René Riesel ; L’enragé n’en démord pas…

Article du numéro 16 de la revue Rébellion  ( Mars-Avril 2006).

Dans la lutte contre les Organismes Génétiquement Modifiés que veulent nous imposer les multinationales et la classe politique, certains ont su faire le lien en paroles et en actes entre la critique des OGM et celle de l’organisation sociale qui les a produits. Par leurs actions, ils ont remis en question les fausses évidences d’un « destin technologique » inéluctable, du contrôle et d’une artificialisation de la vie biologique au nom du profit. Loin des altermondialistes de salon et des citoyennistes serviles, René Riesel est l’un de ces véritables rebelles au meilleur des mondes que l’on nous prépare. Petit résumé de son parcours et des idées qu’il défend…

« Les damnés de Nanterre »

Né en juin 1950 à Alger, René Riesel est vite sorti de l’enfance, au milieu des « évenèments » d’Algérie. Son père, horloger-bijoutier, est militant communiste dans l’un des quartiers populaires de la ville. En 1962, rapatrié avec sa famille, le jeune René est émerveillé par la découverte de Paris. Il parcourt avec passion ses rues non encore livrées aux promoteurs et aux bobos. Lecteur avide, il débute son engagement politique au sein d’un groupe anarchiste, nommé Sisyphe en référence à Camus, qu’il fonde avec des amis. La révolte est à l’heure du jour, il est fasciné par les provos d’Amsterdam (squatteurs autonomes) et s’implique dans la mouvance libertaire. Emancipé à 16 ans, il jette le trouble au congrès anarchiste de Bordeaux de janvier 1967, croise Daniel Cohn-Bendit, alors proche du groupe anarcho-communiste Noir et Rouge, avant de le retrouver à l’université de Nanterre qu’il rejoint, bac en poche.

Il sera au cœur des événements qui déboucheront sur Mai 68. Riesel et ses camarades qui commencent à s’appeler les Enragés, entretiennent une agitation permanente sur le campus. Ils squattent les bâtiments des filles, manifestant pour le Vietnam en critiquant les staliniens, interrompant les cours d’Alain Touraine, Edgar Morin ou Henri Lefebvre à coups de fumigènes et de boules puantes. L’orientation du petit groupe est franchement libertaire et festive, ils se heurtent souvent au dogmatisme des sérieux représentants des groupuscules troskystes ou maoïstes. Pourtant une nouvelle provocation amène les gauchistes à soutenir ces enragés pourtant peu orthodoxes. Le 22 mars 68, l’occupation d’un bâtiment universitaire, amène huit étudiants en conseil de discipline à la Sorbonne.

Le 6 mai, Cohn-Bendit et Riesel font partie des convoqués. Mais dans la rue, l’émeute éclate, Mai 68 est parti. Riesel se retrouve le 14 mai président du comité d’occupation de la Sorbonne, vite contourné par les gauchistes plus organisés. Il est ensuite de toutes les actions, mais il comprend que Mai s’est achevé quand les « staliniens » (PCF et CGT) bouclent les usines pour empêcher le lien avec les étudiants. Riesel pénètre alors le cercle très fermé de l’Internationale situationniste. Mais en 1971, il est exclu du groupe après une retentissante dispute avec Guy Debord. Au contact des « situs », Riesel a approfondi ses connaissances théoriques et affiné un talent d’écriture et de pensée claires.

La Révolte est dans le champ.

Après avoir conspué la médiocrité du temps et le massacre de son vieux Paris (on détruit les Halles et les derniers quartiers populaires), il quitte la ville pour la campagne, débute des années de galère faites de petits boulots, de rencontres et de lectures. Dans les années 1980, il s’installe avec sa compagne dans le Sud-Ouest. Ils se lancent dans l’élevage des moutons : « Je suis parti dans les Pyrénées-Orientales et me suis fait éleveur, mode de vie qui me convenait et me permettait de reconstituer une « base arrière », non pas au sens militaire, mais au sens de réapprendre des pratiques qui constituent à bien des égards la véritable richesse humaine. Dans l´état actuel de déliquescence de nos sociétés, il faut réinvestir un certain nombre de savoir-faire perdus. On connaît la blague classique du môme qui demande si les poissons sont carrés parce qu´il ne les a vus que sous forme de surgelés panés, des gens de 40 ans ne savent pas où est le devant et le derrière d´une vache: cet état d´ignorance tragique se généralise. Mais devant l´espèce de panique qui saisit les gens face à l´abîme, on tente de les rassurer avec le retour à de pseudo-traditions rurales, qui seraient un refuge possible de la qualité en matière agricole, alors qu´en réalité on libère seulement l´inventivité publicitaire pour rhabiller la même merde industrielle ». Ils se heurtent à l’hostilité des paysans locaux, qui leur refusent le libre usage des terrains communaux : « : L´industrialisation de l´élevage du mouton était la tendance dominante et, comme éleveur, j´ai pratiqué exactement l´inverse. Ce fut l´union sacrée pour me dégager (…) J´ai vu les choses se dégrader à vive allure. Il n´y a plus de paysannerie en France, seulement des agriculteurs, plus ou moins intégrés, qu´ils l´admettent ou pas, dans un segment de la production agro-industrielle ». Pourtant, ils s’accrochent et découvrent un monde rural riche en diversité.

A grains des années, ils se retrouvent avec leurs moutons sur le Causse Méjean en Lozère. En 1991, il rejoint la Confédération paysanne et se retrouve, en 1995, au secrétariat national du syndicat paysan : « les gens de la Confédération du cru sont venus me chercher et, avec eux, j´ai eu la tentation d´élargir un peu la bagarre. La Confédération rassemble des socialistes, des babas, des gauchos repentis, des Verts, un club d´idées assez paradoxal qui fonctionne sur le consensus de façon à présenter une unité de façade, avec toutes sortes de tendances qui cohabitent sans jamais aller au bout de leurs discussions… J´ai cru pouvoir faire avancer des questions pour moi centrales. Nombre de ces gens étaient ou sont vraiment de bonne foi. Il y avait des choses à faire sur le terrain; ensuite, je n´ai jamais renoncé à rien, j´ai toujours dit ce que je pensais du fonctionnement de l´organisation, des illusions qui y étaient répandues. Mais bon, j´y ai fait ce que je pouvais faire (contre les OGM en particulier), et j´en suis parti en mars 1999, quand rien n´est plus resté possible ».

La lutte contre les OGM

Les OGM rentrent dans leur vie en 1996. Pour Riesel, ce sont les agents de « l’intégration des paysans dans un complexe agro-industriel déresponsabilisant ». Il organise l’invasion d’un stockage de maïs transgénique à Nerac, en 1998.  Le 10 septembre 1998, une centaine d´agriculteurs opposés au génie génétique procédaient à la destruction de micro-parcelles de maïs et de soja transgéniques lors d´une journée « portes ouvertes », organisée par la compagnie MONSANTO, à l´intention de ses distributeurs et des « leaders » de la maïsiculture régionale, sur son site d´expérimentation de Monbéqui dans le Tarn-et-Garonne. La cible n’a pas été choisie au hasard. Lors de son procès, Riesel explique ce choix :  «  Monsanto est, on le sait, une des toutes premières firmes à s´être engouffrée dans l´exploitation des technologies génétiques. Mais ce n´est pas le seul mérite de cet honnête industriel dont le métier, comme on dit dans son monde, a d´abord été la chimie. Célèbre pour avoir été le principal producteur de l´Agent Orange, l´efficace défoliant de la guerre du Viêt-Nam, il a également conçu et fabriqué depuis 1901 de nombreux désinfectants, spécialités pharmaceutiques et pesticides réputés pour leurs propriétés cancérigènes ou leur teneur en dioxines. Rien ne saurait ternir un tel palmarès. Ni l´impressionnante sollicitude qu´il a constamment témoignée aux ouvriers et populations exposés aux contaminations dispensées par ses usines. Ni les centaines de millions de dollars dont il a dû s´acquitter en dépit, et parfois en raison, des manipulations ou des subornations de témoins et de membres de l´administration, auxquelles il s´est fréquemment résigné dans l´intérêt de la liberté du commerce et de l´industrie.

Sa reconversion dans le génie génétique n´allait pas mener Monsanto à renoncer aux pratiques qui sont le fondement de sa culture d´entreprise. Contrats léonins imposés aux cotonniers nord-américains, poursuites judiciaires contre des agriculteurs soupçonnés d´avoir conservé une partie de leur récolte pour la ressemer, mise sur le marché à grande échelle, en Inde et aux Etats-Unis, de variétés transgéniques défectueuses, pressions sur l´imprimeur britannique du mensuel The Ecologist pour l´amener à détruire un dossier consacré à la firme, incitations ouvertes à la délation, intox, recours aux plus sinistres polices privées, Monsanto continue de défendre la liberté du commerce et de l´industrie.

« J´ai un point d´accord avec les conclusions présentées par Monsanto au Tribunal : je considère aussi que ce serait « se tromper de débat » que de se perdre ici « en digressions à propos des effets prétendument négatifs des organismes génétiquement modifiés ». Les faits bien établis que je viens d´évoquer attestent suffisamment que si les effroyables promesses de la technoscience génétique avaient eu un seul avantage prévisible pour les hommes, elles n´auraient pas intéressé Monsanto ! On ne cherche pas à se justifier des accusations portées par un tel accusateur.  Mais en jugeant s´il y a lieu de donner droit aux réclamations de Monsanto, le Tribunal dira du même coup s´il juge bon de garantir à Monsanto le libre exercice de ces activités »1.

L’année suivante, Riesel rompt avec la Confédération paysanne, jugée trop réformiste et médiatisée. Pour autant, il ne cesse pas son action. Avec José Bové et bien d’autres, il détruit des plants de riz transgénique au CIRAD (Centre international de recherche en agronomie développement) de Montpellier dans le cadre de la Caravane intercontinentale dont il avait assuré une partie de la coordination. Le procès sera, pour René Riesel, l´occasion de manifester l´existence d´un courant critique anti-industriel2 : « Mais sobrement : l´activisme spectaculaire ne m´intéresse pas, surtout quand il cache la pauvreté de l´analyse. Ma critique de la technoscience est effectivement radicale: recherche publique, recherche privée, peu importe quand ces gens, littéralement, ne savent pas ce qu´ils font, bricolent – sans en avoir, de leur propre aveu, la moindre compréhension théorique – des chimères génétiques aux effets imprévisibles. Le sabotage contre le CIRAD était une attaque frontale contre des recherches publiques, afin de casser le mythe selon lequel une recherche contrôlée citoyennement pourrait être régulée: il faut commencer par comprendre que cette technologie est par essence incontrôlable. Le fameux « principe de précaution » dont on parle tant, nous l´appliquons, de la seule manière dont il peut l´être ».

Condamné à 6 mois de prison ferme, René Riesel a été incarcéré à la prison de Mende le 1er décembre 2003. Il a refusé de quémander une quelconque grâce présidentielle et tout aménagement de peine. L’enragé se trouvait, une fois de plus, en contradiction avec José Bové qui n’avait pas hésité à faire appel à la bienveillance du gouvernement pour adoucir sa condamnation.

Résistance au totalitarisme technologique.

Quelles sont les bases de la critique radicale de René Riesel de la société industrielle ? « Depuis plus d’un siècle, à chaque innovation des sciences et des techniques… ce sont les mêmes grosses ficelles qu’on débobine : demain, la physique, la chimie, la biologie auront vaincu la misère, la maladie, la faim et — pourquoi pas ? — la mort elle-même. Rire de ces sornettes toujours démenties, c’est être rétrograde, « obscurantiste » comme dit le brillant Jean Glavany, c’est aller contre l’esprit démocratique du temps, qui se nourrit d’espoir et de participation « citoyenne ». Et cela, alors même que nous pouvons juger sur pièces des résultats concrets du millénarisme de la science industrielle — nonobstant d’autres nouveaux virus, des prions inédits, l’intensification du rayonnement ultraviolet, ou tout autre désastre qui permettra aux nouvelles générations de chercheurs d’exercer leur ingéniosité dans ce gigantesque laboratoire-usine qu’est à leurs yeux la Terre. Ce scientisme utilitariste et réducteur, qui ne croit comprendre que lorsqu’il croit dominer, ne sait rien imaginer qui soit gratuit, non brevetable, non manipulable ; il regarde avec haine tout ce qui, dans la nature, contredit encore la pauvreté de la survie industrielle. Il a expliqué aux parents que le cerveau est un ordinateur et le corps une voiture désormais livrée avec pièces de rechange ; il enseigne maintenant aux enfants que la cellule est une « machinerie génétique », et une mitochondrie une « centrale » énergétique » . C’est bien à l’ensemble des prémisses de la recherche scientifique moderne, privée comme publique, à tout l’arsenal technologique de contrôle et de conditionnement qu’elle met au service de l’industrialisation de la vie, jusqu’à l’artificialisation intégrale, auxquels il s’oppose.

Il voit dans la tradition du monde paysan un élément pour la renaissance d’une alternative à ce système mortifère par les valeurs qu’il cultivait: «  Eleveur, j´ai vu de près la fin du blitzkrieg dont a été victime le monde rural et agricole dans les pays développés. On a cassé la civilisation paysanne, ou du moins ce qu´il en restait. La paysannerie traditionnelle n´était certes pas porteuse de valeurs mirifiques, à préserver à tout prix ; simplement elle conservait vivante une mémoire permettant de suivre des chemins autres que ceux imposés par le développement industriel. On y trouvait des attitudes par rapport à la vie, et notamment à la vie sociale, très antinomiques avec le rationalisme dominant, un mode de vie, en tout cas, moins séparé de ce à quoi a abouti l´industrialisation en réduisant l´homme au travail et en colonisant ensuite le temps libre. J’ai vu l’ancienne société rurale se liquéfier, pourrir sur pied, des comportements se raidir. On ne peut se contenter des simplifications des antimondialistes, avec les méchantes transnationales qu’on substitue aux 200 familles et aux capitalistes à haut-de-forme et gros cigares pour avoir un ennemi clairement identifiable, alors que la domination fonctionne essentiellement grâce à la soumission: la soumission à l’industrialisation, à l’emprise d’un système technique ».

La lutte contre la soumission volontaire passe donc par une pensée et une action directe ( pas simplement médiatisé) radicale : « La radicalité c´est, littéralement, « prendre les choses à la racine » (…)Prendre les choses à la racine, c’est critiquer les bases technoscientifiques de la société moderne, comprendre la parenté idéologique profonde entre le progressisme politique ou social (c’est-à-dire la mentalité de gauche telle que la définit Théodore Kaczynski dans La société industrielle et son avenir (éd. EdN, 1998)) et le progressisme scientifique. L’industrialisation est depuis la « révolution industrielle » en Angleterre une rupture absolument fondamentale avec l’essentiel du processus d’humanisation. Sans civilisation paysanne c’est la civilisation tout court qui se défait, on le constate aujourd’hui ».

Riesel rejette en bloc José Bové, Attac, l’ensemble des altermondialistes et des « citoyennistes », qui, selon lui, ne veulent qu’aménager le système techno-marchand. Il les accuse d’avoir noyé la critique des OGM et ce qu’elle implique dans une démarche médiatique et réformiste. Pathétiques, ces croisés de la servitude active assistée par ordinateur en appellent encore une fois à l’État pour discuter de la couleur du collier et de la longueur de la chaîne.

Dans ce monde en décomposition, les solutions passent par la lutte. « Les progrès de la soumission vont à une vitesse absolument effroyable. Par l’Internet ou tout autre artifice de la quincaillerie technologique, la « culture » industrielle se répand partout. Le temps nous est compté, car la vieille idée selon laquelle le capitalisme ou l’économie s’effondreront sous leurs contradictions est évidemment fausse. Notre sort est entre nos mains: il s’agit de renouer avec le processus historique de l’humanisation »3.

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Livres de René Riesel parus aux éditions de l’Encyclopédie des Nuisances (Catalogue disponible à l’adresse suivante : 80, rue de Ménilmontant – 75020 Paris) :

  • Remarques sur l’agriculture génétiquement modifiée et la dégradation des espèces, Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, Paris, 1999.
  • Déclarations sur l’agriculture transgénique et ceux qui prétendent s’y opposer, Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, Paris, 2000.
  • Aveux complets des véritables mobiles du crime commis au CIRAD le 5 juin 1999, Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, Paris, 2001.
  • Du progrès dans la domestication, Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, Paris, 2003.
  • Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable, Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, (avec Jaime Semprun), Paris, 2008.
  • Surveiller et guérir (les moutons) ; l’administration du désastre en action : une étude de cas, Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, Paris, 2014.
  1. René Riesel, L’Empoisonneur Monsanto demande protection à la justice française, Janvier 1999.
  2. Aveux complets des véritables mobiles du crime commis au CIRAD le 5 juin 1999, Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, Paris, 2001.
  3. L’ensemble des citations de René Riesel est issu d’un entretien avec Alain Léhautier. « LES PROGRÈS DE LA SOUMISSION VONT À UNE VITESSE EFFROYABLE » dans Libération, du 3-4 février 2001.

via René Riesel ; L’enragé n’en démord pas…

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