Siemens-Alstom : le TGV passe sous contrôle allemand
Le rachat d’Alstom par son rival allemand crée un géant du rail et fait des vagues en France.
Les dirigeants d’Alstom et de Siemens ainsi que les gouvernements français et allemand auront fort à faire ce mercredi, de part et d’autre du Rhin, pour défendre leur projet de mariage dans le domaine ferroviaire, abondamment commenté mardi avant même la publication des bans. L’opération a été approuvée dans l’après-midi par les conseils d’administration des entreprises et officialisée dans la soirée.
Alstom et Siemens se sont accordés sur une transaction dans laquelle Siemens apportera à Alstom sa division Mobility. À l’issue, le groupe allemand, payé en titres émis dans le cadre d’une augmentation de capital réservée, détiendra 50 % du capital du nouvel Alstom, dont le siège sera en France. Des engagements sur quatre ans ont été pris, qui prévoient des garanties sur l’emploi et la pérennité des sites en France et en Allemagne, ainsi qu’un plafonnement à 50,5% du capital de la part de Siemens et un vote aux deux tiers du conseil pour certaines décisions stratégiques (siège, dirigeant…). La logique économique et industrielle du projet, qui prévoit 470 millions d’euros de synergies annuelles à un horizon de quatre ans, ne fait guère débat. Alstom et Siemens sont assez complémentaires, à la fois sur leurs marchés de prédilection et sur leurs lignes de force. Le nouvel ensemble franchira un palier en termes de taille critique: il sera le numéro deux mondial des matériels roulants et surtout le leader dans le domaine de la signalisation. Ce dernier métier, rentable, est considéré comme le nerf de la guerre qui se joue aujourd’hui sur le marché du rail, où les collectivités sont demandeuses de réseaux intelligents.
Un rapprochement délicat
L’exécution du rapprochement s’annonce cependant délicate. Il faudra faire apprendre à vivre ensemble des salariés, qui de l’ouvrier de production à l’ingénieur, ont appris à se concurrencer. Les réactions syndicales sont prudentes. «La consolidation est une nécessité pour lutter contre le mastodonte chinois, admet Claude Mandart, représentant du syndicat CFE-CGC, premier syndicat d’Alstom, cité par l’AFP. Et en même temps, on est inquiet car on est en choc frontal avec Siemens sur toutes nos activités».
En Allemagne, l’opération ne fait pas encore trop de vagues. Le rapprochement entre Siemens et Alstom reste traité comme une affaire plus économique que politique. Et si Angela Merkel suit de très près le dossier qui a été négocié au plus haut niveau entre les deux États, elle n’a pas dit un mot en public à propos de cet «Airbus du rail».
«Le TGV va-t-il devenir allemand?»
En France, en revanche, les réactions politiques sont très vives. L’opposition à Emmanuel Macron s’est emparée de ce dossier qui frappe les esprits. À gauche, la charge est violente. Jean-Luc Mélenchon avait dénoncé dès samedi une France qui «se vide de son sang, de sa capacité industrielle». Aux premières loges lors de la vente d’Alstom Power en 2014, Arnaud Montebourg – qui a pour la politique industrielle la conception de François Mitterrand de la Ve République, mauvaise avant lui, mauvaise après lui – promet de s’exprimer bientôt, lors d’une visite chez les GE-Alstom de Grenoble.
À droite, les critiques fusent aussi. Nicolas Dupont-Aignan ne fait pas de quartiers, dénonçant sur France Inter, «une immense escroquerie», «la dernière étape du démantèlement d’Alstom», orchestré selon lui par Emmanuel Macron.
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«Est-ce aujourd’hui la fin d’Alstom? Le TGV va-t-il devenir allemand? Pourquoi le gouvernement accepte-t-il un tel déséquilibre?» En moins de 140 signes, sur Twitter, le député Les Républicains (LR) Éric Woerth pose les questions qui fâchent. D’autres LR sont plus mesurés, comme Valérie Pécresse, présidente de la région Ile-de-France, et Christian Estrosi, maire de Nice. La première réclame le respect des engagements pris, notamment concernant les commandes massives prises par sa région. Le second reconnaît l’intérêt de construire un groupe puissant face à la concurrence chinoise, mais réclame plus d’équilibre.
L’équilibre, c’est justement la ligne de défense du gouvernement. «L’État, soyez en certains, veillera à ce que ce mariage soit un mariage entre égaux, la valorisation respective des deux entreprises étant très proche, a expliqué le secrétaire d’État Benjamin Griveaux aux députés mardi. Slogan de communication usé jusqu’à la corde, le «mariage d’égaux» semble donc de nouveau mis en avant. Malgré, en l’occurrence, le contrôle majoritaire qu’exercera Siemens, sans contrepoids puisque l’État a confirmé qu’il n’entrerait pas au capital. Le groupe Bouygues, qui détiendra moins de 15 % des titres à l’issue de l’opération, ne s’engage à rester que jusqu’au 31 juillet 2018, et ne sera pas représenté au conseil d’administration.
L’avenir dira ce qu’il en est. Plusieurs experts font remarquer que Siemens, quand il a confié les clefs d’un de ses métiers à un autre acteur, est un actionnaire fiable, comme chez Atos qui lui a racheté sa division informatique en 2011.
Des activités complémentaires
Selon Bertrand Mouly-Aigrot, associé chez Archery et spécialiste du transport, Alstom et Siemens vont bénéficier d’économies d’échelle.
LE FIGARO. – La fusion des activités ferroviaires de Siemens et d’Alstom a-t-elle du sens sur le plan industriel?
Les deux entreprises vont compléter leur portefeuille d’activités. Alstom cherchait à se renforcer dans la signalisation, très rentable. C’est justement un point fort de Siemens. Par ailleurs, on le rappelle souvent, le marché ferroviaire est très fragmenté avec des normes électriques, de signalisation spécifiques à chaque pays. En se rapprochant, les deux entreprises vont toutefois bénéficier d’économies d’échelle. Elles pourront faire des achats en commun, partager des composants et accroître leur force de frappe dans la R&D. Par ailleurs, un tel acteur de 15 milliards d’euros pourra apporter aux pays émergents des solutions clé en main comprenant le financement des projets.
Faut-il s’attendre à des répercussions sur l’emploi en France et en Allemagne?
La question peut se poser car l’un des objectifs d’une consolidation est d’accroître l’efficacité industrielle. Mais l’expérience, dans l’aéronautique par exemple, montre qu’une telle consolidation prend du temps. Il faut jusqu’à cinq à dix ans pour la mener à son terme. D’autant que les enjeux de «souveraineté» industrielle, d’équilibre des pouvoirs aussi bien culturels que sociaux sont très sensibles dans les deux groupes.
Les dirigeants d’Alstom se voyaient plutôt poursuivre seuls. Se rapprocher de Siemens est-il favorable au groupe français?
Sur le plan stratégique, un rapprochement entre Siemens et Bombardier aurait pu fragiliser Alstom. C’est cette menace et le contexte politique franco-allemand qui ont accéléré le calendrier.