Protéger la fable bancale du Russia-gate, par Robert Parry
Le dernier article de Robert Parry avant son AVC… RIP 🙁
Plus grand monde ne nous éclairera sur le Russia-gate désormais…
Source : Robert Parry, Consortium News, 15-12-2017
Le New York Times poursuit son triste modèle de falsification de ses rapports sur le Russia-gate, donnant à ses lecteurs des informations qu’il sait ne pas être vraies, écrit Robert Parry.
Si le Russia-gate est l’énorme scandale que nous décrivent tant de personnes importantes – à travers les médias grand public américains et le monde politique – pourquoi ses partisans doivent-ils recourir à des mensonges et à des exagérations pour préserver les éléments fondamentaux de leur histoire ?
Un nouvel exemple, jeudi, a été la déclaration du New York Times selon laquelle une agence russe « a dépensé 100.000 dollars sur la plateforme [Facebook] pour influencer l’élection présidentielle américaine de l’année dernière » – alors que le Times sait que cette affirmation est fausse.
Selon Facebook, seulement 44 % de ce montant est apparu avant l’élection présidentielle américaine en 2016 (soit 44 000 $) et peu de ces annonces portaient sur l’élection proprement dite. Et, nous savons que le Times était au courant parce qu’il l’a lui-même reconnu dans un de ses articles au début d’octobre.
Dans le cadre de cet article, les correspondants du Times, Mike Isaac et Scott Shane, ont rapporté que les annonces couvraient également un large éventail d’autres sujets : « Il y avait même un groupe Facebook pour les amateurs d’animaux avec des images d’adorables chiots qui étaient diffusées sur le site à l’aide de publicités payantes ».
Aussi infâme que ce soit pour le Times de voir des Russes présenter une page Facebook sur « d’adorables chiots », l’absurdité de cette préoccupation – et la malhonnêteté du Times, qui a ensuite « oublié » ce qu’il a lui-même rapporté il y a à peine deux mois au sujet de la période et du contenu de ces « annonces liées à la Russie » – en dit long sur le Russia-gate
Jeudi, ne voulant pas, vraisemblablement, que ce montant de 100 000 $ (qui n’est pas une somme particulièrement importante) paraisse encore plus petit et moins important, le Times a choisi de déformer ce qu’il savait déjà être vrai, en évitant de reconnaître que le total préélectoral était inférieur à la moitié de ce montant déjà modeste – et même que ce total n’avait pas grand chose à voir avec l’élection.
Et pourquoi le Times ment-il ? Car dire la vérité minerait cette histoire de méchants Russes ayant vaincu Hillary Clinton et mis Donald Trump à la Maison-Blanche – ce qui est le cœur du Russia-gate.
Un autre fait important est que Facebook n’a pas trouvé d’annonces « liées à la Russie » au cours de ses deux premières recherches et n’a détecté les 100 000 $ qu’après une visite personnelle du sénateur Mark Warner, D-Virginia, vice-président de la commission sénatoriale du renseignement et l’un des principaux législateurs en matière de la réglementation d’Internet.
En d’autres termes, les dirigeants d’entreprise de Facebook ont déterré quelque chose pour apaiser Warner. De cette façon, Warner et les démocrates pouvaient accuser la Russie de la promotion de Trump à la présidence, s’épargnant ainsi de nouvelles critiques sur la campagne épouvantable de Clinton (dans laquelle elle a qualifié la moitié des électeurs de Trump de « déplorables ») ainsi que sur sa politique économique néolibérale (et ses stratégies néo-conservatrices en politique étrangère) qui lui ont aliéné une grande partie de la classe ouvrière américaine ainsi que de nombreux progressistes.
Omission du contexte
Le Times aurait aussi pu replacer les 100 000 $ d’annonces « liées à la Russie » sur deux ans dans le cadre des 27 milliards de dollars de revenus annuels de Facebook, ce qu’il n’a pas fait (apparemment parce que même un total de 100 000 $ passerait pour une maigre somme).
Réduire le total à 44 000 $ et admettre que seules quelques-unes de ces annonces traitaient de Clinton et de Trump, serait encore pire pour la fable du Russia-gate.
Ironiquement, la dernière fausse description du Times sur les 100 000 $ des annonces décrites comme conçues pour « influencer » l’élection de 2016 a paru dans un article portant sur Facebook, article selon lequel d’autres annonces liées à la Russie, et qui auraient eu un effet important sur le vote du Brexit de la Grande-Bretagne, ont totalisé seulement trois annonces pour un coût de 97 cents. (Ce n’est pas une faute de frappe.)
Selon Facebook, les trois annonces, axées sur l’immigration, ont été visionnées quelque 200 fois par les Britanniques pendant quatre jours en mai 2016. Bien sûr, la réponse des parlementaires britanniques qui voulaient faire porter la responsabilité du Brexit à Moscou a été d’affirmer que Facebook avait dû passer à côté de quelque chose. Cela n’était pas possible que de nombreux Britanniques aient perdu la foi en ce qui concerne les promesses de l’Union européenne pour leurs propres raisons.
On a pu observer le même genre de schéma concernant des allégations d’ingérence russe dans les élections allemandes et françaises, les premières accusations ayant fait l’objet d’une large publicité, mais finalement pas tant que ça, les dernières conclusions d’enquêtes sérieuses les faisant tomber. [Voir, par exemple, Consortiumnews.com : « Le renseignement allemand blanchit la Russie sur les interférences »]
Il semblerait que la seule conclusion acceptable soit : « La Russie est coupable ! »
Aujourd’hui, à Washington, il est devenu presque interdit de demander des preuves concrètes prouvant l’affirmation première selon laquelle la Russie aurait « piraté » les courriels des démocrates, bien que l’accusation provienne de ce que le directeur du renseignement national du président Obama, James Clapper a reconnu être des analystes « triés sur le volet » de la CIA, du FBI et de l’Agence de sécurité nationale.
Ces analystes « triés sur le volet » sont ceux qui ont produit « cette analyse peu étayée » du 6 janvier sur le piratage des courriels par la Russie qui les aurait ensuite glissés chez WikiLeaks – un scénario nié par WikiLeaks et la Russie.
Lorsque cette « analyse » a été publiée il y a près d’un an, même Scott Shane du Times, a remarqué le manque de preuves, en écrivant : « Ce qui manque dans le rapport public [du 6 janvier], c’est ce que beaucoup d’Américains attendaient le plus : des preuves tangibles pour étayer les affirmations des agences selon lesquelles le gouvernement russe avait organisé l’attaque électorale… Au lieu de cela, le message des agences revient essentiellement à ‘faites-nous confiance’ ».
Mais le Times a vite « oublié » ce que Shane avait malencontreusement noté et a commencé à parler du « piratage » russe comme d’un fait avéré.
La fable des 17 agences
Chaque fois que des manifestations éparses de scepticisme ont surgi, émises par quelques analystes ou des médias non conventionnels, les doutes ont été dissipés par l’allégation selon laquelle « les 17 agences de renseignement américaines » étaient d’accord avec la conclusion selon laquelle le président russe Vladimir Poutine avait ordonné le piratage pour nuire à Hillary Clinton et aider Donald Trump. Et quel genre de cinglé mettrait en doute le jugement collectif de 17 agences de renseignement américaines !
Bien que la fable des 17 agences n’ait jamais été vraie, elle a été très importante pour permettre d’imposer la pensée de groupe du Russia-gate. En brandissant le cercle des « 17 agences de renseignements” » les médias grand public américains ont poussé les politiciens et les décideurs politiques à se ranger à cet avis, de telle sorte que les sceptiques restants semblent encore plus dingues et déphasés.
Ainsi, en mai 2017, lorsque Clapper (ainsi que l’ancien directeur de la CIA John Brennan) ont admis, dans un témoignage devant le Congrès, qu’il n’était pas vrai que les 17 agences étaient d’accord avec la conclusion du piratage informatique russe, ces déclarations n’ont reçu que très peu d’attention dans les médias grand public.
Le New York Times, parmi d’autres grands organes d’information, a continué à soutenir la supercherie sur les 17 agences jusqu’à ce que le Times soit finalement contraint, fin juin, de corriger son mensonge ; cela n’a fait que conduire le Times à adopter une formulation légèrement différente mais toujours trompeuse, parlant d’un « consensus » parmi les agences de renseignements, sans mentionner de chiffre ou en considérant simplement l’allégation non prouvée de piratage comme un fait établi
Même les efforts visant à étudier de manière scientifique les affirmations de piratage russe ont été ignorés ou ridiculisés. Lorsque l’ancien directeur technique de la NSA, William Binney, a mené des expériences qui ont montré que la vitesse de téléchargement connue d’un lot de courriels du DNC n’aurait pas pu se produire sur Internet, mais correspondait à ce qu’il était possible de faire sur une clé USB – indication qu’un initié démocrate a probablement téléchargé les courriels et qu’il n’y avait donc pas de « piratage » – Binney a été ridiculisé entant que « théoricien de la conspiration ».
Même avec les nouvelles révélations sur le parti pris anti-Trump profondément enraciné dans les messages textuels échangés entre deux hauts fonctionnaires du FBI qui ont joué un rôle précoce important dans l’enquête sur le Russia-gate, rien n’indique que Washington soit prêt à revenir sur ses pas et à voir comment l’histoire du Russia-gate pourrait avoir été tissée de manière mensongère.
Dans un texto du 15 août 2016 récemment publié par Peter Strzok, un haut responsable du contre-espionnage du FBI, à sa célèbre maîtresse, l’avocate principal du FBI Lisa Page, Strzok fait référence à un plan évident pour empêcher Trump d’être élu, avant de suggérer la nécessité d’une « police d’assurance » juste au cas où il le serait. Une enquête sérieuse sur le Russia-gate pourrait vouloir savoir ce que ces hauts fonctionnaires du FBI avaient en tête.
Mais le Times et d’autres grands promoteurs du Russia-gate continuent à rejeter les sceptiques comme des délirants ou des protecteurs de la Russie et/ou de Trump. A ce stade (plus d’un an après le début de cette enquête) trop de personnes importantes ont adhéré au récit du Russia-gate pour envisager la possibilité qu’il n’y ait pas grand-chose ou, pire encore, que ce soit la « police d’assurance » envisagée par Strzok.
Le journaliste d’investigation Robert Parry a révélé de nombreuses affaires de l’Iran-Contra pour The Associated Press et Newsweek dans les années 1980.
Source : Robert Parry, Consortium News, 15-12-2017
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
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