“Trump met fin à un programme secret de la CIA visant à armer des rebelles anti-Assad en Syrie, une mesure que souhaitait Moscou”

Source : The Washington Post, Greg Jaffe & Adam Entous, 19-07-2017

Prenant ainsi une décision qui témoigne de sa volonté de collaborer avec la Russie, le président Trump a décidé de mettre un terme à un programme secret de la CIA qui soutenait les rebelles syriens en lutte contre le président Bachar al Assad.

Le président Trump a décidé de mettre un terme à un programme secret de la CIA visant à armer et à entraîner les rebelles modérés syriens en lutte contre le président Bachar al Assad, prenant ainsi une décision qui, selon les responsables états-uniens, était souhaitée par Moscou.

Ce programme était l’élément essentiel d’une politique commencée par l’administration Obama en 2013 et destinée à exercer une pression sur Assad pour le forcer à démissionner. Cependant même les partisans de ce programme mettaient en doute son efficacité depuis que la Russie avait déployé ses forces en Syrie deux ans après.

Selon les responsables, l’abandon progressif de ce programme secret témoigne de la volonté de Trump de trouver des façons de collaborer avec la Russie, pour qui ce programme anti-Assad représentait une attaque contre ses intérêts. La fin de ce programme constitue aussi l’aveu des limites de l’influence de Washington, et de son moindre désir de voir Assad quitter le pouvoir.

Il y a exactement trois mois de cela, après que les États-Unis ont accusé Assad de faire usage d’armes chimiques, Trump a procédé, en représailles, à des frappes aériennes contre une base aérienne syrienne. À l’époque, l’ambassadrice à l’ONU, Nikki Haley, avait déclaré : « Nous ne pouvons absolument pas imaginer qu’on arrive à la paix dans cette région avec Assad à la tête du gouvernement syrien. »

Selon des responsables, Trump a pris la décision de mettre un terme au programme de la CIA, il y a près d’un mois, après une réunion dans le Bureau ovale avec le directeur de la CIA, Mike Pompeo, et le conseiller à la sécurité nationale, H. R. McMaster, avant sa rencontre du 7 juillet, en Allemagne, avec le président russe Vladimir Poutine.

Les porte-parole du conseil national de la sécurité et de la CIA ont refusé de faire une déclaration à ce sujet.

Après la rencontre entre Trump et Poutine, les États-Unis et la Russie ont annoncé avoir convenu d’un cessez-le-feu dans le sud-ouest de la Syrie, le long de la frontière jordanienne, où beaucoup de rebelles, soutenus par la CIA, ont longtemps opéré. Pour Trump, ce cessez-le-feu limité est un exemple des retombées positives d’une relation constructive de collaboration avec Moscou.

La décision de mettre fin au programme secret visant à armer les rebelles anti-Assad n’était pas une condition préalable à des négociations sur le cessez-le-feu, qui étaient déjà bien engagées, déclarent les responsables états-uniens, qui ont accepté de parler de ce programme secret, à condition que soit respecté leur anonymat.

Les rapports de Trump avec la Russie ont été passés au crible à cause des enquêtes sur l’ingérence de la Russie dans l’élection de 2016. La décision de mettre fin au soutien de la CIA aux rebelles sera accueillie favorablement par Moscou, qui, depuis son intervention en Syrie en 2015, a concentré ses forces contre ces combattants.

Certains responsables passés et actuels, partisans de ce programme, considèrent la décision de Trump comme une concession importante.

« C’est une décision très grave », déclare un responsable en poste actuellement, qui n’a accepté de parler du programme secret que sous couvert d’anonymat. « C’est Poutine qui a gagné en Syrie. »

Avec la fin du programme de la CIA, l’implication des États-Unis en Syrie se limite maintenant à une campagne aérienne d’envergure contre l’EI et à un programme de formation et d’équipement du Pentagone en faveur des rebelles, en majorité kurdes, qui avancent en direction des bastions de l’EI à Raqqa et le long de la vallée de l’Euphrate. La stratégie à long terme de l’administration Trump, à la suite de la défaite de l’EI, consiste, semble-t-il, à faire tenir ensemble une série d’accords de cessez-le-feu régionaux avec des rebelles soutenus par les États-Unis, le gouvernement syrien et les Russes.

D’après certains analystes, la décision de mettre un terme au programme va probablement accroître l’influence de groupes plus radicaux à l’intérieur de la Syrie et porter un coup à la crédibilité des États-Unis.

« Nous sommes en train de tomber dans le piège russe », a déclaré Charles Lister, attaché supérieur de recherches au Middle East Institute (Institut du Moyen-Orient), qui s’intéresse plus particulièrement à la résistance syrienne. « Nous fragilisons de plus en plus la résistance modérée. […] Nous sommes véritablement en train de les décapiter. »

Selon d’autres analystes, cette décision revient à reconnaître le caractère inexpugnable de la position d’Assad en Syrie.

« C’est probablement l’acceptation de la réalité », dit Ilan Goldenberg, un ancien responsable de l’administration Obama, directeur du programme de la sécurité au Moyen-Orient au Centre for a New American Security (centre pour une nouvelle sécurité américaine).

D’après des responsables du renseignement, les succès des rebelles en 2015 ont poussé la Russie à intervenir militairement et directement aux côtés du régime d’Assad. Certains responsables états-uniens et leurs alliés dans la région ont exhorté le président Obama à réagir en fournissant aux rebelles des armes antiaériennes de pointe pour que ces derniers puissent mieux se défendre, mais le président a regimbé, se disant inquiet de voir les États-Unis prendre le risque d’entrer en conflit avec la Russie.

Selon des responsables états-uniens de premier plan, le programme secret serait abandonné de manière progressive sur une période de plusieurs mois. Il n’est pas impossible, non plus, qu’on redirige cette aide vers d’autres missions, comme par exemple la lutte contre l’EI ou l’assistance aux rebelles pour leur permettre de se défendre contre les attaques.

« C’est une force que nous ne pouvons pas nous permettre d’abandonner complètement », déclare Goldenberg. « Si on cesse totalement d’aider les rebelles, alors on fait une énorme erreur stratégique. »

Selon des responsables états-uniens, la décision est soutenue par la Jordanie où certains des rebelles étaient entraînés, et elle a tout l’air de faire partie d’une stratégie d’ensemble de l’administration Trump qui cherche à se concentrer sur la négociation d’accords de cessez-le-feu limités avec les Russes.

Plus tôt dans le mois, cinq jours après l’entrée en vigueur du premier cessez-le-feu en Syrie, Trump a indiqué qu’un autre accord était en discussion avec Moscou. « Nous travaillons à un second cessez-le-feu dans une zone très difficile de la Syrie », a-t-il déclaré. « Si nous réussissons à nous mettre d’accord pour celui-ci et pour quelques autres, on finira, tout d’un coup, par ne plus tirer aucun coup de feu en Syrie. »

Le gros risque potentiel que comporte l’arrêt de ce programme, c’est que les États-Unis pourraient bien se trouver incapables d’empêcher d’autres pays, comme la Turquie et ses alliés du golfe Persique, de faire passer aux rebelles anti-Assad, y compris à des groupes plus radicaux, des armes plus sophistiquées, comme des systèmes antiaériens portables, les MANPADS.

Vers la fin de l’administration Obama, certains responsables avaient préconisé l’arrêt de ce programme, prétendant que les rebelles n’arriveraient à rien si les États-Unis ne les soutenaient pas au prix d’une escalade d’envergure. Toutefois le programme avait toujours le soutien d’une majorité des principaux conseillers d’Obama, qui faisaient valoir que les États-Unis ne pouvaient pas abandonner leurs alliés sur le terrain et laisser tomber l’opposition modérée, parce que cette décision porterait un coup à l’influence des États-Unis dans la région.

Même ceux qui se montraient sceptiques sur la valeur à long terme du programme le considéraient comme un atout crucial dans la négociation, atout qu’on pouvait utiliser pour forcer Moscou à faire des concessions quand on négocierait au sujet de l’avenir de la Syrie.

« On a commencé à penser à l’arrêt du programme, mais ce n’était pas quelque chose qu’on allait faire gratuitement », a déclaré un ancien collaborateur de la Maison-Blanche. « Abandonner [ce programme ] sans rien obtenir en échange serait stupide. »

Greg Jaffe est un journaliste du personnel national du Washington Post pour qui il travaille depuis mars 2009 et pour qui il avait auparavant couvert la Maison-Blanche et la Défense.

Adam Entous écrit sur la sécurité nationale, la politique étrangère et le renseignement pour le Post. Il a rejoint le journal en 2016 après plus de 20 ans au Wall Street Journal et à Reuters, où il a couvert le Pentagone, la CIA, la Maison-Blanche et le Congrès. Il a couvert le président George W. Bush pendant cinq ans après les attentats du 11 septembre 2001.

Source : The Washington Post, Greg Jaffe & Adam Entous, 19-07-2017

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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