoup d’autres. Il est aussi vrai que ces sociétés ont récidivé sans répit, calculant sans doute qu’il y avait toujours de plantureux profits à récolter en continuant à violer la loi et à payer des amendes. Les amendes peuvent être tenues pour des dépenses « d’affaires » tout comme les coûts du chauffage, de l’éclairage et du loyer.

Bien plus nombreux sont les gens tués par l’industrie que ne le sont ceux qui périssent aux mains de la pègre. En effet, des centaines de milliers de gens sont tués chaque année par les médicaments ordonnancés. D’aucuns pourront penser que c’est inévitable parce que les médicaments sont utilisés pour traiter des maladies qui sont elles-mêmes létales. D’autres objecteront que les avantages des médicaments sont exagérés, souvent en raison de distorsions sérieuses des preuves censées fonder les médicaments, un « crime » qu’on peut raisonnablement imputer à l’industrie.

Le grand médecin William Osier a déjà dit que ce serait bon pour l’humanité mais horrible pour les poissons qu’on jette à la mer tous les médicaments. Il parlait avant que ne survienne la révolution thérapeutique du milieu du XXe siècle ayant donné la pénicilline, d’autres antibiotiques et tant d’autres médicaments efficaces, mais Peter vient tout près de tomber d’accord avec lui en proposant qu’on serait beaucoup mieux sans la plupart des médicaments psychoactifs dont les avantages sont minuscules et les torts considérables, tandis que le volume de leur prescription est colossal.

La plus grande partie du livre de Peter est consacrée à la démonstration du fait que l’industrie pharmaceutique a systématiquement corrompu la connaissance pour exagérer les avantages et minimiser les torts causés par ses médicaments. Comme épidémiologiste doté d’une extraordinaire connaissance en mathématique et d’une passion infatigable pour les détails, Peter est devenu un chef international en critique des études cliniques et se trouve donc sur son terrain de prédilection. Il y retrouve plusieurs autres auteurs, y compris d’anciens chefs de la rédaction du New England Journal of Medicine, pour décrire cette corruption. Il montre aussi comment l’industrie a corrompu des médecins, des universitaires, des périodiques, des organismes de professionnels et de défense des patients, des départements d’universités, des journalistes, des régulateurs et des politiciens. Ce sont là des méthodes de la pègre.

Le livre ne permet ni aux médecins ni aux universitaires d’éviter le blâme. En fait, on pourrait soutenir que les sociétés pharmaceutiques font ce qu’on attend d’elles en maximisant le rendement de leurs actionnaires tandis que médecins et universitaires sont censés avoir une autre motivation. Des lois exigeant des sociétés qu’elles déclarent les paiements faits aux médecins montrent que de grandes proportions de médecins sont redevables à l’industrie pharmaceutique, plusieurs recevant des sommes dans les six chiffres, pour conseiller les sociétés ou prononcer des conférences en leur nom. Il est difficile de ne pas conclure que ces « meneurs d’opinion » sont corrompus. Ils sont les tueurs à gages de l’industrie.

Et, tout comme c’est le cas pour la pègre, malheur à quiconque lance une alerte ou accepte de témoigner contre l’industrie. Peter raconte plusieurs histoires de lanceurs d’alerte qu’on a harcelés alors que le roman de John Le Carré décrivant la brutalité d’une société pharmaceutique devenait un grand succès qu’on a porté à l’écran.

Il n’est pas fantaisiste de comparer l’industrie pharmaceutique à la pègre et la population, en dépit de son enthousiasme pour la consommation de pilules, entretient du scepticisme à l’encontre de l’industrie pharmaceutique. Dans une enquête d’opinion menée au Danemark, le public a placé l’industrie pharmaceutique à l’avant-dernier rang de celles à qui l’on fait confiance, tandis qu’une enquête d’opinion américaine plaçait l’industrie pharmaceutique au bas de l’échelle en compagnie de l’industrie du tabac et des pétrolières. Le médecin et auteur, Ben Goldacre, dans son livre Bad Pharma soulève l’observation que ce que les médecins ont fini par tenir pour « normal » dans leurs relations avec l’industrie pharmaceutique deviendra complètement inacceptable pour la population quand elle en comprendra le fin mot de la signification. En Grande-Bretagne, les médecins pourraient rejoindre les journalistes, les parlementaires et les banquiers dans le déshonneur, pour n’avoir pas su reconnaître la corruption dans laquelle ils se vautrent. Pour le moment, la population fait confiance aux médecins et se méfie des sociétés pharmaceutiques, mais cette confiance pourrait se perdre rapidement.

Le livre de Peter ne porte pas que sur des problèmes. Il propose des solutions dont certaines seront plus facilement appliquées. Il semble très improbable que les sociétés pharmaceutiques soient jamais nationalisées, mais il est probable que toutes les données utilisées pour obtenir l’autorisation de mise sur le marché deviennent disponibles. Il faut rehausser l’indépendance des autorités de réglementation. Certains pays pourraient être tentés d’encourager plus d’évaluation des médicaments par des organismes du secteur public, tandis qu’on assiste à un désir croissant de rendre publiques les relations financières liant les sociétés pharmaceutiques aux médecins, aux organismes de professionnels et de patients ainsi qu’aux périodiques médicaux. Il est certain qu’il faut améliorer la gestion des conflits d’intérêts. Il faudra sans doute restreindre encore plus la commercialisation, tandis que l’opposition à la publicité directe aux consommateurs se renforce.

Les critiques de l’industrie pharmaceutique sont plus nombreux, plus respectables et plus impétueux, mais Peter les dépasse tous en comparant l’industrie au crime organisé. J’espère que personne ne se laissera dissuader de lire le présent ouvrage à cause de l’audace de la comparaison et que la franchise de son message va susciter une réforme convenable.

Richard Smith, M. D. juin 2013


Avant-propos par Drummond Rennie,
Rédacteur en chef du JAMA (Journal of the American Medical Association)

INDIGNATION FONDÉE SUR LA PREUVE

Des centaines de rapports d’études scientifiques et plusieurs ouvrages décrivent déjà comment les sociétés pharmaceutiques pervertissent la méthode scientifique et utilisent leur richesse colossale pour travailler trop souvent à l’encontre de l’intérêt des patients qu’elles prétendent aider. J’ai moi-même participé à cette infamie. Alors qu’est-ce qu’apporte le présent ouvrage qui soit donc neuf et digne de votre attention ?

La réponse est simple : les aptitudes scientifiques exceptionnelles, la recherche, l’intégrité, la vérité et le courage de son auteur. L’expérience de Gøtzsche est sans pareille. Il a travaillé aux ventes pour des sociétés pharmaceutiques, soit comme visiteur bonimentant les médecins sur divers types de médicaments, soit comme gérant de produit. Il est médecin et chercheur doté d’une grande réputation acquise à la tête du centre Cochrane du nord. De sorte que, quand il parle, il fonde ses opinions sur des recherches méticuleuses réparties sur des décennies et publiées dans des périodiques soumis à la révision des manuscrits par les pairs. Il comprend très bien les statistiques du préjugé et les techniques utilisées pour analyser les rapports d’études cliniques. Il a été à l’avant-garde de l’élaboration des révisions systématiques et de la méta-analyse des rapports d’études cliniques, pour en extraire à l’aide de critères stricts, l’efficacité réelle des médicaments et des tests. Sa persistance est souvent irritante, mais elle est toujours mue par la preuve.

Donc, j’ai confiance en Gøtzsche. Ma confiance est fondée sur une preuve solide et ma propre expérience de plusieurs décennies à avoir dû me débattre avec ce qui résulte de l’influence de l’industrie pharmaceutique sur mes collègues en recherche clinique, et sur la population. De plus, je fais confiance à Gøtzsche parce que je sais qu’il a raison quand il commente des événements que je connais d’une manière indépendante.

Le dernier motif de la confiance que j’accorde au récit de Gøtzsche est lié à mon expérience de chef de la rédaction d’un très grand périodique médical. Les chefs de rédaction sont les premiers à prendre connaissance d’un rapport écrit provenant d’un établissement de recherche. Les chefs de rédaction et leurs réviseurs identifient les problèmes de préjugés dans les articles proposés à leur périodique et c’est aux chefs de rédaction qu’on achemine les plaintes et les allégations.

J’ai écrit, puis répété, des éditoriaux indignés décrivant les comportements incompatibles avec l’éthique de chercheurs soutenus par des intérêts commerciaux et leurs commanditaires. Au moins trois autres rédacteurs en chef que je connais bien, les Drs Jérôme Kassirer et Marcia Angell (New England Journal of Medicine) et Richard Smith (British Medical Journal) qui ont écrit des ouvrages dans lesquels ils ont fait état de leur consternation face à l’ampleur du problème. D’autres rédacteurs en chef, comme Fiona Godlee du British Medical Journal, ont écrit d’une manière éloquente au sujet de l’influence corruptrice de l’argent et de la manière avec laquelle il détourne le traitement des patients et augmente les coûts.

Je ne prétends pas endosser tous les faits décrits par Gøtzsche – ceci étant un avant-propos et non une vérification – mais le tableau général qu’il trace n’est que trop familier. Bien que Gøtzsche puisse paraître exagérer, mes propres expériences décevantes et celles d’autres rédacteurs en chef et de chercheurs que je connais personnellement me disent qu’il a raison.

Dans un cours que je donnais à un auditoire de juges, je remarquais que les chercheurs cliniciens et les membres de la profession juridique utilisaient le même mot, « essai », pour désigner deux procédés différents, l’un juridique et l’autre scientifique. Parlant au nom de ma profession, je me devais de reconnaître que les essais juridiques étaient réalisés d’une manière qui était plus juste et mieux fondée sur l’éthique que les essais scientifiques. (Gøtzsche cite cet exemple à la page 83.)

Gøtzsche fait des propositions et appelle une révolution. À mon avis, rien ne changera tant qu’on n’aura pas complètement isolé l’évaluation de la performance des études du financement des mêmes études. Nous fondons nos traitements sur les résultats d’études cliniques de sorte que ces résultats deviennent des questions de vie ou de mort. Les patients qui acceptent d’être intégrés dans les études s’attendent à ce que leur sacrifice bénéficie à l’humanité. Ce qu’ils ne peuvent deviner, c’est que leurs résultats soient cachés puis manipulés comme autant de secrets commerciaux. Ces résultats sont des biens collectifs et ils devraient être payés par l’État, utilisant les taxes payées par l’industrie, puis rendus disponibles pour tous. Dans le contexte actuel, on se trouve aux États-Unis dans la situation absurde où les sociétés pharmaceutiques paient l’agence de réglementation, la FDA, pour faire l’évaluation de leurs projets. Faut-il se surprendre que l’agence ait été investie puis piratée par l’industrie qu’elle est censée réglementer ?

Révolution ? Gøtzsche a raison. Nous nous retrouvons dans ce marasme en raison d’erreurs innombrables du passé et il en décrit plusieurs dans l’inventaire détaillé qu’il dresse. Lequel comprend le défaut des chercheurs cliniciens, de leurs institutions, des rédacteurs en chef des périodiques publiant leurs découvertes de comprendre à quel point ils ont été piégés par les praticiens du marketing qui les payaient. Je crois qu’il faudra une révolution pour se débarrasser des décennies pendant lesquelles l’industrie a protégé ses intérêts.

J’espère qu’on lira ce livre et qu’on tirera ses propres conclusions. Quelle est la mienne ? Quand Gøtzsche se scandalise du comportement de l’université et de l’industrie, il a raison d’être indigné. Ce qui est indispensable, c’est une indignation encore plus forte fondée sur les preuves à la manière de Gøtzsche.

Drummond Rennie, M. D. juin 2013




Chapitre 1 Introduction
par Peter C. Gøtzsche

Les grandes épidémies de maladies infectieuses et parasitaires qui ont fait tant de morts par le passé sont maintenant sous contrôle dans la plupart des pays. Nous avons appris comment prévenir et traiter le SIDA, le choléra, la malaria, la rougeole, la peste et la tuberculose et nous avons éradiqué la variole. La mortalité causée par le SIDA et la malaria est encore très élevée, mais ce n’est pas parce qu’on ne sait pas comment lui faire face. Il faut mettre en cause les inégalités de revenu et les coûts excessifs des médicaments capables de sauver la vie dans les pays à petits revenus.

Malheureusement, on se trouve maintenant confrontés à des épidémies provoquées par l’homme, soit le tabagisme et les médicaments ordonnancés, deux causes extrêmement mortelles. Aux Etats-Unis et en Europe, les médicaments constituent la troisième cause de mortalité après la maladie cardiaque et le cancer.

Je vais expliquer dans ce livre pourquoi il en est ainsi et ce qu’on peut faire pour enrayer cette tragédie. Si la mortalité provoquée par les médicaments avait été une maladie contagieuse, ou bien une maladie cardiaque ou un cancer provoqué par la pollution de l’environnement, il se serait trouvé d’inombrables groupes militants pour ramasser des fonds et susciter des interventions politiques de grande portée pour la combattre. J’ai du mal à comprendre pourquoi – quand il s’agit de médicaments, les gens ne font rien.

Les industries du tabac et du médicament ont beaucoup de traits communs. Un dédain moralement scandaleux au regard de la vie humaine, cela semble leur règle. Les compagnies de tabac sont très fières d’avoir augmenté leurs ventes dans les pays à faibles et moyens revenus. C’est sans un soupçon d’ironie ou de honte que la direction d’Impérial Tobacco a rapporté aux investisseurs en 2011 que la société britannique avait remporté une palme d’or selon un index de responsabilité corporative1. Les compagnies de tabac profitent « de nombreuses occasions pour faire croître leurs affaires » ce que le Lancet a décrit comme « la vente, l’asservissement à l’addiction et la mise à mort, très certainement le modèle d’affaires le plus cruel et corrompu que les humains étaient capables d’inventer1 ».

Les dirigeants de l’industrie du tabac savent qu’ils colportent la mort tout comme les dirigeants de l’industrie pharmaceutique. Il n’est plus possible de cacher le fait que le tabac est un tueur majeur alors que l’industrie pharmaceutique a réussi de manière surprenante à cacher que ses médicaments sont aussi des tueurs de premier ordre. Je me propose de décrire ici comment les sociétés pharmaceutiques ont caché, de manière délibérée, les torts mortels de leurs médicaments en recourant à des manœuvres frauduleuses tant en ce qui a trait à la recherche qu’à la mise en marché et à des dénis très énergiques quand elles se sont trouvées confrontées aux faits. Tout comme les dirigeants de l’industrie du tabac avaient tous affirmé, en 1994, au cours d’une audition du Congrès des États-Unis, que la nicotine ne provoquait pas d’addiction alors qu’ils savaient depuis des décennies que cela était un mensonge2. Philip Morris, le géant américain du tabac a mis sur pied une société de recherche qui a documenté les dangers de la fumée secondaire ; même si plus de 800 rapports scientifiques ont été produits, pas un seul n’a été publié2.

Les deux industries emploient des tueurs à gages. Quand une recherche rigoureuse a montré qu’un produit est dangereux, une foule d’études de piètre qualité sont produites pour affirmer le contraire, ce qui confond la population parce que – comme en attesteront les journalistes -« les chercheurs ne sont pas d’accord entre eux ». Cette industrie du doute est très efficace pour distraire les gens et entretenir l’ignorance des torts. L’industrie achète du temps pendant que les gens continuent de périr.

C’est de la corruption. La corruption a plusieurs significations et celle que je comprends est définie, dans mon dictionnaire, comme de la pourriture morale. Une autre signification est la subornation, qui peut signifier le paiement secret, habituellement en argent comptant, pour un service qui ne serait pas rendu autrement, ou du moins, pas aussi rapidement. Toutefois, comme on le verra, la corruption dans les services de santé a plusieurs visages, comprenant le paiement pour ce qui semble être une noble activité tout en n’étant rien d’autre qu’un prétexte pour donner de l’argent à une partie importante de la profession médicale.

Les personnages du roman d’Aldous Huxley, Brave New World, datant de 1932, peuvent consommer des pilules Soma chaque jour pour prendre le contrôle de leur vie et chasser les pensées inquiétantes. Aux États-Unis, les commerciaux télévisés ne font pas autre chose en incitant le public à faire exactement pareil. Ces commerciaux décrivent des personnages malheureux qui reprennent le dessus et redeviennent heureux dès qu’ils ont consommé une pilule3. Nous avons déjà surpassé les imaginations les plus délirantes d’Huxley et la consommation de médicaments continue d’augmenter. Au Danemark, par exemple, nous consommons tellement de médicaments, que chaque citoyen, qu’il soit malade ou bien portant, peut se trouver sous traitement avec 1,4 dose quotidienne pour adulte, du berceau jusqu’à son décès. Bien que plusieurs médicaments soient capables de sauver la vie, on pourrait penser qu’il est dommageable de médicamenter autant nos sociétés et j’apporterai des preuves démontrant que c’est bien ce qui se produit.

Le motif principal expliquant qu’on consomme autant de médicaments est que les sociétés pharmaceutiques ne vendent pas des médicaments mais bien des mensonges au sujet des médicaments. Des mensonges éhontés qui – dans tous les cas que j’ai étudiés – ont continué même après qu’on en eut fait la preuve. C’est ce qui rend les médicaments différents de toute autre expérience de la vie courante. Quand on souhaite acheter une voiture ou une maison, on peut juger par soi-même s’il s’agit d’un bon ou d’un mauvais achat. Mais quand on se fait offrir un médicament, on ne dispose pas de cette latitude. Presque tout ce qu’on sait d’un médicament se limite à ce que les sociétés ont bien voulu dire au public et à ses médecins. Peut-être devrais-je définir ce que j’entends par mensonge. Un mensonge est un énoncé qui n’est pas vrai, mais une personne qui raconte un mensonge n’est pas nécessairement un menteur. Les vendeurs de médicaments racontent bien des mensonges, mais ils ont souvent été trompés par leurs supérieurs dans la société pharmaceutique qui leur ont délibérément caché la vérité (ce qui en fait des menteurs au sens où je l’entends). Dans son magnifique petit livre intitulé On Bullshit, le moraliste Harry Frankfurt dit qu’une des caractéristiques saillantes de notre culture est qu’il y a un grand nombre de foutaises, ce qu’il tient pour se situer juste en deçà du mensonge.

Mon livre ne porte pas sur les avantages bien connus des médicaments, comme nos triomphes dans le traitement des infections, des maladies cardiaques, certains cancers et les insuffisances hormonales comme le diabète de type 1. Le livre traite de la faillite du système, provoquée par une criminalité généralisée, la corruption et une réglementation impuissante au sujet des médicaments, qui requiert des réformes radicales. Certains lecteurs trouveront mon livre partial et polémique, mais je ne vois pas l’intérêt de décrire ce qui fonctionne bien dans un système qui échappe complètement à tout contrôle social. Quand un criminologue entreprend une étude d’agresseurs, personne n’attend un rapport « équilibré » faisant grand état du fait que bien des agresseurs sont de bons pères de famille4.

Si on ne pense pas que le système est sans contrôle, qu’on m’envoie un courriel expliquant pourquoi les médicaments sont la troisième cause de décès dans la partie du monde qui consomme le plus de médicaments. Si une épidémie aussi colossalement létale avait été causée par une nouvelle bactérie ou un virus, ne fût-ce même qu’une amorce d’épidémie, on aurait fait tout ce qui est possible pour en prendre le contrôle. Ce qui est tragique, c’est qu’on pourrait facilement contrôler l’épidémie médicamenteuse qui est en cours, mais les politiciens qui détiennent présentement le pouvoir de faire les changements ne font pratiquement rien. Quand ils agissent, c’est habituellement pour empirer la situation, car ils font tellement l’objet de pressions par l’industrie pharmaceutique qu’ils en sont venus à en croire tous les mythes, que je vais démonter dans chaque chapitre de ce livre.

Le principal problème de notre système de soins de santé est que les incitatifs financiers qui le propulsent entravent sérieusement l’utilisation rationnelle, économique et sécuritaire des médicaments. L’industrie pharmaceutique tire sa prospérité de cet état de fait et pratique un contrôle très serré de l’information. La documentation scientifique sur les médicaments est systématiquement dénaturée par des études mal ficelées dont l’analyse des données est incorrecte, la publication des résultats et des données primaires est sélective, les résultats défavorables supprimés et la rédaction assurée par des rédacteurs anonymes. Ces derniers rédigent les manuscrits contre honoraires sans qu’on ne révèle leur identité dans les publications, lesquelles sont attribuées à des notables de la profession médicale, des « auteurs » qui n’ont pas, sinon peu, contribué au manuscrit. C’est cette inconduite scientifique qui fait vendre les médicaments.

Par comparaison avec les autres industries, l’industrie pharmaceutique est le plus grand fraudeur du gouvernement fédéral des Etats-Unis en vertu de la loi sur les fausses réclamations5. La population semble savoir ce que l’industrie pharmaceutique fait. Dans une enquête d’opinion demandant à 5 000 Danois de classer 51 industries selon la confiance qu’ils leur accordaient, l’industrie pharmaceutique s’est retrouvée à l’avant-dernier rang, immédiatement devant les entreprises de réparation des automobiles6. Une enquête américaine a aussi placé l’industrie au dernier rang avec l’industrie du tabac et celle du pétrole7. Dans une autre enquête, 79 % des citoyens américains estimaient que l’industrie pharmaceutique faisait du bon travail en 1997, proportion qui était tombée à 21 % en 20058, un déclin extraordinairement rapide de la confiance populaire.

Compte tenu de cet arrière-plan, il peut sembler contradictoire que les patients aient si grande confiance dans les médicaments que leur médecin leur prescrit. Mais je suis persuadé que le motif expliquant cette confiance dans leurs médicaments est lié à leur transfert de la confiance qu’ils ont en leur médecin aux médicaments qu’il leur prescrit. Les patients ne comprennent pas que, bien que leurs médecins en connaissent beaucoup au sujet des maladies, de la physiologie humaine et de la psychologie, ils ne savent pas grand-chose sur les médicaments autrement que ce qui a été soigneusement concocté et trafiqué par l’industrie pharmaceutique. De plus, ils ne savent pas que leurs médecins peuvent avoir intérêt à choisir certains médicaments ni que bien des crimes commis par l’industrie pharmaceutique ne pourraient survenir si les médecins ne s’en rendaient pas complices.

Il est difficile de changer un système et il n’est pas surprenant que des gens qui ont à vivre avec un système déréglé tentent d’en tirer le meilleur parti possible, même quand il arrive souvent qu’il en résulte que des gens bien intentionnés finissent par faire des choses condamnables. Toutefois, bien des cadres supérieurs de l’industrie pharmaceutique n’ont pas cette excuse puisqu’ils ont délibérément menti aux médecins, aux patients, aux régulateurs et aux magistrats.

Je dédie ce livre aux nombreuses personnes honnêtes qui travaillent dans l’industrie pharmaceutique et qui sont tout autant horrifiées que moi par les crimes commis à répétition par leurs supérieurs et par les conséquences désastreuses pour les patients et l’économie de la nation. Certains m’ont déjà dit qu’ils souhaiteraient que leurs patrons soient emprisonnés puisque seule cette menace pourrait les dissuader de continuer à commettre des crimes.

[Lire la suite dans le livre : chacune ses 600 pages est au vitriol ! ÉC]


Plan du livre :

Peter C. Gøtzsche : Remèdes mortels et crime organisé

Table des matières

Avant-propos par Richard Smith (Rédacteur en chef du BMJ, British Medical Journal)

Avant-propos par Drummond Rennie (Rédacteur en chef du JAMA, Journal of the American Medical Association)

1  – Introduction

2  – Confessions d’un initié

DÉCÈS CAUSÉS PAR L’ASTHME PROVOQUÉS PAR LES AÉROSOLS CONTRE L’ASTHME

MARKETING VÉREUX ET RECHERCHE

3  – Le crime organisé, modèle d’affaires des grosses compagnies pharmaceutiques

LE PLUS GROS REVENDEUR DE STUPÉFIANTS, HOFFMAN-LA ROCHE

LE TEMPLE DE LA HONTE POUR LES GRANDES PHARMACEUTIQUES

Pfizer accepte de payer 2,3 milliards de dollars en 2009

Novartis accepte de payer 423 millions de dollars en 2010

Sanofi-Aventis doit payer + de 95 millions de dollars pour régler une accusation de fraude en 2009

GlaxoSmithKline doit payer 3 milliards de dollars en 2011

AstraZeneca doit payer 520 millions de dollars en 2010 pour régler une affaire de fraude

Roche persuade des gouvernements de faire des réserves de Tamiflu

Johnson & Johnson contrainte de payer une amende de 1,1 milliard de dollars en 2012

Merck doit payer 670 millions de dollars pour avoir fraudé Medicaid en 2007

Eli Lilly doit payer plus de 1,4 milliard de dollars pour du marketing illégal en 2009

Abbott doit payer 1,5 milliard de dollars pour avoir fraudé Medicaid en 2012

LES CRIMES SONT RÉPÉTITIFS

C’EST DU CRIME ORGANISÉ

4  – Très peu de patients tirent avantage des médicaments qu’ils consomment

5  – Les essais cliniques, la rupture du contrat social avec les patients

6  – Les conflits d’intérêts dans les périodiques médicaux

7  – L’influence corruptrice de l’argent facile

8  – À quoi donc s’affairent les milliers de médecins à la solde de l’industrie ?

ÉTUDES DE FAMILIARISATION

LOUER UN MENEUR D’OPINION POUR « CONSEILLER »

LOUER UN MENEUR D’OPINION POUR « ÉDUQUER »

9  – Vendre sous pression

LES ÉTUDES CLINIQUES SONT DU MARKETING DÉGUISÉ

LA RÉDACTION PAR DES RÉDACTEURS ANONYMES (NÈGRES)

LA MACHINE DU MARKETING

VENDRE SOUS PRESSION AD NAUSEAM

LES MÉDICAMENTS TRÈS COÛTEUX

LES EXAGÉRATIONS AU REGARD DE L’HYPERTENSION

LES ORGANISMES DE PATIENTS

LE NOVOSEVEN POUR LES SOLDATS OUI SAIGNENT

10 – L’impuissance de la régulation des médicaments

LES CONFLITS D’INTÉRÊTS DANS LES AGENCES DU MÉDICAMENT (organismes gouvernementaux)

LA CORRUPTION DANS LES AGENCES DU MÉDICAMENT

L’INSOUTENABLE LÉGÈRETÉ DES POLITICIENS

LA RÉGULATION DES MÉDICAMENTS EST FONDÉE SUR LA CONFIANCE

L’ÉVALUATION INADÉQUATE DES NOUVEAUX MÉDICAMENTS

Deux seules études contrôlées avec placebo montrant un effet ne suffisent pas

Les études cliniques dans les pays largement corrompus

Un effet sur un résultat de substitution ne suffit pas

L’absence de données adéquates sur la sécurité n’est pas acceptable

TROP D’AVERTISSEMENTS ET TROP DE MÉDICAMENTS

Les statines

Les avertissements sont de fausses solutions

On en sait bien peu au sujet de la polypharmacie

11 – L’accès public aux données des agences du médicament

NOTRE PERCÉE À L’AGENCE EUROPÉENNE DU MÉDICAMENT (EMA) EN 2010

L’ACCÈS AUX DONNÉES DANS LES AUTRES AGENCES DU MÉDICAMENT

DES PILULES AMAIGRISSANTES MORTELLES

12 – Le Neurontin, un médicament pour l’épilepsie utile pour traiter n’importe quoi

13 – Merck, où les patients meurent en premier

14 – L’étude frauduleuse du celecoxib et autres mensonges

LE MARKETING FAIT DU TORT

15 – Substituer des médicaments coûteux aux remèdes moins chers chez les mêmes patients

NOVO NORDISK FAIT PASSER LES PATIENTS À L’INSULINE QUI COÛTE CHER

ASTRAZENECA FAIT PASSER DES PATIENTS À LA COÛTEUSE OMÉPRAZOLE

16 – Le glucose sanguin était correct, mais les patients sont morts

NOVO NORDISK TENTE D’INTIMIDER UN PÉRIODIQUE SCIENTIFIQUE

17 – La psychiatrie, paradis de l’industrie pharmaceutique

SOMMES-NOUS TOUS FOUS OU QUOI ?

LES PSYCHIATRES COMME COLPORTEURS DE MÉDICAMENTS

LE CANULAR DU DÉSÉQUILIBRE CHIMIQUE

LE DÉPISTAGE DES MALADIES PSYCHIATRIQUES

LES PILULES DU MALHEUR

PROZAC, UN ABOMINABLE MÉDICAMENT D’ELI LILLY TRANSFORMÉ EN VEDETTE

L’EXERCICE EST UNE BONNE INTERVENTION

D’AUTRES MENSONGES AU SUJET DES PILULES DU BONHEUR

18 – Inciter les enfants au suicide avec des pilules du bonheur

ÉTUDE 329 DE GLAXO

LE CAMOUFLAGE DES SUICIDES ET DES TENTATIVES DE SUICIDE DANS LES ÉTUDES CLINIQUES

LE RAJEUNISSEMENT DU CITALOPRAM PAR LUNDBECK

LES MÉDICAMENTS ANTIPSYCHOTIQUES

LE  ZYPREXA, UN AUTRE MÉDICAMENT HORRIBLE D’ELI LILLY TRANSFORMÉ EN GRAND SUCCÈS

POUR EN FINIR AVEC LES MÉDICAMENTS PSYCHOTROPES

19 – Intimidation, menaces et violence pour protéger les ventes

Thalidomide

Autres cas

20 – Démolir les mythes de l’industrie

Mythe 1 :  Les médicaments sont dispendieux en raison des coûts élevés de leur découverte et de leur mise au point

Mythe 2 :  Si l’on n’utilise pas les médicaments coûteux, l’innovation va se tarir

Mythe 3 :  Les économies sont plus élevées que les coûts des médicaments dispendieux

Mythe 4 :  Les percées proviennent de la recherche financée par l’industrie

Mythe 5 :  Les compagnies pharmaceutiques se font concurrence dans un marché libre

Mythe 6 :  Les partenariats public-industrie sont avantageux pour les patients

Mythe 7 :  Les études de médicaments ont pour but d’améliorer le traitement des patients

Mythe 8 :  Nous avons besoin de plusieurs médicaments d’un même type parce la réponse des patients est variable

Mythe 9 :  Ne pas utiliser les médicaments génériques parce que leur puissance varie

Mythe 10 : L’industrie paie la formation médicale continue parce que les fonds publics ne le font pas

21 – La faillite générale du système commande une révolution

NOS MÉDICAMENTS NOUS TUENT

DE QUEL MÉDICAMENT A-T-ON VRAIMENT BESOIN ET À QUEL PRIX ?

LE MODÈLE À BUTS LUCRATIFS EST LE MAUVAIS MODÈLE

LES ÉTUDES CLINIQUES

LES AGENCES DE RÉGULATION DES MÉDICAMENTS

Les résultats de substitution ne devraient jamais être acceptés

Des populations de patients, des comparateurs et des résultats pertinents

La sécurité

Toutes les données cliniques doivent être accessibles au public

Les conflits d’intérêts

L’étiquetage des médicaments

LES FORMULAIRES DE MÉDICAMENTS ET LES COMITÉS DE CONSIGNES DE PRATIQUE

LE MARKETING DES MÉDICAMENTS

LES MÉDECINS ET LEURS ORGANISMES

Les subventions non éducatives avec restrictions

LES PATIENTS ET LEURS ORGANISMES

LES PÉRIODIQUES MÉDICAUX

LES JOURNALISTES

22 – Un dernier éclat de rire aux dépens de Big Pharma

L’ARGENT N’EMPESTE PAS

L’INVENTION DES MALADIES

Notes (plus de 1 300 preuves sourcées)

À propos de l’auteur


Chapitre 3 Le crime organisé, modèle d’affaires des grosses compagnies pharmaceutiques

Les compagnies pharmaceutiques ne parlent jamais des bienfaits ni des dangers de leurs médicaments, mais plutôt de leur efficacité et de leur innocuité. Les mots créent ce qu’ils décrivent, et la sémantique privilégiée est séduisante. Cela porte à croire que ce ne peut être que bénéfique de prendre des médicaments, parce qu’ils sont à la fois efficaces et sans danger. Les patients et les médecins font aussi habituellement confiance à l’efficacité et à l’innocuité des médicaments pour une autre raison, en pensant qu’ils ont été soigneusement examinés par les agences de réglementation des médicaments, à l’aide des critères les plus exigeants, avant d’êtres autorisés à la mise en marché.

Cela se passe en fait à l’inverse. Si on les compare à l’eau et à la nourriture, qui sont non seulement inoffensives mais constituent des biens dont on a besoin pour survivre, les médicaments ne sont habituellement ni efficaces ni sécuritaires. Paracelse a déclaré il y a 500 ans que tous les médicaments sont des poisons et que seule la dose différencie un poison d’un remède. Les médicaments font toujours des dégâts. Si ce n’était pas le cas, ils seraient inertes et donc incapables d’apporter un bienfait quelconque. Il est donc essentiel de déterminer la dose qui cause plus de bien que de mal à la plupart des patients pour tous les médicaments. Même lorsqu’on y parvient, la plupart des patients ne tireront aucun avantage des médicaments qu’ils prennent (voir le chapitre 4).

Bien qu’il soit assez évident que les médicaments peuvent tuer, c’est une réalité souvent escamotée, aussi bien par les patients que les médecins. Les gens font tellement confiance à leurs médicaments que le médecin canadien Sir William Osier (1849-1919) a écrit que « le désir de prendre un médicament est peut-être ce qui distingue le plus les hommes des animaux1 ». La toxine botulinique, une neurotoxine sécrétée par la bactérie Clostridium botulinum, constitue un exemple particulièrement étonnant. C’est l’un des plus violents poisons du monde naturel, une dose aussi petite que 50 ng a tué la moitié des singes d’une étude de toxicité (ce qui signifie qu’on peut tuer 10 millions de singes avec 1 gramme de cette substance). Je me demande bien qui avait besoin de cette information au point de tuer nos proches parents du règne animal pour l’obtenir. A quoi sert cet incroyable médicament meurtrier ? À traiter les rides entre les sourcils ! Celles-ci apparaissent avec l’âge, mais il faut faire attention de ne pas être trop vieux ni d’avoir trop de tremblements au moment d’injecter la toxine, car elle peut être absorbée par les muqueuses des yeux, ce qui aurait pour effet de causer la mort. L’encart contenu dans l’emballage avertit d’ailleurs que des décès sont survenus. Est-ce que cela vaut vraiment la peine de courir le risque de mourir, aussi petit soit-il, seulement parce qu’on a des rides ? D’autres questions sont soulevées : « Le médicament peut-il être utilisé à des fins suicidaires ou meurtrières ? Pourquoi a-t-il été approuvé ? »

Le fait que les médicaments soient dangereux et devraient être utilisés avec précaution signifie que les normes d’éthique des ceux qui s’occupent de la recherche et de la commercialisation pharmaceutiques devraient être très élevées. Je me suis entretenu avec plusieurs acteurs de l’industrie pharmaceutique pour découvrir ce que les compagnies pensent d’elles-mêmes, et les réponses varient de très positives, en provenance de ceux qui étaient fiers des études cliniques qu’ils avaient effectuées, à très négatives. Il est peut-être plus intéressant d’observer l’impression que les compagnies pharmaceutiques veulent projeter sur le public, et de comparer cela avec ce qu’elles font réellement. La Pharmaceutical Research and Manufacturera of America (PhRMA) prétend que ses membres sont « engagés à obéir aux normes d’éthique les plus rigoureuses, ainsi qu’à toutes les exigences légales2 ». Son propre Code sur les interactions avec les professionnels de la santé (Code on Interactions with Healthcare Professionals) déclare3 :

Notre mission d’aider les patients repose essentiellement sur des relations éthiques avec les professionnels de la santé Une part importante du succès de cette mission consiste à s’assurer que les professionnels de la santé puissent compter sur les informations les plus récentes et les plus valides disponibles à propos des médicaments d’ordonnance.

Allons-y d’une autre citation. On trouve le texte suivant sous la rubrique OBJECTIF ENGAGEMENT HONNÊTETÉ : « Notre objectif est d’être le producteur de biens de consommation le plus populaire, respecté et socialement responsable au monde4. » Comme on le verra sous peu, les actions de l’industrie pharmaceutique ont très peu à voir avec l’honnêteté, le respect, et la responsabilité sociale. Comment peuvent-ils donc écrire tout cela à propos d’eux-mêmes ? En fait, ce n’est pas eux qui ont dit cela. Ils auraient pu, mais la citation provient d’une publicité de Philip Morris dans un journal où l’on peut admirer le portrait d’une jeune femme souriante dont la beauté ne tardera certes pas à se faner si elle fume.

Je dis cela pour illustrer le fait que même l’industrie la plus meurtrière de la planète ne peut résister à la tentation de répandre des bobards tout en augmentant la consommation totale de tabac grâce à une commercialisation ciblée directement sur les adolescents des pays en développement qui n’ont pas encore commencé à fumer. Cette commercialisation fait plus que compenser le déclin du tabagisme dans les pays développés. En quoi est-ce socialement responsable de tuer délibérément tous les ans des millions de gens qui n’avaient pas besoin du produit au départ ? Ceux qui ont essayé de fumer une cigarette savent de quoi je parle. À 15 ans, j’ai réussi à fumer la moitié d’une cigarette avant de devenir tellement étourdi que j’ai vomi, pour ensuite quitter l’école et aller directement au lit, aussi pâle que mes draps. Ma mère s’est demandée quelle terrible maladie m’avait frappé aussi durement, et elle me confia plus tard avoir trouvé la moitié d’une cigarette dans ma poche de chemise.

L’écart entre ce que proclame l’industrie pharmaceutique sur « les normes d’éthique les plus rigoureuses », « le respect de toutes les exigences légales et « les informations les plus valides sur les médicaments d’ordonnance » et la réalité de la conduite des grandes pharmaceutiques est aussi très important. L’image que les principaux dirigeants ont d’eux-mêmes – ou encore l’impression qu’ils tentent de donner à propos de leurs activités – n’est même pas partagée par leurs propres employés. Un sondage interne de 2001 effectué auprès des employés de Pfizer, dont la consultation n’est pas accessible au public, montrait que 30 % environ n’étaient pas d’accord avec l’énoncé « « La haute direction fait preuve d’un comportement éthique et honnête5. »

En 2012, la compagnie Pfizer a accepté de payer 60 millions de dollars aux États-Unis pour régler à l’amiable une enquête fédérale sur une affaire de pots-de-vin à l’étranger. Pfizer était accusée d’avoir corrompu non seulement des médecins, mais aussi des administrateurs et des législateurs dans plusieurs pays d’Europe et d’Asie6. Les enquêteurs ont affirmé que des divisions de Pfizer avaient tenté de cacher les pots-de-vin en décrivant les paiements comme des dépenses légitimes dans la comptabilité ; de la formation, des frais de transport ou de divertissement, par exemple. D’après les documents du procès, la compagnie a effectué des virements mensuels pour ce qu’elle a décrit comme « des services de consultant » à un médecin en Croatie qui a contribué à décider quels médicaments le gouvernement autoriserait pour la vente et le remboursement. Pfizer n’a pas nié ni admis les allégations, ce qui est routinier lorsque les compagnies pharmaceutiques règlent à l’amiable des accusations de fraude.

LE PLUS GROS REVENDEUR DE STUPÉFIANTS, HOFFMAN-LA ROCHE

Les 10 plus grandes compagnies pharmaceutiques7 sont toutes signataires du code US PhRMA, à l’exception de Hoffman-La Roche, de Suisse3, qui était le plus important fraudeur corporatif au monde dans les années 1990 selon un classement de 1999 répertoriant toutes les industries, y compris les banques et l’industrie pétrolière8. Des hauts dirigeants de Roche (logo d’Hoffmann-La Roche) menaient un cartel qui, d’après la division antitrust du ministère de la Justice des États-Unis, était le complot criminel antitrust le plus envahissant et le plus néfaste jamais découvert9. Des membres de la haute direction de certaines des plus grandes compagnies pharmaceutiques du monde, d’Europe et d’Asie surtout, se rencontraient secrètement dans des suites de grands hôtels et lors de conférences. Travaillant de concert dans une coalition effrontément appelée Vitamins Inc., ils se sont partagé les marchés mondiaux en orchestrant soigneusement des augmentations de prix, escroquant du coup certaines des plus grandes compagnies d’alimentation au monde. À elle seule, Roche a eu des revenus de 3,3 milliards de dollars aux États-Unis pour la durée du complot et, pendant ce temps, les conspirateurs ont graduellement augmenté le prix des vitamines brutes de façon subtile pour ne pas attirer l’attention ; ils ont aussi truqué le processus des appels d’offres9.

Le ministère de la justice a accusé Kuno Sommer, ancien directeur du marketing mondial de la division vitamines et produits de chimie fine de Hoffman-La Roche, d’avoir participé au cartel des vitamines et d’avoir menti aux enquêteurs du ministère en 1997 pour tenter de cacher le complot10. Sommer a plaidé coupable et écopé d’une peine de quatre mois de prison. Suivant l’effondrement du complot, ceux qui étaient impliqués ont accepté de payer presque 1 milliard de dollars pour régler les accusations antitrust fédérales, et presque tous les gros fabricants de vitamines du monde étaient à un cheveu d’accepter de payer une somme additionnelle de 1 milliard de dollars. Roche accepta de payer 500 millions de dollars, l’équivalent d’un an environ du revenu de ses ventes de vitamines aux États-Unis, et deux directeurs ont reçu des sentences de prison de quelques mois. Du côté de l’Europe, la Commission européenne imposa des amendes à quelques-unes des plus grandes compagnies pharmaceutiques du monde, incluant Roche, pour la somme record de 523 millions de livres sterling en 200111. Il est surprenant que le cartel ait existé aussi longtemps étant donné qu’un initié de Roche avait déjà sonné l’alarme en 1973, ce dont avait pris acte la Commission européenne (voir le chapitre 19).

Entre les deux guerres mondiales, Roche a fourni de la morphine au monde interlope. D’autres compagnies pharmaceutiques du Royaume-Uni, d’Allemagne, du Japon, de la Suisse, et des États-Unis ont aussi participé au commerce de l’opium, de la morphine, et de l’héroïne12-14. Le PDG de Roche aux États-Unis, Elmer Bobst, a eu beaucoup de mal à persuader ses supérieurs de Baie de mettre un terme à leurs pratiques d’affaires contraires à l’éthique13. Roche a continué à envoyer des stupéfiants aux États-Unis à l’insu de Bobst, mais ce dernier mit la main sur un télégramme énigmatique au cours d’une visite au siège social, qui ne laissait aucun doute sur le fait que cela provenait de criminels américains. Il était question d’une cargaison de bicarbonate de soude, qu’on utilise pour faire des gâteaux !

Roche accepta d’interrompre le trafic quand Bobst a rapporté que le gouvernement des États-Unis avait menacé d’interdire à la société de faire des affaires aux États-Unis si elle ne cessait pas ces activités. Toutefois, Roche ne tarda pas à s’y remettre, encore une fois sans en aviser Bobst. Dans son livre13, Bobst mentionne que l’homme derrière tout cela n’était pas fondamentalement un homme immoral, mais complètement amoral en affaires. Bobst ne comprenait pas comment il était possible d’avoir deux normes d’éthique, une pour la vie privée et l’autre pour les affaires. Il a aussi décrit comment Roche esquivait les impôts suisses grâce à une compagnie établie dans un paradis fiscal, le Lichtenstein.

Vendre des médicaments dont les gens n’ont pas besoin constitue une pratique très lucrative, surtout quand les médicaments affectent des fonctions cérébrales. Roche a poussé le Valium (diazépam) jusqu’à ce qu’il devienne le médicament le plus vendu au monde, quoique plusieurs indications pour son utilisation eussent été très douteuses, et que son prix de gros était vingt-cinq fois plus élevé que le prix de l’or12. Au début des années 1970, Roche a été mise à l’amende par des officiels antitrust en Europe pour s’être adonnée à un comportement anticoncurrentiel dans la vente du Valium et d’un autre tranquillisant parmi les meilleurs vendeurs, le Librium (chlordiazépoxide)9.

Il aura fallu 27 ans après que le premier rapport à propos de la dépendance ait été publié avant que les autorités chargées de réglementer les médicaments reconnaissent catégoriquement que les tranquillisants créent une forte dépendance15, au même titre que l’héroïne et d’autres stupéfiants. Quand on tente de comprendre ce que l’industrie pharmaceutique fait à la population, je crois que le fait que certaines des drogues qui affectent le cerveau soient légales et d’autres illégales n’a aucune pertinence dans une perspective relevant de l’éthique. En outre, la distinction n’a aucune importance si l’on considère que l’industrie pharmaceutique ne se préoccupe pas vraiment de savoir si ses gestes sont légaux ou pas, comme l’illustre leur utilisation envahissante du marketing illégal. De plus, ce qui est légal ou pas peut varier en fonction des pays, des modes et des croyances de l’époque. Par exemple, les stupéfiants n’ont pas toujours été illégaux, et bien qu’il soit illégal de vendre du hachich dans la plupart des pays, il est légal d’en fumer aux Pays-Bas. Il est vendu dans des soi-disant cafés, un drôle de nom qui m’a déjà induit en erreur. Les petits-déjeuners servis dans les hôtels sont trop dispendieux quand on pense aux quelques aliments que la plupart d’entre nous mangeons le matin. J’ai alors décidé d’aller dans un café un beau matin à Amsterdam. Le propriétaire a bien rigolé quand je lui ai demandé un café, étant donné qu’il n’en avait pas. Peu de temps après, trois ravissantes filles du Moyen-Orient sont entrées dans le café et m’ont affirmé que le Libanais Noir était le meilleur et que c’était d’ailleurs cela qu’elles s’apprêtaient à fumer.

Un autre exemple d’incohérence légale en ce qui a trait aux substances qui affectent le cerveau : il est illégal de produire son propre brandy mais légal d’en acheter au magasin.

Peu importe le statut légal des substances psychoactives, il y a des médicaments à vendre dans les deux cas. Après avoir examiné l’industrie pharmaceutique en détail, John Braithwaite a publié ses observations dans un livre intitulé Corporate Crime in the Pharmaceutical Industry. Dans son ouvrage, on peut lire ceci12 :

Les gens qui ont une dépendance à des drogues illicites comme l’héroïne sont perçus comme faisant partie des parias les plus crapuleux de la civilisation moderne. Par comparaison, on a tendance à considérer les colporteurs de médicaments licites comme autant de fournisseurs d’un bien social, motivés par l’altruisme.

LE TEMPLE DE LA HONTE POUR LES GRANDES PHARMACEUTIQUES

Le BMJ paraît une fois par semaine, et la plupart des numéros décrivent un ou des scandales reliés à l’industrie pharmaceutique dans la section Nouvelles, ou ailleurs. Le New York Times publie aussi plusieurs articles à propos des incartades de l’industrie pharmaceutique, et la plupart des documents que j’ai amassés au cours des années proviennent de ces deux sources très respectées. Ces dernières années, plusieurs articles et livres ont décrit des cas de fautes professionnelles graves commises par les grandes sociétés pharmaceutiques sur le plan de la recherche, ainsi que des exemples de marketing frauduleux2,5,6,16, 22, mais bien que la preuve soit accablante, la réaction typique de l’industrie pharmaceutique quand une compagnie se fait prendre, c’est de dire qu’il s’agit de quelques pommes pourries comme on en trouve dans toutes les entreprises.

La question qui nous intéresse, c’est de savoir si l’on trouve une pomme pourrie isolée ici et là, ce qui pourrait être excusable, ou si c’est le panier entier qui est pourri, c’est-à-dire si la plupart des compagnies ont l’habitude d’enfreindre la loi.

Pour le savoir, j’ai effectué dix recherches sur Google en 2012, en combinant les noms des dix plus importantes compagnies pharmaceutiques7 avec le mot « fraude ». J’ai relevé entre 0,5 et 27 millions de mentions pour chacune des compagnies. J’ai choisi l’affaire la plus marquante décrite parmi les dix mentions de la première page soumise par Google et j’ai étoffé l’information à l’aide de sources additionnelles.

Les dix cas étaient tous récents (2007-2012) et tous impliquaient les États-Unis23,24. Les infractions criminelles les plus fréquentes concernaient le marketing illégal qui recommandait des médicaments pour des utilisations hors indications, des déclarations mensongères à propos des résultats expérimentaux, des dissimulations d’informations à propos des dangers des médicaments, et de la fraude aux dépens de Medicaid et de Medicare. Je décris les cas en ordre décroissant, selon la taille de la compagnie.

Pfizer accepte de payer 2,3 milliards de dollars en 2009

À l’époque, c’était le plus imposant règlement dans une affaire de fraude des soins de santé de toute l’histoire du ministère de la Justice des États-Unis35. Une filiale de la compagnie a plaidé coupable à des accusations de mauvais étiquetage de médicaments « dans le but de frauder ou de tromper » et la compagnie a été jugée coupable d’avoir fait la promotion illégale de quatre médicaments : Bextra (valde-coxib, un médicament contre l’arthrite, retiré du marché en 2005) ; Geodon (ziprasidone, un antipsychotique) ; Zyvox (linezolid, un antibiotique) et Lyrica (pregabaline, pour traiter l’épilepsie).

Une somme de 1 milliard de dollars a été prélevée pour régler à l’amiable les allégations stipulant que Pfizer avait offert des pots-de-vin et des séjours luxueux à des fournisseurs de services de santé pour les inciter à prescrire les quatre médicaments, et six lanceurs d’alerte reçurent 102 millions de dollars. Pfizer signa un engagement d’intégrité corporative avec le ministère de la Santé et des Services sociaux des États-Unis, ce qui implique l’obligation de bien se comporter pendant les cinq prochaines années. Pfizer avait ratifié trois ententes du même type auparavant26, et au moment même où Pfizer promettait aux procureurs fédéraux de ne plus jamais faire de marketing illégal en signant l’entente, elle faisait par ailleurs exactement cela27.

L’antibiotique de Pfizer, Zyvox, coûte huit fois plus cher que la vancomycine, un médicament supérieur selon les dires mêmes de Pfizer dans son propre manuel de référence, mais Pfizer a menti aux médecins, en leur disant que Zyvox était meilleur. Même après que la FDA ait dit à Pfizer d’arrêter ses prétentions non fondées car elles constituaient des risques sérieux étant donné que la vancomycine est utile pour des conditions qui mettent en danger la vie du malade, Pfizer a continué à dire aux hôpitaux et aux médecins que Zyvox sauverait plus de vies que la vancomycine27.

Novartis accepte de payer 423 millions de dollars en 2010

Le paiement concernait la responsabilité civile et criminelle qui découlait du marketing illégal du Trileptal (oxcarbaze-pine, un médicament pour traiter l’épilepsie et approuvé pour traiter les crises partielles, mais pas pour aucune douleur, aucun problème psychiatrique ni aucune autre utilisation)28. La compagnie a fait le marketing illicite du Trileptal et de cinq autres médicaments, et entraîné la soumission de requêtes frauduleuses de remboursement auprès des programmes de santé gouvernementaux. L’entente résolvait les allégations stipulant que la compagnie avait payé des pots-de-vin à des professionnels de la santé dans le but de les inciter à prescrire du Trileptal et cinq autres médicaments : le Diovan (valsartan, pour l’hypertension) ; le Zelnorm (tegaserod, un médicament pour le syndrome du côlon irritable et la constipation, retiré du marché par la FDA en 2007 en raison de sa toxicité cardio-vasculaire) ; le Sandostatin (octreotide, un médicament qui imite une hormone naturelle) ; l’Exforge (amlodipine + valsartan, pour l’hypertension) et le Tekturna (aliskiren, pour l’hypertension).

Les lanceurs d’alerte, tous d’anciens employés de Novartis, ont reçu des paiements de plus de 25 millions de dollars et Novartis a ratifié un engagement d’intégrité corporative.

Sanofi-Aventis doit payer plus de 95 millions de dollars pour régler une accusation de fraude en 2009

Selon l’arrangement à l’amiable, Aventis avait surfacturé des organismes de santé locaux et fédéraux pour des médicaments destinés à des patients nécessiteux29,30. Le ministère de la Justice assura qu’il ferait en sorte de garantir que les programmes destinés aux groupes les plus vulnérables dans la population ne paieraient pas plus cher pour des médicaments que ce que la loi permet. Aventis reconnut avoir communiqué des informations inexactes sur le prix des médicaments pour des patients du programme de rabais du prix des médicaments destinés aux patients pauvres par Medicaid. La compagnie a fait exprès pour fausser les prix, en sous-payant les rabais à Medicaid tout en surfacturant certains organismes de santé publique pour ces médicaments. La fraude a eu lieu entre 1995 et 2000 et concernait des pulvérisations nasales à base de stéroïdes contenant de la triamcinolone.

GlaxoSmithKline doit payer 3 milliards de dollars en 2011

Il s’agit du plus important règlement de toute l’histoire du ministère de la Justice des États-Unis dans une affaire de fraude des soins de santé31-33. GlaxoSmithKline a reconnu être coupable d’avoir fait le marketing d’un certain nombre de médicaments de manière illégale pour des utilisations hors indications, incluant le Wellbutrin (bupropion, un antidépresseur) ; le Paxil (paroxetine, un antidépresseur) ; l’Advair (fluticasone + salmeterol, un médicament pour l’asthme) ; l’Avandia (rosiglitazone, un médicament pour traiter le diabète) et le Lamictal (lamotrigine, un médicament pour l’épilepsie).

Un an auparavant, le ministère de la Justice avait accusé un ancien vice-président et un des principaux avocats de Glaxo d’avoir fait de fausses déclarations et d’avoir entravé une enquête fédérale sur le marketing illégal du Wellbutrin pour la perte de poids34. L’accusation incriminait le vice-président d’avoir menti à la FDA en niant que les médecins qui faisaient des présentations lors d’événements corporatifs avaient fait la promotion du Wellbutrin pour des utilisations qui n’avaient pas été approuvées par l’organisme, et d’avoir caché des documents incriminants.

La compagnie a versé des pots-de-vin à des médecins, négligé d’inclure certaines données sur la sécurité de la rosiglitazone dans des rapports soumis à la FDA, et même suggéré que l’Avandia comportait des bienfaits pour le système cardiovasculaire dans les programmes qu’elle commandite, malgré la présence d’avertissements à propos des risques cardiovasculaires sur l’étiquette approuvée par la FDA. Avandia a été retiré du marché européen en 2010 en raison d’une augmentation des décès cardiovasculaires.

Certaines allégations de fraude envers le programme Medicaid faisant état de fausses informations à propos des prix étaient aussi couvertes par l’entente. Les lanceurs d’alerte étaient quatre employés de GlaxoSmithKline, y compris un ancien directeur du développement marketing senior et un vice-président régional. La compagnie conclut un engagement d’intégrité corporative.

AstraZeneca doit payer 520 millions de dollars en 2010 pour régler une affaire de fraude

Les accusations stipulaient qu’AstraZeneca avait procédé au marketing illégal d’un de ses médicaments les plus populaires, l’antipsychotique Seroquel (quétiapine), aux enfants, aux personnes âgées, aux anciens combattants, et aux détenus, pour des utilisations non approuvées par la FDA, comprenant l’agressivité, la maladie d’Alzheimer, la maîtrise de la colère, l’anxiété, le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH), la démence, la dépression, les troubles de l’humeur, le syndrome post-traumatique et l’insomnie35. De plus, la compagnie a ciblé son marketing illégal sur des médecins qui ne traitent habituellement pas de patients psychotiques, en versant des pots-de-vin à certains d’entre eux. D’autres médecins ont été envoyés dans des complexes touristiques somptueux pour les encourager à faire la promotion du médicament et à le prescrire pour des utilisations hors indications. Le lanceur d’alerte devait recevoir au-delà de 45 millions de dollars.
L’amende était minime, étant donné que les ventes du médicament avaient atteint 4,9 milliards en 200936. AstraZeneca a nié toute action fautive, bien que ses méfaits aient été évidents. Voici la déclaration du procureur général des Etats-Unis à ce propos35 :

Il n’est pas question de crimes sans victimes – les gestes illégaux des compagnies pharmaceutiques et les affirmations mensongères à l’encontre de Medicare et de Medicaid peuvent mettre en danger la santé du public, corrompre les décisions médicales des fournisseurs de services de santé, et soutirer des milliards de dollars directement des poches des contribuables.

Roche persuade des gouvernements de faire des réserves de Tamiflu

Roche a perpétré ce qui est à mes yeux le plus grand vol de l’histoire37-47, bien que personne n’ait encore traîné la compagnie devant un tribunal. Pour se préparer à l’épidémie modérée d’influenza de 2009, les gouvernements des États-Unis et de l’Europe ont dépensé des milliards d’euros et de dollars pour acheter du Tamiflu (oseltamivir).

Roche a omis de publier la plupart des données provenant des études cliniques et refusé de les partager avec des chercheurs indépendants de la Collaboration Cochrane. En se basant sur des essais non publiés, Roche prétendait que le Tamiflu réduisait les admissions à l’hôpital de 61 %, les complications secondaires de 67 %, et les infections des voies respiratoires inférieures nécessitant des antibiotiques de 55 %38. Curieusement, la compagnie a convaincu l’European Medianes Agency (EMA) d’approuver le médicament pour la prévention des complications dues à l’influenza, et le résumé des caractéristiques du produit publié par l’organisme déclarait que les complications des voies respiratoires inférieures avaient été réduites passant de 12,7 % à 8,6 % (P = 0,001)38.

En contrepartie, la FDA a envoyé une lettre d’avertissement intimant à Roche de cesser de prétendre que le Tamiflu réduit la gravité et l’incidence des infections secondaires, et en obligeant la compagnie à imprimer une mise en garde sur les étiquettes : « Les effets positifs du Tamiflu sur des conséquences potentielles de l’influenza saisonnière, aviaire, ou pandémique (comme les hospitalisations, la mortalité, ou l’impact économique) n’ont pas été démontrés37,47. »

Quand la FDA a examiné pour la première fois le zanamivir (Relenza), un médicament similaire produit par GlaxoSmithKline, le comité consultatif a recommandé que le médicament ne soit pas approuvé par un vote de 13 contre 439. D’une analyse à l’autre, le zanamivir n’était pas plus efficace qu’un placebo quand les patients prenaient un autre médicament comme du paracétamol39. Dans les jours qui ont suivi cette décision, Glaxo fit parvenir une missive enflammée à la FDA déclarant que la décision était « en complet désaccord avec la volonté du Congrès qui souhaite que le développement et l’approbation des médicaments s’effectuent rapidement et avec assurance40 ». Cette menace a eu pour effet d’ébranler la direction de la FDA qui renversa la décision du comité en critiquant l’évaluateur, le biostatisticien Michael Elashoff, pour avoir fait un témoignage négatif. À l’origine, Elashoff était aussi chargé d’examiner la demande concernant l’oseltamivir, mais on la lui retira39 et il quitta l’agence après que cette dernière eut fait la démonstration du processus faisant qu’un médicament inefficace soit approuvé. Quand le zanamivir a été approuvé, la FDA a été contrainte d’approuver aussi l’oseltamivir la même année41.

Il n’existe pas de preuve convaincante que le Tamiflu prévienne les complications dues à l’influenza ou qu’il réduise la transmission de l’influenza aux autres. Cependant, Roche a engagé des rédacteurs anonymes, et l’un d’eux a rappelé : « Les comptes reliés au Tamiflu donnaient une liste de messages-clés qu’on devait insérer. C’était supervisé par le département du marketing et c’est à ce département que nous rendions des comptes38. » Au mieux, le Tamiflu réduit la durée de l’influenza de 21 heures42, ce qui peut probablement se faire à l’aide de médicaments beaucoup moins chers comme l’aspirine et le paracétamol44. En outre, le Tamiflu comporte des dangers importants, mais ils ont été si bien dissimulés que les chercheurs de Cochrane n’ont pas pu en parler dans leur révision Cochrane. Les chercheurs de Cochrane ont quand même trouvé que des cas d’hallucinations et d’accidents bizarres ont été rapportés assez régulièrement dans la surveillance post-marketing de Roche41, dans le même sens qu’une série de cas au Japon, et des expériences sur des rats qui montraient plusieurs des mêmes symptômes. Un article de périodique signé par un groupe d’auteurs de chez Roche prétendait que les souris et les rats à qui l’on avait donné une dose très élevée de Tamiflu ne présentaient aucun effet secondaire, mais selon les documents soumis au ministère japonais de la Santé, du travail, et du bien-être, par Chugai, la filiale Japonaise de Roche, la même dose de Tamiflu tuait plus de la moitié des bêtes41 !

Si les données non publiées par Roche avaient réellement démontré ce que la compagnie prétend, Roche n’aurait pas hésité à les publier ou à les partager avec les chercheurs de Cochrane. Étonnamment, cependant, Roche a déclaré que des études additionnelles « fournissaient peu d’information nouvelle et seraient donc peu susceptibles d’être publiées par les périodiques les plus réputés38 ». Ces affirmations sont ridicules. Je ne peux m’empêcher ici de citer Drummond Rennie, le rédacteur en chef du JAMA qui a déclaré dans la publicité qu’il a faite pour le premier congrès sur la révision par les pairs43 :

Il semble qu’aucune étude ne soit trop fragmentée, aucune hypothèse trop insignifiante, aucune citation tirée de la documentation qui soit trop subjective ou trop égoïste, aucune conception trop tordue, aucune méthodologie trop bâclée, aucune présentation des résultats qui soit trop inexacte, trop obscure, et trop contradictoire, aucune analyse qui soit trop intéressée, aucun argument trop partial, aucune conclusion trop vaseuse ou trop injustifiée, et aucune syntaxe ni grammaire trop insultantes pour empêcher qu’un article finisse par être publié.

Après beaucoup d’attention médiatique, Roche a promis en 2009 de placer sur son site Web la totalité des rapports n’ayant pas encore été publiés, mais on les attend encore.

Un autre fait pour le moins étrange est l’envoi par Roche d’un protocole d’entente à un des chercheurs de Cochrane stipulant qu’une fois signée, il ne pouvait même pas mentionner l’existence même de cette entente38 ! De toute évidence, Roche avait non seulement l’intention de continuer à cacher ses données, mais aussi de faire taire les gens qui demandaient à les voir. Le chercheur de Cochrane a demandé une clarification le jour suivant sans jamais recevoir de réponse.

Le Conseil de l’Europe a critiqué certains gouvernements nationaux, l’OMS (Organisation mondiale de la santé) et les organismes de l’UE (Union européenne) pour s’être rendus coupables d’actions ayant entraîné le gaspillage de sommes d’argent importantes45. Plusieurs se sont demandé pourquoi l’OMS choisissait, pour rédiger des directives relatives aux médicaments contre la grippe, des gens payés par les compagnies qui commercialisent ces médicaments, et qui omettaient ce détail dans leurs rapports et pourquoi il y avait tellement de secret autour de tout cela qu’il n’était même pas possible, de l’extérieur, d’obtenir de l’information sur ceux qui siégeaient au comité de l’OMS39.

L’OMS a été le partenaire idéal des excès de Roche qui s’est vantée de travailler à titre de partenaire responsable des gouvernements pour les assister dans leurs planifications destinées à faire face à la pandémie39. Les actions de Roche démentent cette prétention, si bien que j’ai suggéré en 2012 que les gouvernements européens poursuivent Roche pour récupérer les milliards d’euros qu’ils avaient dépensés inutilement pour faire des réserves de Tamiflu, ce qui aurait aussi pu faire la lumière sur les résultats cliniques cachés46. De plus, j’ai proposé de boycotter les produits de Roche jusqu’à ce qu’ils publient les données manquantes sur le Tamiflu.

Johnson & Johnson contrainte de payer une amende de 1,1 milliard de dollars en 2012

Un jury a découvert que la compagnie et sa filiale Janssen ont minimisé et dissimulé certains risques associés à son médicament antipsychotique Risperdal (rispéridone)48. Le juge a découvert presque 240 000 infractions à la loi sur les fraudes de Medicaid en Arkansas. Les jurés ne tardèrent pas à rendre un verdict favorable à l’Etat, qui avait déclaré que Janssen avait menti au sujet des effets secondaires du Risperdal potentiellement dangereux pour la vie du malade ; comme ceux d’autres antipsychotiques, les effets incluaient des gains de poids, du diabète, des accidents vasculaires cérébraux, des convulsions, et même des décès. La FDA a ordonné à Janssen de publier un communiqué à l’intention des médecins pour corriger une lettre préalable qui disait que le médicament n’augmentait pas le risque de diabète. Après le verdict, Janssen a continué à insister sur le fait qu’elle n’enfreignait pas la loi. Parmi plusieurs verdicts rendus précédemment contre la compagnie quelques mois auparavant, on trouve une amende civile de 327 millions de dollars en Caroline du Sud et un règlement à l’amiable de 158 millions de dollars au Texas.

Le pire dans tout cela, c’est que les crimes ont aussi un lourd impact sur les enfants49. Plus d’un quart du Risperdal est consommé par des adolescents et des enfants, malgré des indications non autorisées ; un panel d’experts fédéraux spécialisés dans les médicaments a conclu que le médicament était beaucoup trop utilisé. Joseph Biederman, un pédopsychiatre de Harvard et de renommée internationale, s’est livré à une promotion agressive du médicament auprès des enfants, tout en extorquant la compagnie*.

* Biederman était un des papes de la psychiatrie de l’adolescent, ce qui lui donnait une influence assez grande pour que certaines pharmaceutiques lui versent un traitement annuel dans les 6 chiffres, ce qui était en contradiction avec les politiques de Harvard (étant professeur à temps plein, il avait caché ces revenus pendant des années). Le pot aux roses fut découvert, ce qui a mené à l’adoption par le Congrès des États-Unis du Sunshine Act, en vertu duquel les pharmaceutiques doivent déclarer à un registre national toute somme payée à un médecin. Ce registre national est accessible par Internet à tout citoyen, qui peut ainsi vérifier tout ce que touche de ces forbans son médecin traitant. L’extorsion réside dans le fait que Biderman était assez influent pour exiger de Johnson & Johnson qu’on augmente l’honoraire annuel que J&J lui versait sous peine de devenir une société fantôme en psychiatrie de l’enfance. Et J&J, qui sait reconnaître de quel côté son pain est beurré, a payé. D’où la notion d’extorsion.

La correspondance interne déposée en cour a révélé que Biederman était furieux après le rejet par Johnson & Johnson d’une demande qu’il avait faite pour recevoir une bourse de recherche de 280 000$. Un porte-parole de la compagnie écrivait alors : « Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi contrarié. Depuis lors, notre compagnie est devenue inexistante [sic] au sein de sa zone d’influence. »

La fraude pourrait également prendre encore plus d’ampleur. En avril 2012, le gouvernement des États-Unis déclarait, dans une motion déposée dans le cadre d’une affaire de fraude des soins de santé d’une valeur potentielle de plusieurs milliards intentée contre Johnson & Johnson, qu’Alex Gorsky, vice-président du marketing pressenti pour devenir le prochain chef de la direction de Johnson & Johnson, était très au courant de la fraude présumée et y était activement impliqué50. Selon les allégations, Johnson & Johnson avait versé des pots-de-vin pour inciter Omnicare, la plus grosse pharmacie des centres d’hébergement et de soins de longue durée des Etats-Unis, à acheter et à recommander le Risperdal et d’autres médicaments de la compagnie. La compagnie négligea d’informer Omnicare ou les membres de l’équipe des ventes de Janssen que la FDA avait averti la compagnie qu’il serait erroné et trompeur de commercialiser le Risperdal comme médicament sécuritaire et efficace pour les personnes âgées. En effet, le médicament n’avait pas été étudié de façon adéquate pour cette population et en outre, la FDA avait rejeté la tentative de la compagnie d’obtenir l’autorisation de vendre du Risperdal pour le traitement des désordres psychotiques et comportementaux attribués à la démence (de loin l’utilisation de Risperdal la plus courante dans les installations de soins de santé desservies par Omnicare) en raison de données insuffisantes à propos de la sécurité du produit). Malgré le poids des enquêtes fédérales et celles de l’Etat sur les allégations relatives au Risperdal, le conseil de la direction de Johnson & Johnson a récompensé Gorsky en le choisissant comme prochain chef de la direction. Tout comme dans la pègre : plus gros est le crime, plus l’avancement est important.

Merck doit payer 670 millions de dollars pour avoir fraudé Medicaid en 2007

Merck avait omis de payer les rabais appropriés à Medicaid et à d’autres programmes de soins de santé gouvernementaux, en plus de verser des pots-de-vin à des médecins et à des hôpitaux pour les encourager à prescrire différents médicaments51 . Les allégations ont été soulevées dans deux poursuites intentées séparément par des lanceurs d’alerte, et l’un d’entre eux devait recevoir 68 millions de dollars. De 1997 à 2001, la force de vente de Merck a utilisé approximativement 15 programmes différents pour inciter des médecins à prescrire des médicaments. Ces programmes consistaient surtout en des paiements excédentaires versés à des médecins sous le couvert d’honoraires pour de la « formation », de la « consultation », ou de la « recherche de marché ». Le gouvernement a présumé que ces honoraires étaient des pots-de-vin illégaux destinés à mousser les ventes des médicaments de Merck. Merck consentit à une entente d’intégrité corporative.

Eli Lilly doit payer plus de 1,4 milliard de dollars pour du marketing illégal en 2009

Eli Lilly a conclu une entente avec le ministère de la Justice pour régler une affaire au sujet d’un vaste complot impliquant le marketing non conforme de son médicament vedette, l’antipsychotique Zyprexa (olanzapine), avec des ventes mondiales de près de 40 milliards de dollars entre 1996 et 200952. En vertu de la décision, Eli Lilly paierait 800 millions de dollars en amendes civiles et plaiderait coupable à des accusations criminelles, en acquittant une amende additionnelle de 600 millions de dollars. Les allégations ont été soulevées par six lanceurs d’alerte de Lilly qui se partageraient environ 18 % des sommes récupérées par le fédéral et les États en cause. Tous les lanceurs d’alerte ont été congédiés ou contraints de démissionner par la compagnie. D’après la plainte, un représentant des ventes avait communiqué avec le service d’assistance téléphonique de la compagnie au sujet des pratiques de ventes contraires à l’éthique, mais n’avait reçu aucune réponse.

Lilly eut beaucoup de succès en commercialisant le Zyprexa pour de nombreuses utilisations hors indications incluant la maladie d’Alzheimer, la dépression et la démence, en particulier chez les enfants et les personnes âgées, bien que les dangers du médicament soient sérieux et susceptibles d’induire des défaillances cardiaques, des pneumonies, des gains de poids considérables et du diabète. Des vendeurs de Lilly disséminés dans l’auditoire posaient en personnes intéressées par les utilisations étendues du Zyprexa, formulant des « questions convenues » pendant des conférences traitant des utilisations hors indication et pendant des séances audio portant sur le même sujet et destinées aux médecins. Bien qu’on ait connu le risque substantiel de gain de poids que pose le Zyprexa, une autre tactique consistait pour la compagnie à minimiser le lien entre le Zyprexa et le gain de poids dans une vidéo largement diffusée et intitulée Le mythe du diabète, qui utilisait des « études scientifiques » d’une intégrité douteuse ainsi que le signalement désordonné d’effets secondaires indésirables. Le règlement à l’amiable comprenait un engagement d’intégrité corporative.

Abbott doit payer 1,5 milliard de dollars pour avoir fraudé Medicaid en 2012

Abbott régla à l’amiable des allégations d’avoir fraudé Medicaid en se livrant à du marketing illégal faisant la promotion de son médicament pour l’épilepsie Depakote (valproate) ; 84 millions de dollars seraient payés aux lanceurs d’alerte53,54. Abbott paierait 800 millions de dollars en amendes et dommages civils pour indemniser Medicaid, Medicare et les différents programmes de soins de santé fédéraux pour les dommages entraînés par sa conduite. Abbott plaida aussi coupable à une infraction de la Food, Drug, and Cosmetic Act (la Loi sur l’innocuité des aliments, médicaments, et cosmétiques) et accepta de payer une amende criminelle et des confiscations d’une valeur de 700 millions de dollars.

Les États ont allégué qu’Abbott avait moussé les ventes et l’utilisation du Depakote pour des utilisations non approuvées par la FDA comme étant sécuritaires et efficaces. De plus, on a accusé Abbott Laboratories d’avoir fait des déclarations trompeuses et mensongères à propos de l’innocuité, de l’efficacité, du dosage, et de l’efficience du Depakote pour certaines utilisations non autorisées. En outre, la compagnie aurait commercialisé de façon inappropriée son produit dans des centres d’hébergement pour patients déments alors qu’elle avait interrompu une étude auprès de patients similairement atteints, étude qui avait montré une augmentation des effets indésirables. Enfin elle aurait payé des pots-de-vin pour inciter les médecins et d’autres à prescrire le médicament ou à en faire la promotion. Abbott conclut une entente d’intégrité corporative.

LES CRIMES SONT RÉPÉTITIFS

Mon enquête a montré que la criminalité des entreprises est répandue et que les crimes sont commis sans pitié, dans le mépris le plus total des décès et des autres conséquences néfastes qu’elles causent. Vous constaterez en poursuivant la lecture du présent ouvrage que la criminalité des sociétés tue pas mal de gens12 et qu’elle implique aussi des détournements gigantesques de sommes d’argent des contribuables.

Il a été facile de trouver d’autres crimes commis par les mêmes dix principales compagnies24, des crimes perpétrés à l’extérieur des États-Unis, et des crimes commis par d’autres compagnies. J’ai utilisé le terme « fraude » dans mes recherches, mais j’aurais tout aussi bien pu utiliser « criminel », « illégal », « FBI », « pot-de-vin », « inconduite », « règlement », « corruption », « coupable », ou « crime », ce qui aurait dévoilé de nombreux autres crimes, additionnels et plus récents. Je décrirai ici un certain nombre d’autres crimes et je donnerai d’autres exemples plus tard.

En 2007, la FDA a éreinté Sanofi-Aventis à propos de son défaut d’agir dans des cas connus de fraude pendant une étude pivot de son antibiotique Ketek (telithromycine)55. La FDA avait exigé cette étude après avoir examiné le médicament pour la première fois, et la compagnie recruta plus de 24 000 patients en 5 mois seulement, en embauchant plus de 1 800 médecins, dont plusieurs qui en étaient à leur première étude clinique56.

Sanofi-Aventis continua à nier les accusations, bien que selon les archives de la compagnie et le témoignage d’un ancien employé celle-ci ait eu pleinement conscience qu’il s’agissait de données frauduleuses et qu’elle n’ait rien fait.

Un des médecins chercheurs a été condamné pour fraude après avoir enrôlé des patients et fabriqué des formulaires de consentement, il reçut une peine de 57 mois de prison. Ce médecin avait recruté plus de 400 patients, à raison de 400 dollars par patient, et aucun de ces patients n’avait abandonné l’étude, ni été perdu de vue pendant le suivi, ce qui est manifestement trop beau pour être vrai.

Après avoir inspecté neuf autres sites qui recrutaient beaucoup de patients, la FDA en soumit trois à des enquêtes criminelles56. Toutefois, bien que la FDA ait été au courant de l’inconduite, elle ne fit état d’aucun problème relatif aux données lors de la réunion de son comité consultatif, en invoquant l’excuse d’une obligation légale lui imposant de s’en abstenir en raison de l’existence d’une enquête criminelle56. Ce n’est pas une excuse valable, étant donné qu’il aurait pu décider de ne présenter aucune donnée de cette étude, ou de retarder la réunion jusqu’à ce que les problèmes aient été résolus.

Ignorant tout des controverses, le comité vota pour recommander l’homologation à 11 contre 1. La FDA accepta en outre des rapports étrangers de pharmacovigilance post homologation, comme preuves d’innocuité, bien que des données non contrôlées de ce genre soient sujettes à caution, et quoique les enquêteurs criminels eurent recommandé à la FDA d’examiner la question de l’implication soupçonnée de Sanofi-Aventis dans une fraude systématique. La FDA ne donna pas suite à cette recommandation et exerça plutôt des pressions sur ses chercheurs à l’interne pour qu’ils modifient leurs conclusions en faveur du médicament, ce qui, comme on le verra plus tard, semble être pratique courante à la FDA.

Sanofi-Aventis s’est vantée que le lancement du Ketek avait été celui de l’antibiotique le plus réussi de l’histoire. Cependant, sept mois seulement après le lancement, on rapportait un premier décès dû à une insuffisance hépatique.

D’autres cas suivirent. La FDA organisa une réunion d’urgence de ses « haut dirigeants » – ce qui n’inclut pas les responsables de la sécurité – et annonça que le médicament était sans danger en se référant à une étude qu’elle savait être frauduleuse56 ! Un mois plus tard, un des examinateurs du Ketek alerta la direction générale de la FDA au sujet des irrégularités, mais aucune action corroborative ne fut menée, et quelques mois plus tard, après 23 cas de blessures hépatiques graves et quatre décès rapportés, le commissaire Andrew von Eschenbach, de la FDA, interdit aux chercheurs de parler du Ketek à l’extérieur de l’agence. La FDA ne changea les étiquettes de Ketek pour alerter au sujet de sa toxicité pour le foie que 16 mois après que le premier cas eut été rendu public. La défense publiée par l’agence pour tout cela cause un certain malaise et ressemble beaucoup aux propos de l’industrie pharmaceutique quand elle tente de défendre l’indéfendable57.

Il est étonnant de constater que le Ketek est toujours disponible aux États-Unis, accompagné, toutefois, d’une mise en garde ; par ailleurs, il n’est plus autorisé pour les maladies respiratoires bénignes comme la sinusite. L’information officielle de la FDA sur le Ketek est tellement accablante que j’ai du mal à comprendre qu’un médecin ose utiliser ce médicament, mais l’explication la plus probable, c’est que les médecins ne lisent pas les comptes-rendus de 26 pages sur les médicaments individuels et ne connaissent pas les antécédents du Ketek58.

AstraZeneca a payé 355 millions de dollars en 2003 après avoir plaidé coupable à des accusations d’avoir encouragé des médecins à demander des remboursements illégaux de Medicare pour son médicament contre le cancer de la prostate, le Zoladex (gosereline), et soudoyé des médecins pour qu’ils en achètent35.

Johnson&Johnson devait payer au-delà de 75 millions de dollars aux autorités du Royaume-Uni et des États-Unis en 2009 pour régler des inculpations de corruption dans trois pays européens et en Irak59. Les accusations étaient liées au paiement allégué de pots-de-vin à des médecins en Grèce, en Pologne et en Roumanie, pour les encourager à utiliser les produits de la compagnie, ainsi qu’à des administrateurs du secteur hospitalier en Pologne, pour qu’ils accordent des contrats à la compagnie.

En 2005, Eli Lilly accepta de payer 36 millions de dollars pour régler à l’amiable des accusations civiles et criminelles relatives à du marketing illégal du médicament contre l’ostéoporose Evista (raloxifène) pour la prévention des maladies cardiaques et du cancer du sein dans des lettres envoyées aux médecins par son secteur des ventes60. La compagnie a aussi dissimulé des données qui montraient une augmentation du risque de cancer des ovaires. Eli Lilly ratifia un engagement d’intégrité corporative.

En 2001, TAP Pharmaceuticals, une coentreprise d’Abbott et Takeda, a payé 875 millions de dollars, plaidant coupable à des accusations criminelles de fraude pour avoir incité des médecins à facturer au gouvernement des médicaments que la compagnie leur donnait gratuitement ou à prix réduit18,61,62.

En 2003, Abbott a payé 622 millions de dollars pour régler une enquête sur ses pratiques de vente concernant des liquides servant à nourrir les patients gravement malades61. Abbott donna des tubes et des pompes permettant d’introduire la nourriture liquide directement dans le tube digestif du patient en échange de grosses commandes de liquides.

Plusieurs crimes ont parfois été rapportés dans les 10 premiers résultats de mes recherches sur Google à propos de la même compagnie. GlaxoSmithKline, par exemple, a fermé une usine à Puerto Rico en 2009 pour le motif qu’elle produisait des médicaments défectueux63. La fabrique avait envoyé des lots de Paxil (paroxétine) qui contenaient deux doses différentes et mélangeaient deux médicaments différents, de l’Avendia (rosiglitazone) avec du Tagamet (cimétidine) et du Paxil, par exemple. Glaxo reconnut être coupable de fraude criminelle et reçut une amende de 750 millions de dollars, dont 96 millions étaient destinés à la donneuse d’alerte, la directrice générale du service de contrôle de la fiabilité de la compagnie, dont les inquiétudes documentées avaient été ignorées par la haute direction qui la congédia64. Glaxo mentit également aux enquêteurs fédéraux au sujet des problèmes, quoique des pharmaciens aient appelé l’usine directement quand des patients se sont présentés avec des comprimés de couleurs différentes dans leur médication. En plaidant sa culpabilité, Glaxo admit avoir distribué des médicaments frelatés, mais la compagnie a menti au public quand elle a indiqué qu’elle avait volontairement rapporté à la FDA, en 2002, ses préoccupations sur des questions d’innocuité, et quand elle a affirmé que « l’usine avait été fermée en 2009 en raison d’une diminution de la demande pour les médicaments fabriqués là-bas ». Or on ne peut pas vraiment dire que des gros vendeurs comme Avandia, Paxil et Tagamet sont en baisse de popularité.

En 2003, Glaxo a signé un engagement d’intégrité corporative et payé une amende civile de 88 millions de dollars pour avoir surfacturé Medicaid pour le Paxil et l’aérosol contre les allergies nasales Flonase (fluticasone)65. En 2003, la compagnie a fait face à une demande d’un montant de 7,8 milliards de dollars en impôts impayés et en intérêts, demande la plus élevée de l’histoire du fisc américain65. En 2004, la police financière de l’Italie accusait plus de 4 000 médecins et 73 employés de Glaxo de corruption, un complot de 228 millions d’euros qui impliquait de l’argent comptant et d’autres bénéfices pour inciter les médecins à utiliser les produits de la compagnie, plus particulièrement en relation avec des médicaments contre le cancer66. Enfin, en 2006, la compagnie a réglé une dispute concernant des taxes en acceptant de payer 3,1 milliards de dollars dans une affaire qui concernait des « frais de transport intra-entreprise65 ».

Certains crimes consistent à empêcher les fabricants de génériques de pénétrer sur le marché une fois qu’un brevet est échu, et GlaxoSmithKline a aussi trempé dans des activités du genre67. En 2004, la compagnie accepte de payer 175 millions de dollars pour régler une poursuite qui l’accusait d’avoir bloqué des formes génériques moins coûteuses du Relafen (nabumétone, un AINS), en contravention avec les lois antitrust, et la compagnie s’attendait à payer 406 millions de dollars pour couvrir les demandes réglées ou en attente d’un verdict au sujet du Relafen. En 2006, Glaxo paya 14 millions de dollars pour résoudre des allégations selon lesquelles les programmes gouvernementaux auraient payé des prix gonflés pour le Paxil parce que l’entreprise avait fraudé des brevets, enfreint des lois antitrust, et s’était adonnée à des poursuites peu consistantes dans le dessein de conserver un monopole et d’empêcher des versions génériques d’entrer sur le marché65.

Aux États-Unis, il peut arriver que des génériques soient maintenus hors du marché pendant des années, en toute légalité. Une compagnie peut intenter une poursuite contre un compétiteur qui fabrique un générique en accusant ce dernier d’avoir enfreint quelque autre brevet, et peu importe à quel point l’accusation est ridicule, l’approbation du générique par la FDA est automatiquement retardée pendant 30 mois. Voici comment on décrit un des éléments d’un plan de cours destiné à des avocats et à des cadres supérieurs de l’industrie : « Comment utiliser un sursis de 30 mois pour neutraliser chaque défi d’un générique68. » De cette manière, Glaxo a réussi à rallonger l’exclusivité de son antidépresseur vedette, le Paxil, pendant plus de 5 ans69 !

Les avocasseries constituent aussi un grave problème en Europe. En 2008, un rapport de la Commission européenne estimait que les tactiques légales des compagnies pour écarter les génériques du marché avaient coûté 3 milliards d’euros à l’UE en seulement 8 ans70. Une bonne illustration de l’état lamentable de notre droit des brevets nous est fournie par une affaire dans laquelle une compagnie a enregistré 1300 brevets pour le même médicament. Je mentionnerai aussi des exemples récents de compagnies fabriquant des appareils ou des médicaments qui ne figurent pas dans les 10 plus importantes. Bristol-Myers Squibb accepta en 2007 de payer plus de 515 millions de dollars pour régler une affaire de marketing illégal et de fixation frauduleuse des prix impliquant des paiements effectués à des médecins pour les encourager à utiliser aussi les médicaments de la compagnie hors indications71. En 2003, Bristol-Myers Squibb a payé 670 millions de dollars pour régler des accusations de contraventions à la loi antitrust qui avaient contraint des patients cancéreux et d’autres à surpayer pour des médications importantes et souvent vitales, le tout à l’échelle de centaines de millions de dollars72,73. La Federal Trade Commission a accusé la compagnie d’avoir systématiquement bloqué l’entrée de compétiteurs génériques sur le marché de manière illégale pendant une décennie, en ayant trompé le bureau des brevets par le dépôt de soumissions frauduleuses, et en ayant offert un pot-de-vin de 72 millions de dollars à un concurrent pour le dissuader de commercialiser son médicament générique73.

En 2013, la Commission européenne a imposé une amende de 94 millions d’euros à Lundbeck, et des amendes totalisant 52 millions d’euros à plusieurs producteurs de citalopram générique (Cipramil) qui, en échange d’argent comptant, s’étaient entendus avec Lundbeck en 2002 pour retarder l’entrée de l’antidépresseur sur le marché, au mépris des règlements antitrust de l’UE74. Lundbeck avait aussi acheté l’inventaire des génériques dans le seul but de les détruire.

En 2006, on rapporta dans une poursuite intentée par un lanceur d’alerte que Medtronic avait dépensé au moins 50 millions de dollars en paiements à d’éminents chirurgiens du dos au cours d’une période de 4 ans75. Selon le ministère de la Justice des Etats-Unis, Medtronic paya des médecins entre 1000 $ et 2 000 $ par patient à qui l’on implantait un des appareils de la compagnie76. Un chirurgien, qui a reçu presque 700 000 $ en frais de consultation de la part de Medtronic au cours d’une période de 9 mois, déclara que ses honoraires étaient un dédommagement pour le temps qu’il passait loin de sa famille et de sa pratique75. La poursuite a révélé que Medtronic organisait des conférences médicales dont l’objectif principal consistait à « faire en sorte que le médecin, par quelque moyen financier que ce soit », utilise ses appareils.

Medtronic a suivi de près l’utilisation de ses appareils par les médecins qui assistaient aux conférences, en choisissant à donner à certains d’entre eux une « attention spéciale ». Un ancien président de l’American Academy of Orthopédie Surgeons a remarqué que les sommes d’argent étaient astronomiques (le coût des composantes nécessaires dans le cas d’une chirurgie de fusion lombaire oscille habituellement autour de 13 000 $), et que les fabricants d’appareils connaissaient l’achalandage de ces chirurgiens. Le programme de pots-de-vin comportait des activités particulières, comme celle d’inviter les médecins au Platinum Plus, un club d’effeuilleuses de Memphis, au Tennessee, en camouflant les dépenses comme s’il s’agissait d’une soirée au ballet.

En 2007, après avoir admis le paiement de dizaines, voire de centaines de milliers de dollars en « frais de consultation » à des chirurgiens pour qu’ils utilisent leurs appareils, cinq manufacturiers de dispositifs de remplacement de la hanche et du genou, Zimmer, DePuy Orthopaedics, Biomet, Smith & Nephew et Stryker Orthopedics, ont accepté un règlement à l’amiable avec le gouvernement fédéral des États-Unis77.

En 2006, les laboratoires Serono ont plaidé coupable à deux accusations de complot et ils ont accepté de payer 704 millions de dollars pour régler à l’amiable des accusations criminelles pour avoir participé à un système de pots-de-vin élaboré pour encourager les ventes de son médicament pour traiter le SIDA, Serostim (somatropine de l’ADN recombiné)78.

En 2004, Schering-Plough a accepté un règlement de 346 millions de dollars pour avoir versé des pots-de-vin ; Bayer a payé 257 millions de dollars et GlaxoSmithKline 87 millions de dollars pour régler des allégations similaires79. Parmi d’autres compagnies impliquées, on trouve AstraZeneca, Dey, Pfizer et TAP Pharmaceuticals80.

En 2007, Purdue Pharma et son président, son principal avocat et son ancien directeur médical ont dû payer un total de 635 millions de dollars en amendes pour avoir affirmé que l’OxyContin (oxycodone, un médicament apparenté à la morphine) était moins toxicomanogène, moins susceptible d’entraîner des abus et moins susceptible de causer des symptômes de sevrage que les autres opiacés. La compagnie a admis avoir menti aux médecins et aux patients à propos des risques dans le dessein de stimuler les ventes81. Le médicament devint très populaire parmi les toxicomanes, en fait un stupéfiant de premier choix qu’ils désignaient comme « l’héroïne des péquenauds82 ». Il est responsable d’une quantité énorme de décès. En Australie, la plupart de ceux qui sont morts n’étaient pas des toxicomanes mais des gens qui faisaient des surdoses accidentelles83. Le directeur du US Center on Addiction and Substance Abuse a déclaré84 :

Je crois que ces gens sont des colporteurs de drogues, tout comme les colporteurs de stupéfiants qu’on trouve dans la rue. Il est scandaleux que ces gens fassent la promotion de ce médicament sur le marché en sachant qu’en raison de sa puissance toxicomanogène, ses effets nuiront à des millions de personnes innocentes.

On a interdit à trois chefs de la direction de faire des affaires avec le gouvernement pendant 12 ans83. Purdue forma sa force de vente pour affirmer aux médecins que le risque de pharmacodépendance était inférieur à 1 %, ce qui n’est pas vrai, étant donné que le risque est similaire à celui des autres opiacés82.

Purdue versa 3 millions de dollars au Massachusetts General Hospital de Boston pour que son centre sur la douleur soit rebaptisé « « MGH Purdue Pharma Pain Center »18. L’entente impliquait aussi que les spécialistes de la douleur de l’hôpital devaient utiliser « un curriculum conçu par Purdue, et rédigé en partie pour encourager les pharmaciens et les médecins méticuleux à prescrire des analgésiques comme l’OxyContin ». La corruption était totale.

L’OxyContin a aussi été le sujet d’une campagne de promotion extrêmement agressive au Danemark, au point de devenir un sujet de conversation même parmi les médecins qui utilisaient rarement des médicaments assimilables à la morphine. Les vendeurs étaient comme des mouches tsé-tsé qui bourdonnaient autour de tout ce qui bougeait dans un sarrau. Le médicament est très dispendieux et ne procure aucun avantage par rapport aux autres produits beaucoup moins chers. Or, malgré cela, le comité des médicaments de l’hôpital où je travaille s’est vu contraint d’interdire le médicament tout simplement, de sorte que les cliniciens ne pouvaient plus en commander de la pharmacie.

Les crimes sont tellement répandus, répétitifs, et variés, qu’il est impossible de ne pas conclure qu’ils sont commis délibérément, car le crime est payant. Les compagnies considèrent les amendes comme des coûts de marketing et poursuivent leurs activités illégales comme si de rien n’était.

Il est aussi important de souligner que plusieurs des crimes auraient été impossibles à commettre si des médecins n’avaient pas été disposés à collaborer. Les médecins sont complices des crimes quand ils acceptent des pots-de-vin et s’adonnent à d’autres types de corruption, souvent reliés au marketing illégal. Il est curieux de voir que des médecins puissent être payés par les compagnies pour faire exactement cela sans être punis. Quand les médicaments sont fabriqués pour des utilisations hors indications, on ignore s’ils sont efficaces ou s’ils sont trop dangereux pour être utilisés, par les enfants, par exemple. C’est pourquoi on tient cette façon de procéder comme analogue à l’utilisation de citoyens comme rats de laboratoire85 à grande échelle, et sans disposer de leur consentement éclairé.

Même quand les médecins utilisent des médicaments seulement pour des indications approuvées, les crimes ont des conséquences sur leurs patients. Les médecins n’ont accès qu’à de l’information manipulée et sélectionnée16,22,43 et croient donc les médicaments beaucoup plus efficaces et sécuritaires qu’ils ne le sont vraiment. Par conséquent, tant le marketing légal que le marketing illégal entraînent un surtraitement étendu de la population et beaucoup de dommages qui pourraient être évités.

Plusieurs crimes impliquent la corruption à grande échelle de médecins qui reçoivent de l’argent pour les encourager à prescrire des médicaments qui sont souvent 10 ou 20 fois plus dispendieux que des médicament existants qui sont tout aussi bons, et parfois même supérieurs. Le US Office of the Inspector General of the Department of Health and Human Services a émis un avertissement selon lequel les nombreuses pratiques existantes impliquant des cadeaux et des paiements à des médecins pour influencer leurs choix d’ordonnances auraient le potentiel de contrevenir aux lois fédérales contre la corruption69. Malheureusement, le seul organisme qui semble avoir pris au sérieux la gravité de la situation est l’American Médical Student Association, qui a voté une interdiction totale à tous les étudiants en médecine d’accepter des cadeaux ou des faveurs69.

C’EST DU CRIME ORGANISÉ

En 2004-2005, le comité sur la santé de la Chambre des communes du Royaume-Uni a examiné l’industrie pharmaceutique en détails17 et a conclu que son influence était énorme et hors de contrôle86. Les parlementaires ont découvert une industrie qui achète de l’influence auprès des médecins, des œuvres de bienfaisance, des groupes de patients, des journalistes et des politiciens, et dont la réglementation est parfois timide ou ambiguë87. En outre, le ministère de la Santé n’est pas seulement responsable du service de santé national, mais aussi de représenter les intérêts de l’industrie pharmaceutique. Le rapport du comité a clairement établi qu’il serait bon pour tout le monde de réduire l’influence de l’industrie, y compris pour l’industrie elle-même, qui pourrait se concentrer sur l’élaboration de nouveaux médicaments plutôt que de corrompre des médecins, des regroupements de patients, ou n’importe qui d’autre88. Le rapport a aussi affirmé qu’on a besoin d’une industrie qui soit guidée par les valeurs de ses scientifiques, non pas par celles de son département du marketing. De plus, le comité s’est montré particulièrement inquiet de l’augmentation de la médicalisation, c’est-à-dire de la croyance selon laquelle chaque problème nécessite un comprimé.

Néanmoins, le gouvernement britannique n’a rien fait à la suite du rapport accablant du comité sur la santé, probablement en raison du fait que l’industrie pharmaceutique britannique constitue la troisième activité la plus profitable, après le tourisme et la finance88. Après qu’on leur a présenté des preuves écrasantes et sans équivoque de l’influence malsaine de l’industrie sur la santé publique, les fonctionnaires du gouvernement ont déclaré qu’il n’existait aucune preuve de l’influence malsaine de l’industrie sur la santé publique89 !

Le ministère de la Santé se porta à la défense de l’industrie en invoquant son surplus commercial de 3 milliards de livres, et soutint que les représentants pharmaceutiques donnaient des bonnes informations aux médecins. Il défendit même le nombre croissant de prescriptions pour des antidépresseurs bien que cela soit pratiquement indéfendable, comme je l’expliquerai au chapitre 17. Les excès allégués de la promotion commerciale furent balayés du revers de la main en se fondant sur l’argument que des mécanismes appropriés étaient en place. C’est ce que Ben Goldacre appelle de « fausses corrections90 ». D’une fois à l’autre, le public se fait offrir des assurances mensongères affirmant que le problème a été corrigé.

Quand on a posé la question directement, c’est-à-dire si le Ministère comprenait l’existence d’un conflit fondamental entre l’intérêt de l’industrie pour le profit et la responsabilité du gouvernement de protéger la santé publique, la réponse a été que la « relation des parties prenantes » entre le gouvernement et l’industrie « entraîne de nombreux gains et plusieurs remèdes innovateurs dont les impacts sur la santé sont énormes ».

Les mots me manquent. En constatant l’attitude gouvernementale de déni total, il n’est guère surprenant que le crime prospère dans l’industrie pharmaceutique, en se propageant comme les mauvaises herbes.

La clé de voûte de la US Organized Crime Control Act de 1970 est la Racketeer Influenced and Corrupt Organizations Act (RICO)91. Le racketérisme consiste à commettre un certain type d’offense à plus d’une reprise. La liste des offenses qui constituent du racketérisme inclut l’extorsion, la fraude, les infractions fédérales liées à la drogue, la corruption, les détournements de fonds, l’obstruction de la justice, l’obstruction de l’application de la loi, la subornation de témoins, et la corruption politique. Les grosses pharmaceutiques s’adonnent si souvent à tout cela constamment qu’il ne peut y avoir aucun doute que son modèle d’affaires satisfait aux critères du crime organisé.

Un ancien vice-président du marketing international de Pfizer [Peter Rost] devenu lanceur d’alerte après que la compagnie eut ignoré ses plaintes à propos du marketing illégal a une opinion similaire92 :

Il est effrayant de constater toutes les similitudes qui existent entre cette industrie et la pègre. Le monde interlope génère des montants d’argent obscènes, tout comme cette industrie. Les effets secondaires du crime organisé sont des assassinats et des décès, et les effets secondaires sont identiques pour cette industrie. La mafia soudoie des politiciens et beaucoup d’autres, et il en va de même dans cette industrie. La différence est que, tous ces gens dans l’industrie pharmaceutique se considèrent eux-mêmes – eh bien, disons au moins dans 99 pourcent des cas – se voient comme des citoyens respectueux de la loi, non pas comme des citoyens qui oseraient voler une banque Cependant, quand ils se réunissent en groupe et dirigent ces sociétés, il semble qu’une chose se produise avec des citoyens autrement exemplaires quand ils font partie d’une corporation. Cela ressemble presque aux atrocités perpétrées pendant une guerre ; les gens font des choses qu’ils ne pensaient pas être capables de faire. Quand ils font partie d’un groupe, les gens peuvent faire des choses qu’ils ne feraient pas autrement, parce que le groupe peut valider la justesse de leurs actions.

Quand un crime a entraîné le décès de milliers de gens, on devrait le tenir pour un crime contre l’humanité. Notre perception du méfait ne devrait pas faire une différence entre les meurtres commis avec des armes et ceux qui sont commis avec des comprimés. Or, jusqu’à récemment, il régnait une complaisance remarquable même en présence de crimes mortels. Cela pourrait être sur le point de changer, du moins, aux États-Unis. En 2010, le ministère de la Justice a porté des accusations officielles contre un ancien vice-président de GlaxoSmithKline34.

Une des réactions typiques de l’industrie quand des scandales éclatent dans les médias consiste à dire que ses pratiques ont changé radicalement depuis que les crimes ont été commis. C’est faux. En réalité, le nombre de crimes augmente de manière vertigineuse. D’après le Public Citizen’s Health Research Group, trois quarts des 165 règlements totalisant des pénalités de 20 milliards de dollars sur une période de 20 ans entre 1991 et 2010 se sont produits dans les cinq dernières années de cette période93. Une mise à jour a démontré qu’en 21 mois seulement, soit jusqu’en juillet 2012, on était arrivé à des règlements totalisant 10 milliards de dollars additionnels94.

Comparés à l’industrie pharmaceutique, les médecins ne font pas délibérément du mal à leurs patients. Et quand ils en font, que ce soit par accident, par ignorance, ou par négligence, ils ne font du mal qu’à un patient à la fois. Comme les actions des directeurs de l’industrie pharmaceutique ont le potentiel de faire du tort à des milliers, voire à des millions de gens, leurs normes d’éthique devraient être beaucoup plus élevées que celles des médecins. Dès lors, l’information qu’ils donnent sur leurs médicaments devrait être aussi conforme à la réalité que possible après un examen méticuleux et honnête des données. Rien de tout cela n’est actuellement le cas, et quand des journalistes me demandent ce que je pense des normes d’éthique de l’industrie pharmaceutique, je fais souvent une blague en disant que je ne peux pas décrire ce qui n’existe pas. La seule norme de l’industrie, c’est l’argent, et votre talent est évalué en fonction de la quantité d’argent que vous rapportez à la compagnie. L’industrie pharmaceutique compte une foule de gens honnêtes et respectables, mais ceux qui se hissent au sommet ont été décrits comme autant de « salauds impitoyables » par le criminologue John Braithwaite, qui en a interviewé plusieurs17. Aux États-Unis, les grandes pharmaceutiques surpassent toutes les autres industries en termes de criminalité. Elles comptent plus du triple d’infractions sérieuses ou modérément sérieuses que les autres compagnies, et ce score se maintient même quand on ajuste en fonction de la taille de l’entreprise12, 61. Les grandes compagnies pharmaceutiques ont aussi la pire feuille de route parmi les autres compagnies en ce qui touche la corruption et les pots-de-vin internationaux, ainsi qu’en termes de négligence criminelle pour avoir fabriqué des médicaments de manière dangereuse12. Sur une période de cinq ans, de 1966 à 1971, la FDA a dû rappeler 1 935 produits médicamenteux, dont 806 pour adultération ou contamination, 752 à cause d’une activité thérapeutique inférieure ou supérieure, et 377 pour des erreurs d’étiquetage61.

La corruption est routinière et implique d’importantes sommes d’argent. Presque toutes les catégories de gens qui peuvent affecter les intérêts de l’industrie ont été corrompues : des médecins, des administrateurs hospitaliers, des ministres, des inspecteurs, des douaniers, des répartiteurs, des officiels responsables de l’homologation, des inspecteurs d’usine, des fonctionnaires chargés de l’établissement des prix, et des partis politiques. En Amérique latine, le poste de ministre de la Santé est très convoité, étant donné que ce ministre devient presque invariablement riche d’une fortune provenant de l’industrie pharmaceutique12.

Au début du chapitre, j’ai posé la question qui consiste à savoir si on est en présence d’une pomme pourrie isolée par-ci par-là, ou encore si le panier est pourri en entier. Ce qu’on peut observer, c’est du crime organisé au sein d’une industrie corrompue jusqu’au cœur.


Chapitre 20 Démolir les mythes de l’industrie

Les mythes de l’industrie pharmaceutique au sujet de ses activités et de ses motivations ont été si souvent répétés qu’ils sont largement crus par les médecins, les politiciens et la population générale. Puisqu’ils constituent un obstacle empêchant la création d’un système de soins de santé rationnel, libre de toute corruption, je vais démolir les plus pernicieux avant de suggérer des réformes dans le prochain chapitre.

Mythe 1 : Les médicaments sont dispendieux en raison des coûts élevés de leur découverte et de leur mise au point

L’ancien PDG de Merck, Raymond Gilmartin, a reconnu qu’il s’agit là d’un mythe : « Le prix des médicaments n’est pas déterminé par leurs coûts de recherche. Il est plutôt déterminé par leur valeur en prévention et en traitement de la maladie1. » Gilmartin a oublié de mentionner que les prix des médicaments reflètent non seulement ce que la société est prête à payer mais aussi l’excellence des compagnies à se protéger de la concurrence. Les activités pour combattre la concurrence sont largement répandues2,3 et la fixation des prix est habituelle4,6.

Nous entendons souvent dire qu’il en coûte 800 millions de dollars (en dollars de l’an 2000) pour introduire un nouveau médicament sur le marché, mais c’est un mensonge. Ce coût est fondé sur des méthodes défectueuses, une théorie comptable discutable et sur une foi aveugle en la validité d’informations confidentielles fournies par l’industrie à ses consultants en économie de deux universités à la solde de cette même industrie1,3,7. Le vrai coût est probablement inférieur à 100 millions de dollars3.

La zidovudine, le premier médicament du SIDA, a été synthétisée à la Fondation du cancer du Michigan en 19643. Il en a coûté très peu à Burroughs Wellcome pour la mettre au point, mais la compagnie a quand même exigé 10 000 $ par an pour traiter un patient en 19871. Il s’agissait d’un abus manifeste d’une situation de monopole à l’encontre des patients désespérément malades exigeant le médicament quel qu’en soit le coût. En 2003, quand Abbott augmenta subitement de 400 % le prix de son médicament contre le SIDA, dont l’invention avait été soutenue par des millions de dollars payés par les contribuables, elle provoqua un tumulte et des centaines de médecins ont décidé de boycotter tous les produits d’Abbott dans la mesure du possible8.

Un exemple de même nature est celui de l’imatinib (Glivec ou Gleevec) très efficace contre la leucémie lymphoïde chronique. Novartis l’avait synthétisé, mais n’était pas intéressée par ce produit jusqu’à ce qu’un hématologiste l’étudié et trouve qu’il était très efficace. Encore là, les coûts de la mise au point furent minimes, mais cela n’empêcha pas Novartis d’exiger 25 000 dollars pour le traitement d’une année, en 20023.

Le Taxol est l’un de nos médicaments les plus utiles contre le cancer. Il a été dérivé de l’écorce de l’if du Pacifique et plus tard synthétisé par des scientifiques financés par le NIH1. Le médicament fut donné à Bristol-Myers Squibb qui, en dépit des coûts minimes de sa mise au point, exigea de 10 000 à 20 000 dollars par année de traitement en 1993. Quand son brevet expira, la compagnie poursuivit toute personne qui se proposait de mettre en marché une version générique moins coûteuse9. Vingt-neuf États américains ont poursuivi Bristol-Meyers Squibb pour infraction à la loi contre les monopoles, mais pendant que les procédures se déroulaient et une fois que la poursuite fut réglée à l’amiable pour un coût de 135 millions de dollars pour la compagnie, elle en avait tiré un revenu excédant 5 milliards de dollars.

Une fois que plusieurs compagnies qui mettaient en marché des versions génériques du citalopram les eurent retirées du marché danois, en 2010, pour diverses raisons, le prix du médicament augmenta subitement par un facteur de 12. Les compagnies qui ont augmenté le prix ont refusé de commenter10.

Un autre exemple bizarre qui a été relevé : toutes les compagnies vendant de la simvastatine générique, utilisée par près de 6 % de tous les Danois, augmentèrent le prix de la dose de 40 mg par un facteur de 811. La dose de 40 mg était la plus couramment utilisée. Le médicament était aussi disponible en dose de 20 mg et se vendait le cinquième du prix mais en vertu de la loi, les pharmacies n’avaient pas le droit de distribuer la dose moins coûteuse ni de dire aux patients de prendre deux comprimés au lieu d’un. Bien que les cinq compagnies aient augmenté les prix exactement au même niveau, à la seconde décimale près, elles nièrent s’être entendues pour fixer les prix et les autorités ont lancé une enquête12. Cette manœuvre déloyale allait coûter aux contribuables danois une somme additionnelle de 63 millions de dollars chaque année, pour un médicament hors brevet.

Schering acheta une hormone d’une autre société pour l’utiliser chez les femmes souffrant de symptômes de la ménopause et vendit le médicament avec une majoration de 7 000 %4. Par ailleurs, quand le Librium et le Valium furent brevetés, Roche les vendit en Colombie à un prix 65 fois plus élevé que le prix en Europe6. En 2006, la Commission fédérale du commerce des Etats-Unis lança une poursuite judiciaire contre Lundbeck pour le motif que la compagnie aurait pris avantage d’une situation de monopole pour exploiter les nourrissons gravement malades13. Lundbeck avait acheté une entreprise américaine qui avait augmenté le prix d’un vieux médicament capable de sauver la vie, l’indométacine de 1300 % après l’avoir acheté de Merck. Il n’existait aucun coût de mise au point pour expliquer ces explosions de prix.

Pendant des années, les obstétriciens avaient utilisé une hormone naturelle pour la prévention de la naissance prématurée, la progestérone, arrivée sur le marché, il y a plus de 50 ans14. Les pharmacies la préparaient pour les médecins et elle coûtait de 10 à 20 dollars par injection. Quand la société KV Pharmaceuticals obtint du gouvernement américain l’approbation de l’exclusivité de la vente du médicament sous le nom de Makena, le prix grimpa à 1 500 dollars la dose, une augmentation de 75 à 150 fois. La compagnie prétexta de façon grotesque que les « mamans » méritaient de profiter des avantages d’un Makena approuvé par la FDA alors que les médecins disaient que l’arrangement allait probablement susciter plus de naissances prématurées (et en conséquence plus d’enfants souffrant de lésions cérébrales) puisque de nombreuses femmes ne pourraient pas payer le médicament. Certains médecins étaient heureux de pouvoir obtenir la version moins coûteuse auprès des pharmacies qui la préparaient mais la compagnie réagit en envoyant des lettres de mise en demeure aux pharmacies les prévenant qu’elles pourraient être confrontées à des injonctions de la part de la FDA si elles persistaient à préparer le médicament.

Nous sommes tous responsables de la société compliquée que nous avons créée, dans laquelle nous dépendons tous les uns des autres tout en tirant avantage de la spécialisation. Mais quand les compagnies pharmaceutiques extorquent des prix exorbitants pour leurs médicaments, elles se moquent de leurs obligations envers les patients, les contribuables, nos sociétés et notre patrimoine collectif à un tel point qu’elles finissent par s’exclure elles-mêmes de la société, tout comme les criminels le font. C’est du vol.

Des chercheurs ont montré que le coût annuel par patient est inversement lié à la prévalence de la maladie. Des chercheurs italiens sont allés une étape plus loin et ont mis au point une formule simple qui s’ajuste très bien aux données qu’ils possédaient pour 17 remèdes contre le cancer :15

Calcul du coût annuel par patient = 2 millions d’€ x (e-0,004 nombre de patients + 10 000 €)

Le coût annuel par patient d’un médicament pour lequel il existe 900 patients en Italie sera d’environ 60 000 euros.

Dans la même veine, les médicaments pour les patients souffrant d’insuffisances enzymatiques rares sont épouvantablement dispendieux, par exemple 600 000 $ par année pour traiter la maladie de Gaucher16, bien que toute la recherche et la mise au point initiale aient été effectuées par des chercheurs financés par le NIH1.

Le dernier mot pour détruire le mythe selon lequel les prix des médicaments reflètent les coûts de la recherche et de la mise au point est : « Que peut-on dire des coûts beaucoup plus élevés encourus pour promouvoir les ventes3 ? Ceux qui paient les médicaments paient aussi pour ce marketing extravagant. Si les nouveaux médicaments étaient vraiment aussi bons que l’industrie veut nous le faire croire, il n’y aurait aucun besoin d’en faire la promotion ni de corrompre les médecins pour qu’ils les utilisent. »

Mythe 2 : Si l’on n’utilise pas les médicaments coûteux, l’innovation va se tarir

Les politiciens et les médecins adhèrent largement à ce mythe, bien qu’il soit complètement ridicule. Est-ce qu’ils seraient disposés à payer 20 fois plus cher leur nouvelle voiture pour le seul motif que, selon leur vendeur, les voitures seraient de bien meilleure qualité dans l’avenir ?

Selon Marcia Angell, ancienne rédactrice en chef du New England Journal of Medicine, l’industrie pharmaceutique insiste pour qu’on la laisse tranquille, sans aucun contrôle social et elle menace aussi nos sociétés. « Ne nous importunez pas. Ne touchez pas à nos profits outranciers. N’intervenez pas sur les augmentations insoutenables de prix sinon nous ne vous donnerons pas vos traitements miraculeux17. » Habituellement, les compagnies prétendent : « Si nous ne dépensons pas notre argent en recherche, nous disparaîtrons. » Les compagnies pharmaceutiques, elles, disent : « Si nous n’avons pas votre argent pour le dépenser en recherche, vous disparaîtrez7. »

Les dirigeants religieux ne sont pas les seuls à être malins. Ils promettent que nous serons récompensés après notre mort, ce qui rend impossible de se plaindre. Les promesses de l’industrie sont aussi fausses, en fait, tellement fausses que c’est la relation cause/effet qui est inversée. Depuis les années 1980, les profits de l’industrie pharmaceutique ont monté en flèche (voir le chapitre 5) mais pendant la même période de moins en moins de médicaments innovateurs ont été introduits sur le marché3. La revue Prescrire remet chaque année un prix à la percée la plus importante, la Pilule d’Or, mais elle ne parvint pas à trouver un candidat qui le mérite en 2012. Ni en 2011. Ni en 2010.

En 2011, les régions du Danemark ont suggéré de créer un organisme comme le NICE (National Institute for Health and Care Excellence) du Royaume-Uni puisque nous ne pouvons pas nous payer tout ce qui est offert. Toutefois, un orateur conservateur en santé du Parlement ne voulait pas qu’on établisse des priorités pour les médicaments, argumentant que cela ralentirait la mise au point de nouveaux médicaments si on introduisait un montant maximum à payer pour les médicaments18. Les régions suggéraient en outre que les nouveaux médicaments soient comparés aux médicaments existants, souvent moins coûteux avant qu’on autorise leur mise en marché. Cette proposition mit en colère le directeur de l’Association danoise de l’industrie pharmaceutique, Ida Sofie Jensen, qui dit qu’il était « regrettable sinon effronté que les régions du Danemark manifestent, une fois encore, leurs attitudes hostiles à l’industrie. Les régions blâment l’industrie pour leur économie médiocre19. » Le président des régions répliqua posément que l’industrie pharmaceutique est l’une des plus profitables de toutes les industries et qu’il espérait que la danse tribale rituelle de l’industrie s’achève bientôt. Le fait est que les coûts des médicaments des hôpitaux danois ont triplé en seulement 8 ans. L’année précédente, le gouvernement danois avait mis fin au remboursement de certains médicaments trop dispendieux et pas meilleurs que des médicaments moins coûteux du même type. En réponse, Ida Sofie Jensen entama une autre danse rituelle : « Les autorités refusent de payer pour les progrès des médicaments. Nous craignons que cela arrête la mise au point de nouveaux médicaments20. » En revanche, un économiste de la santé mentionna que ce geste pourrait inciter l’industrie à chercher de vraies percées plutôt que se confiner aux médicaments d’imitation. C’est l’argument fondamental. L’innovation s’est tarie parce qu’il est beaucoup plus lucratif pour l’industrie de mettre au point des médicaments d’imitation plutôt que de mener de la recherche d’innovation. Les patients profiteront du retrait de cet incitatif.

Partout dans le monde, à l’exception des Etats-Unis sous gouverne républicaine, les gouvernements s’emploient à contenir les coûts des médicaments. Un article de 2011 a rapporté que la République tchèque introduirait des prix maximums pour les médicaments remboursés et limiterait l’utilisation des médicaments très coûteux aux hôpitaux universitaires. En Allemagne, un prix plafond a été introduit dans l’objectif d’épargner 2 milliards d’euros chaque année. Au Royaume-Uni, le gouvernement a exigé que l’industrie réduise ses prix, visant à épargner 6 milliards de dollars chaque année. En Australie, le gouvernement a mis fin au remboursement de 162 médicaments et se propose de réduire les prix de 1600 médicaments de 27 %21. La Chine, la Hongrie, la Bulgarie et la Slovaquie avaient aussi des plans de réduction des coûts.

Le moyen auquel la Nouvelle-Zélande a eu recours pour restreindre ses dépenses en médicaments est impressionnant et simple22. En 1993, on a décidé de subventionner les médicaments d’une même classe (par exemple, les AINS ou les ISRS) qui avaient des effets similaires avec le même montant, peu importe le prix du médicament (prix de référence). En outre, les compagnies pharmaceutiques devaient négocier avec l’agence du médicament, le prix et les conditions d’accès. Cette politique a eu des effets spectaculaires. Les statines étaient fournies pour la moitié du coût en Australie, et le prix des médicaments génériques était moindre du quart du prix au Canada. Le budget communautaire des médicaments n’augmenta que de 2 % par an par comparaison à 15 % avant l’adoption de la politique sans compter qu’on améliorait entre-temps la protection de la population. Bien que le pays ne compte que 4,4 millions d’habitants, les économies annuelles atteignent presque 1 milliard d’euros.

Mythe 3 : Les économies sont plus élevées que les coûts des médicaments dispendieux

Lors d’une rencontre avec l’industrie pharmaceutique où cet argument fut proposé, le directeur du Conseil national danois de la santé affirma qu’il était curieux que peu importe le prix élevé d’un nouveau médicament, la compagnie était toujours en mesure de fournir une analyse pharmaco-économique montrant que les économies en termes de réductions des congés maladie, des départs prématurés à la retraite et ainsi de suite, excédaient les coûts du médicament. L’économique est une discipline très fluide et l’on peut obtenir à peu près n’importe quel résultat qu’on désire selon les postulats que l’on introduit dans le modèle. Il est difficile d’imaginer pire conflit d’intérêts que la situation dans laquelle une compagnie pharmaceutique procède à une analyse pharmaco-économique de son propre médicament, ou bien demande à un économiste de la réaliser moyennant rémunération. Le résultat n’est jamais défavorable à la compagnie.

Mythe 4 : Les percées proviennent de la recherche financée par l’industrie

Selon un argument largement répandu, aucun de nos médicaments n’a été inventé par les anciens pays socialistes de l’Est du Rideau de fer. Cela ne prouve rien. Tellement d’autres choses ne fonctionnaient pas dans ces pays sous la dictature. Ce malentendu est colossal. Presque toute la science fondamentale qui soutient le progrès de la médecine moderne se développe dans le secteur à but non lucratif, dans les universités, les instituts de recherche et les laboratoires gouvernementaux23. Un rapport du Congrès des États-Unis de l’an 2000 soulignait que « des 21 médicaments les plus importants lancés entre 1965 et 1992,15 avaient été mis au point à partir de connaissances et de techniques provenant de la recherche financée par le gouvernement fédéral ». D’autres études arrivent à des conclusions similaires, par exemple qu’au moins 80 % de 35 médicaments majeurs étaient fondés sur des découvertes réalisées par la recherche d’organismes du secteur public24. L’Institut national du cancer a tenu un rôle de chef de file dans la mise au point de 50 des 58 nouveaux médicaments contre le cancer ayant été approuvés par la FDA entre 1955 et 20017.

Trois des découvertes les plus importantes du XXe siècle – la pénicilline, l’insuline et le vaccin contre la polio – proviennent toutes de laboratoires financés par les fonds publics. Le NIH réalisa une étude des cinq médicaments les plus vendus en 1995, le Zantac (ranitide pour les ulcères d’estomac), le Zovirax (acyclovir pour l’herpès), le Capoten (captopril pour l’hypertension artérielle), le Vasotec (énalapril pour l’hypertension artérielle) et le Prozac (fluoxétine pour la dépression) et trouva que 16 des 17 articles scientifiques primordiaux menant à la découverte et la mise au point de ces médicaments provenaient d’autres sources que l’industrie3.

Le tableau est très constant. Les premières percées pour le SIDA survinrent aussi dans la recherche publique et le gouvernement américain a dépensé deux fois plus en recherche que toutes les compagnies pharmaceutiques mises ensemble7. L’histoire typique est que les compagnies pharmaceutiques investissent relativement peu dans les vraies percées mais quand elles en dessaisissent la recherche publique, elles vendent le médicament à un prix exorbitant puisqu’elles disposent d’un monopole. De plus, elles mentent d’une manière routinière au sujet de la recherche et volent souvent le mérite de la découverte du médicament en prétendant qu’elles l’ont découvert elles-mêmes7. Les très racoleurs partenariats public-privé volent en éclats quand le partenaire privé se sauve constamment avec tout l’argent et tout le mérite, plaçant le reste de la société dans le rôle de l’imbécile qu’on a dépouillé.

Les compagnies pharmaceutiques ne dépensent que 1 % de leurs revenus en science fondamentale pour découvrir de nouvelles molécules, quand on défalque les subsides des contribuables et plus des quatre cinquièmes de tous les fonds pour la recherche fondamentale pour découvrir de nouveaux médicaments ou de nouveaux vaccins proviennent de sources publiques25.

Une raison importante expliquant pourquoi la plupart des percées proviennent de la recherche financée par le public est que le capitalisme et la curiosité cohabitent très mal. Cela prend du temps pour être curieux et les dirigeants des sociétés pharmaceutiques n’ont pas de patience. Ils veulent un retour rapide sur leurs investissements, retour qui les aidera à accéder à d’autres positions plus lucratives dans d’autres compagnies. Les administrateurs ont donc tendance à mettre fin à une orientation de recherche quand il n’y a pas eu de progrès après un couple d’années.

Les psychologues ont montré que l’argent est une piètre motivation par comparaison avec le fait de donner aux gens des tâches intéressantes à réaliser et les scientifiques sont radicalement différents des administrateurs. Le salaire importe peu. Ce qui importe c’est la résolution d’énigmes et la contribution de choses qui importent au monde. À titre d’exemple, il fallut plus de 20 ans à un scientifique infatigable, Eugene Goldwasser, pour produire et purifier le premier petit flacon d’érythropoïétine humaine7.

Mythe 5 : Les compagnies pharmaceutiques se font concurrence dans un marché libre

Ce mythe est utilisé avec succès pour réduire la réglementation sous la croyance erronée que les forces du marché vont résoudre tous les problèmes. Il ne peut exister de marché libre pour des produits qui sont lourdement subventionnés par l’argent des contribuables et quand la fraude et les crimes sont très répandus.

Quand j’ai travaillé dans l’industrie, j’ai été surpris de constater comment on établissait le prix d’un médicament. Les administrateurs des ventes produisaient ce qu’ils appelaient un budget des ventes pour les années à venir et je me demandais comment ils parvenaient à faire un budget pour de l’argent qu’ils ne possédaient pas mais qu’ils ne pouvaient qu’espérer obtenir. Pourtant, une fois accepté, il importait de vivre à la hauteur de ce budget, sinon les questions embarrassantes viendraient et les gens seraient malheureux. Il existe une solution simple pour les ventes qui stagnent : augmenter le prix du médicament et convenir avec les concurrents les plus importants d’augmenter leurs prix du même montant et tout le monde sera content. C’est illégal mais très difficile à prouver, donc c’est très commun. Même moi, j’ai observé cette pratique, bien que je n’aie jamais été responsable d’un budget des ventes.

Mythe 6 : Les partenariats public-industrie sont avantageux pour les patients

Ce mythe ne meurt jamais et l’on a en vu un des exemples les plus effrontés en 2012 quand l’Association britannique de l’industrie pharmaceutique (ABPI) a publié une nouvelle consigne pour promouvoir la collaboration avec les médecins26,27. Elle parlait des objectifs communs et exhortait les professionnels de la santé « à ne pas se laisser séduire par les mythes négatifs concernant la coopération avec l’industrie ». Elle fut endossée par plusieurs y compris l’Association médicale britannique, le Collège royal des généralistes, l’Académie des collèges royaux et le ministère de la Santé et sous le logo du Lancet furent publiées des prétentions scandaleuses comme « l’industrie tient un rôle valide et important dans la formation médicale » et « les représentants de produits médicaux peuvent être des ressources utiles aux professionnels de la santé ».

Sous un titre libellé « Les faits », la consigne présente en premier lieu deux énoncés mensongers : « Des occasions peuvent être ratées ou même rejetées en raison de méprises découlant de pratiques historiques qui ne sont plus acceptables ou d’actions de quelques individus qui ne sont pas des modèles de collaboration entre l’industrie et les professionnels des soins de santé. »

Ces pratiques ne sont pas historiques ni atypiques. En outre, la consigne prétend « refléter la détermination de l’industrie d’assurer que les relations avec les professionnels de la santé sont fondées sur l’intégrité, l’honnêteté, la connaissance, des comportements intègres, la transparence et la confiance ». On nous dit aussi que « toutes les études sont assujetties à une surveillance rigoureuse, les résultats des études cliniques contrôlées sont disponibles dans le domaine public, le code de pratique de l’ABPI requiert la divulgation des détails des études cliniques. » La réalité est qu’on ne voit jamais les détails des études cliniques, des quantités de résultats sont enterrés et scellés avec grande efficacité dans les archives des compagnies comme s’il s’agissait de déchets nucléaires et les études ne sont jamais soumises à une surveillance scrupuleuse puisque les comités d’éthique ne la font pas ni ne disposent de l’expertise pour la faire.

Les prétentions de la consigne stipulant que « lorsqu’on le fait correctement, travailler avec l’industrie ne nuira pas à l’objectivité de la prise de décision clinique » et que les règlements garantissent que les normes professionnelles et éthiques seront maintenues, sont contredites par tout ce que l’on connaît sur ce sujet. On nous dit aussi que : « L’investissement de l’industrie pharmaceutique est la source de la plupart des percées scientifiques et des innovations des médicaments et qu’il en coûte habituellement 550 millions de livres sterling pour faire tout le travail nécessaire pour qu’un médicament soit autorisé à être utilisé. »

Je n’ai jamais vu autant de foutaise et de mensonges rassemblés au même endroit en même temps. Les partenariats peuvent être occasionnellement avantageux pour les deux parties, mais dans l’ensemble, il est immensément nuisible pour les patients que les milieux dirigeants endossent les méthodes de l’industrie relativement à ses médicaments. L’idée que la santé publique et l’industrie pharmaceutique aient un agenda commun est une fiction de relations publiques et le système de santé du Royaume-Uni est déjà au dernier niveau de l’éthique. En 2012, le gouvernement du Royaume-Uni annonça qu’on attendait des praticiens généraux qu’ils travaillent avec l’industrie pharmaceutique pour identifier comment traiter leurs patients28. Selon le guide de l’ABPI, soutenu par le ministère de la Santé, des « aires populaires de travail conjoint que vous pourriez envisager comprennent l’identification des patients non diagnostiqués, la révision des patients non contrôlés, l’amélioration de l’adhésion des patients aux régimes thérapeutiques et le réaménagement des plans de traitement. » Cela suppose le fait d’inviter les vendeurs à parcourir la liste des patients des omnipraticiens pour identifier ceux qu’ils estiment devoir recevoir les médicaments de la compagnie.

Les Britanniques doivent vivre sur une autre planète que la nôtre. Ils devraient lire le chapitre 12 de mon ouvrage à propos du Neurotin pour tout ce qui provient des endroits où les visiteurs médicaux se sont concertés avec les médecins et leurs patients pour leur suggérer ce qu’ils devaient faire. Ce qu’il nous faut faire est exactement le contraire. Identifier les patients sur-diagnostiqués et sur-traités et les débarrasser de la plupart —sinon de tous— leurs médicaments, et leur enseigner qu’une vie sans médicaments est possible pour la plupart d’entre nous.

Dans son livre, Bad Pharma, Ben Goldacre écrit que les gros canons, le gratin de l’excellence de la médecine britannique savent fort bien quels sont les problèmes relatifs à tout cela mais ils ont décidé de ne pas s’en mêler. Ce faisant, tous comme les régulateurs, ils contribuent au secret entourant ce que les compagnies pharmaceutiques infligent à la santé publique28. Il est difficile d’imaginer pire trahison. Si j’étais un omnipraticien au Royaume-Uni, je changerais d’emploi ou je quitterais le pays.

En 2012, la Fédération internationale du diabète, l’organisme-parapluie de plus de 200 associations du diabète dans plus de 160 pays a amorcé un partenariat avec Nestlé qui met en marché d’une manière énergique les friandises denses en énergie et les breuvages sucrés29. Nestlé a provoqué bien des décès dans les pays en développement avec sa promotion contraire à l’éthique de formules de lait pour nourrissons, lesquelles exigeaient l’addition d’une eau propre qui souvent n’était pas disponible. Peut-être que nos associations pulmonaires devraient suivre la mode et devenir partenaires de l’industrie du tabac ? Pourquoi pas ? Les politiciens s’en réjouiraient.

Mythe 7 : Les études de médicaments ont pour but d’améliorer le traitement des patients

La documentation des relations publiques et les ententes de collaboration entre les associations de médecins et les associations de l’industrie propagent ce mythe30. Toutefois, peu importe ce que raconte l’industrie pharmaceutique à propos du travail pour le bien des patients, elle n’a pas plus de responsabilité pour surveiller la santé de la population que n’en dispose l’industrie de la restauration rapide pour surveiller la diète du public31. Et elle n’est pas vraiment intéressée non plus. Une étude est conçue ou bien pour maximiser les ventes ou bien elle est mise au point pour identifier la meilleure manière de prévenir ou de traiter une maladie précise.

Quand on recrute des patients pour une étude, un avantage de la participation est presque toujours décrit dans le document de consentement dans lequel on stipule que le participant à la recherche va contribuer à la connaissance scientifique, laquelle va contribuer favorablement à l’amélioration des soins des autres patients. Pourtant, comme je l’ai expliqué au chapitre 5, ce contrat social avec les patients est rompu. Les études sont faites pour des motifs propres au marketing, et les résultats déplaisants sont gardés secrets ou déformés avant qu’on les publie, même quand leur disponibilité aurait pu améliorer le traitement des patients.

Un autre mythe est que l’industrie n’a aucun intérêt à tricher puisque ce serait toujours découvert et que cela nuirait aux ventes. Une des personnes qui m’ont dit cela, a effectué des études cliniques pour une compagnie pharmaceutique danoise. Il était persuadé d’avoir raison et tirait grande fierté de son travail. Tant mieux pour lui, mais il n’était pas celui qui analysait les données ni ne prenait les décisions sur la manière de les analyser ni quand les résultats étaient tellement nuisibles pour les profits qu’ils ne verraient jamais la lumière du jour à l’extérieur de la compagnie. Comme je l’ai montré dans le présent ouvrage, la vérité est que les compagnies trichent beaucoup parce qu’il est rarement possible de les attraper sans avoir accès aux données brutes et parce que c’est payant.

Mythe 8 : Nous avons besoin de plusieurs médicaments d’un même type parce la réponse des patients est variable

J’ai entendu cet argument un nombre infini de fois de la part de médecins qui ont écouté le boniment des vendeurs de pilules sans se demander si cela était vrai ou pas. Dans de rares cas, cela pourrait être vrai, mais je n’ai pas vu de données convaincantes qui le confirment. Une des études qui proposaient de montrer que les patients réagissent différemment était une étude croisée dans laquelle des patients souffrant d’arthrite rhumatoïde ont expérimenté quatre médicaments et dit aux chercheurs la période qu’ils avaient préférée32. Cela ne prouve rien puisque l’intensité de la douleur varie. Pour être certain que les préférences ne sont pas qu’un bruit de fond, il faudrait exposer les mêmes patients aux mêmes médicaments plus d’une fois.

Mythe 9 : Ne pas utiliser les médicaments génériques parce que leur puissance varie

Pfizer a déjà prétendu que ses propres tests de produits génériques contenant la même substance active qu’un médicament de Pfizer contre l’étourdissement avaient montré que 10 de 17 produits génériques ne parvenaient pas à satisfaire aux normes de puissance6. Comparons cela avec le fait que les agences du médicament s’assurent que les produits génériques sont bio équivalents au médicament original en exigeant des études comparatives chez des volontaires humains, dans lesquelles on mesure les concentrations de substance active dans le sang des participants.

Plusieurs médecins croient ces balivernes rejetées à répétition par des scientifiques sans conflit d’intérêts qui ont mené les études de biodisponibilité.

Mythe 10 : L’industrie paie la formation médicale continue parce que les fonds publics ne le font pas

Si cela était vrai, ce serait un geste d’immense générosité parce c’est très coûteux et que cela influence la plupart des médecins. Comme je l’ai expliqué au chapitre 8, ce que cela signifie est tellement manifeste que même les organismes représentant l’industrie pharmaceutique ne le nient pas tout en reconnaissant que c’est leur manière de diriger leur commerce. Trois des plus grosses agences de publicité des Etats-Unis administrant des contrats publicitaires pharmaceutiques investissent dans des organismes de recherche contractuelle et préparent des ensembles « éducatifs » pour l’industrie pharmaceutique3.

Comme Marcia Angell l’a affirmé en entrevue, les compagnies élaborent une gigantesque fiction en tentant de faire croire qu’elles ne s’en tiennent pas qu’à vendre des médicaments mais qu’elles sont aussi engagées dans la formation médicale17. Les investisseurs attendent d’elles qu’elles fassent d’aussi gros profits que possible en vendant des médicaments. Mais elles sont aussi parvenues à convaincre une foule de gens qu’elles s’occupent aussi de les éduquer. Cela n’est pas possible. C’est comme si on demandait aux brasseurs de bière de faire de la formation sur l’alcoolisme. De plus un conflit d’intérêts ressort. Les compagnies pharmaceutiques pourraient « former » les médecins sur les médicaments aussi longtemps qu’elles ne discutent que des avantages mais iront-elles jusqu’à dire : « Notre médicament n’est pas vraiment très bon ; une autre compagnie en produit un bien meilleur ? » Non. Cela n’arrivera pas.

[…]


 

Lisez ce livre et faites-le connaître autour de vous : c’est renversant. ÉC.

 

[Histoire des crimes commis par les CANAILLES à qui on nous impose de faire CONFIANCE aujourd’hui] Peter C. Gøtzsche : REMÈDES MORTELS ET CRIME ORGANISÉ : comment l’industrie pharmaceutique a corrompu les services de santé (2015,2019)

[Histoire des crimes commis par les CANAILLES à qui on nous impose de faire CONFIANCE aujourd’hui] Peter C. Gøtzsche : REMÈDES MORTELS ET CRIME ORGANISÉ : comment l’industrie pharmaceutique a corrompu les services de santé (2015,2019)
Peter C. Gøtzsche

Source : [Histoire des crimes commis par les CANAILLES à qui on nous impose de faire CONFIANCE aujourd’hui] Peter C. Gøtzsche : REMÈDES MORTELS ET CRIME ORGANISÉ : comment l’industrie pharmaceutique a corrompu les services de santé (2015,2019) – Étienne Chouard – B

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