Quand les États-Unis le soutiennent, ce n’est pas un coup d’État

Sa politique a provoqué la grande colère du gouvernement américain, des entreprises occidentales et de la presse institutionnelle, qui fonctionnent comme les troupes de choc idéologiques contre les gouvernements de gauche en Amérique latine. (Photo : CBS/Copie d’écran)

 

Source : Common Dreams, Alan MacLeod, 12-11-2019

Le message médiatique du cas bolivien est clair : un coup d’État n’est pas un coup d’État si nous en apprécions l’issue.

Les généraux de l’armée apparaissant à la télévision pour exiger la démission et l’arrestation d’un civil élu chef d’État semblent être un exemple classique de coup d’État. Et pourtant, ce n’est certainement pas ainsi que les médias grand public présentent les événements du week-end en Bolivie.

Aucun organe de l’establishment n’a qualifié l’action de coup d’État ; au contraire, le président Evo Morales a « démissionné » (ABC News, 11/10/19), au milieu de « protestations » généralisées (CBS News, 11/10/19) d’une « population en colère » (New York Times, 11/10/19) contre la « fraude électorale » (Fox News, 11/10/19) de la « dictature à part entière » (Miami Herald, 11/09/19). Lorsque le mot « coup d’État » est utilisé, il ne s’agit que d’une accusation de Morales ou d’un autre fonctionnaire de son gouvernement, que la presse institutionnelle diabolise depuis son élection en 2006 (FAIR.org, 5/6/09, 8/1/12, 4/11/19).

Le New York Times (11/10/19) n’a pas caché son approbation lors des événements, présentant Morales comme un despote avide de pouvoir qui avait finalement « perdu son emprise sur le pouvoir », affirmant qu’il était « assiégé par les manifestations » et « abandonné par ses alliés » comme les services de sécurité. Ses tendances autoritaires, affirmait l’article, « ont effrayé ses critiques ainsi que de nombreux sympathisants pendant des années », et ont permis à une source d’affirmer que son renversement marquait « la fin de la tyrannie » en Bolivie. Avec un signe de tête qui semble indiquer qu’il faut trouver un compromis, il a noté que Morales « n’a pas admis avoir commis d’actes répréhensibles » et s’est dit « victime d’un coup d’État ». À ce stade, cependant, le puits avait été complètement empoisonné.

CNN (11/10/19) a rejeté les résultats de la récente élection, où la Bolivie a donné à Morales un nouveau mandat, comme truffé d’« accusations de fraude électorale », les présentant comme une farce où « Morales se déclare vainqueur ». L’article du Times (11/10/19) affirme que ce qui a mené à sa « démission », ce sont des « protestations » et des « accusations de fraude », plutôt que la contrainte sous la menace d’une arme de la part des militaires. Entre-temps, CBS News (11/10/19) n’a même pas inclus le mot « accusations » en titrant « Le président bolivien Evo Morales démissionne après une fraude électorale et des manifestations ».

La délégitimation des élections à l’étranger où la « mauvaise » personne gagne, bien sûr, est un passe-temps favori des médias institutionnels (FAIR.org, 5/23/18). Les avis de l’Organisation des États américains (OEA) sur les élections sont largement acceptés sans critique, y compris lors du vote d’octobre en Bolivie (BBC, 11/10/19 ; Vox, 11/10/19 ; Voice of America, 11/10/19), malgré le manque de preuves à l’appui. Aucun journal grand public n’a averti ses lecteurs que l’OEA est une organisation [née, NdT] de la Guerre froide, explicitement créée pour mettre un terme à la propagation de gouvernements de gauche. En 1962, par exemple, elle a adopté une résolution officielle affirmant que le gouvernement cubain était « incompatible avec les principes et les objectifs du système inter-américain ». En outre, l’organisation est financée par le gouvernement américain ; en effet, en justifiant le maintien de son financement, l’US AID a soutenu que l’OEA est un outil crucial pour « promouvoir les intérêts américains dans l’hémisphère occidental en contrant l’influence des pays anti-américains » comme la Bolivie.

En revanche, les médias mainstream américains n’ont pas du tout couvert le nouveau rapport détaillé du groupe de réflexion indépendant du CEPR [Center for Economic and Policy Research, NdT], basé à Washington, qui a affirmé que les résultats des élections étaient « conformes » au cumul des victoires annoncé. Il n’a guère été fait mention non plus de l’enlèvement et de la torture d’élus, du saccage de la maison de Morales, de l’incendie de bâtiments publics et du drapeau indigène Wiphala, qui ont tous été largement diffusés sur les médias sociaux et qui auraient suggéré une interprétation très différente des événements.

Les mots ont du pouvoir. Et l’organisation d’un événement est un puissant moyen de transmettre la légitimité et de suggérer des actions. Les « coups d’État », presque par définition, ne peuvent pas être soutenus, alors que les « protestations » devraient généralement l’être. Le président chilien Sebastian Piñera, un milliardaire conservateur soutenu par les États-Unis, a littéralement déclaré la guerre à plus d’un million de personnes manifestant contre son régime. Les médias grand public, cependant, ont présenté ce soulèvement non pas comme une manifestation, mais plutôt comme une « émeute » (p. ex. NBC News, 10/20/19 ; Reuters, 11/9/19 ; Toronto Sun, 11/9/19). En fait, Reuters (11/8/19) a décrit les événements comme une réponse de Piñera aux « vandales » et aux « pillards ». Qui s’opposerait à cela ?

Morales a été le premier président autochtone de sa nation où la population est majoritairement autochtone – une nation qui a été dirigée par une élite européenne blanche depuis l’époque des conquistadors. Pendant son mandat, son parti, le Mouvement vers le socialisme, a réussi à réduire la pauvreté de 42 % et l’extrême pauvreté de 60 %, à réduire le chômage de moitié et à mener un certain nombre de programmes de travaux publics impressionnants. Morales se voyait comme faisant partie d’une vague de décolonisation à travers l’Amérique latine, rejetant le néolibéralisme et nationalisant les ressources clés du pays, dépensant les bénéfices dans la santé, l’éducation et une nourriture abordable par la population.

Sa politique a fortement irrité le gouvernement américain, les entreprises occidentales et la presse grand public, qui fonctionnent comme les troupes de choc idéologiques contre les gouvernements de gauche en Amérique latine. Dans le cas du Venezuela, les journalistes occidentaux se qualifient sans ironie de « résistants » au gouvernement, et font de la résistance leur objectif n°1 pour « se débarrasser de Maduro », tout en se présentant comme des acteurs neutres et impartiaux.

Le message médiatique du cas bolivien est clair : un coup d’État n’est pas un coup d’État si l’issue nous arrange.

Alan MacLeod est membre du Glasgow University Media Group. Il est l’auteur de « Bad News FromVenezuela : 20 Years of Fake News and Misreporting » [Mauvaises nouvelles du Venezuela : 20 ans de fausses nouvelles et de reportages mensongers, NdT]. Son dernier livre, Propaganda in the Information Age : Still Manufacturing Consent [La propagande à l’ère de l’information : La fabrication du consentement permanente NdT], a été publié par Routledge en mai 2019. Suivez-le sur Twitter : @AlanRMacLeod

Source : Common Dreams, Alan MacLeod, 12-11-2019

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

via » Quand les États-Unis le soutiennent, ce n’est pas un coup d’État

Print Friendly, PDF & Email

Laisser un commentaire