Récit d’un deuxième jour surréaliste à l’Assemblée nationale

C’est d’ordinaire une séance réglée au millimètre où tout est discuté et négocié à l’avance. Le deuxième jour d’une législature est consacré à la nomination du bureau de l’Assemblée nationale. Une vingtaine de postes (un président, six vice-présidents, trois questeurs et douze secrétaires) équitablement répartis selon les forces en présence au palais Bourbon.

Ce mercredi 28 juin, c’est à cela que les députés auraient du assister, une fois qu’ils ont eu fini de débattre de l’absence de cravate de Jean-Luc Mélenchon et de ses collègues insoumis. Mais rien ne s’est finalement passé comme prévu et le spectacle offert par la représentation nationale a carrément « époustouflé » le pourtant très expérimenté communiste André Chassaigne.

Le duel Ciotti-Solère met le feu aux poudres

Commençons par le début. La séance a ouvert à 15 heures avec un coup de théâtre. Alors que trois places de questeurs étaient en jeu et que d’ordinaire, trois députés sont candidats (deux de la majorité et un de l’opposition), quatre candidatures ont été enregistrées. Deux pour La République en marche, conformément à la tradition et deux pour la droite.

Alors qu’Eric Ciotti du groupe Les Républicains semblait s’acheminer vers une élection tranquille son collègue « constructif » Thierry Solère a décidé de se présenter. Issu d’un groupe composé de députés UDI et LR macron-compatibles, le Monsieur loyal de la primaire de droite a finalement remporté l’élection en profitant du vote en sa faveur de tous les députés macronistes.

Techniquement, rien ne s’opposait à son élection puisque le groupe dont il est issu s’est enregistré comme étant dans l’opposition. Seulement il a été élu dans les Hauts-de-Seine avec la bienveillance de La République en marche qui n’a pas présenté de candidat face à lui et il s’est dit prêt à voter la confiance au premier ministre. Bref, pour Christian Jacob (patron du groupe Les Républicains), il fait partie de la majorité et son camp s’est fait voler le poste traditionnellement dévolu à l’opposition. Alors qu’Eric Ciotti y voit « un hold-up démocratique », Thierry Solère lui répond que « Les Républicains sont tristes parce qu’ils ont perdu les élections » et qu’ils « n’ont pas compris qu’on avait changé d’ère ».

Alerte enlèvement dans les couloirs du palais Bourbon

Pour contester cette élection, Les Républicains ont réclamé et obtenu une première suspension de séance pour que les présidents de tous les groupes se réunissent et tentent (en vain) de trouver un terrain d’entente sur le respect des droits de l’opposition autour de propositions formulées notamment par les socialistes et la France insoumise.

Pendant ce temps, les députés de l’opposition ont eu tout le temps de dire le mal qu’ils pensaient du Congrès qu’Emmanuel Macron venait de convoquer à Versailles pour lundi 3 juillet, soit la veille du discours de politique générale d’Édouard Philippe à l’Assemblée. Ils ont également eu l’occasion de commenter la présence confirmée de Donald Trump aux festivités du 14-Juillet.

Quelques instants seulement après la reprise, aux alentours de 19h30, une seconde suspension a été décrétée pour que chaque groupe se réunisse. Mais alors qu’elle devait durer une trentaine de minutes, cette suspension a finalement duré près de trois heures sans que l’on sache exactement ce qui se passait. Plusieurs parlementaires d’opposition ont même lancé une alerte enlèvement pour signaler la disparition du président de l’Assemblée François de Rugy.

Le tour de force de Ferrand finit de crisper tout le monde

Quand finalement la séance a repris vers 22h35 pour ce qui devait être normalement l’élection des six vice-présidences, une série de prises de parole de tous les présidents de groupe a renforcé le caractère surréaliste de la journée. Pour protester contre le traitement réservé à son groupe lors de l’élection à la questure, Christian Jacob a confirmé que Les Républicains boycotteraient l’élection. Face à ce qu’il assimile à une « bouderie », Richard Ferrand, le président du groupe LREM a décidé d’augmenter le nombre de ses candidats, alors même qu’il avait dit le contraire trois heures plus tôt.

Tant est si bien que le groupe macroniste s’assure avec le Modem d’avoir l’ensemble des postes de vice-présidents alors que la coutume est d’en laisser à l’opposition. Mais l’éphémère ministre de la Cohésion des territoires assure cependant que son groupe rétrocédera les postes aux Républicains quand ils voudront bien y participer à nouveau.

Le lieutenant d’Emmanuel Macron a aussi affirmé en guise de bonne volonté que son groupe ne participerait pas au vote prévu jeudi pour la prestigieuse commission des Finances qui doit revenir à l’opposition et qui pourrait être l’objet de la même passe d’armes LR-Constructifs que pour la questure.

La colère froide d’André Chassaigne

Alors qu’ils avaient observé la première partie de la journée avec une certaine distance, les patrons des groupes de gauche (l’insoumis Jean-Luc Mélenchon, le communiste André Chassaigne et le socialiste Olivier Faure) se sont relayés au micro (voir les vidéos ci-dessous) pour dénoncer les façons de faire de la majorité et notamment la mise sous éteignoir de l’opposition.

Faisant fi des remarques et alors que le « constructif » Yves Jégo a menacé de déposer un recours si le vote avait lieu dans ces conditions, François de Rugy a finalement lancé le scrutin aux alentours de 23 heures. Les résultats étaient attendus pour minuit. Ils ont finalement été annoncés peu après 00h30 avec une élection sans surprise des six candidats de la majorité. La suite, notamment l’élection des douze secrétaires sera au menu de la séance de jeudi. Nous serons alors au troisième jour de la législature. Car oui, ce mercredi n’était que le deuxième…

via Récit d’un deuxième jour surréaliste à l’Assemblée nationale

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