Trump se soumet aux souhaits des Faucons de la guerre, par Ann Wright

Source : Ann Wright, Consortium News, 19-06-2017

Le président Trump se jette dans les guerres étendues au Moyen-Orient, dans les nouvelles escalades en Syrie, en Afghanistan et ailleurs, s’appuyant sur les politiques sanglantes de ses prédécesseurs, comme l’explique la colonelle à la retraite Ann Wright.

La militarisation de la politique étrangère des États-Unis n’a certes pas débuté avec le président Donald J. Trump. En fait, elle remonte à plusieurs décennies. Cependant, si les 100 premiers jours de Trump à la Maison-Blanche peuvent donner une indication, il n’a nullement l’intention de modifier la tendance.

En une seule semaine en avril, l’administration Trump a tiré 59 missiles Tomahawk sur une base aérienne syrienne, et a largué la plus importante bombe de l’arsenal américain sur de supposés tunnels de l’EI en Afghanistan. Cette charge incendiaire de 10 tonnes n’avait jamais été utilisée au combat – la MOAB pour Massive Ordinance Air Blast, familièrement connue comme la « Mère de toutes les bombes » – a été utilisée dans le district d’Achin, en Afghanistan, où le sergent De Alencar des Forces spéciales avait été tué une semaine auparavant. (La bombe n’avait été testée que par deux fois en 2003, sur la base aérienne d’Elgin, en Floride).

Pour souligner la préférence de la nouvelle administration pour la force plutôt que la diplomatie, la décision d’expérimenter la puissance explosive de cette méga-bombe a été prise unilatéralement par le général John Nicholson, le général commandant les forces américaines en Afghanistan. En saluant la décision, le président Trump a déclaré qu’il avait donné son « total accord » à l’armée américaine pour mener toutes les missions qu’elle souhaiterait, partout dans le monde – ce qui signifie probablement sans consulter auparavant le comité inter-agences de la Sécurité nationale.

Il est aussi très révélateur que le Président Trump ait choisi des généraux pour deux postes majeurs en matière de sécurité, traditionnellement occupés par des civils : le secrétaire à la Défense et le conseiller à la Sécurité nationale. Pourtant après trois mois de son administration, il a laissé vacants des centaines de postes gouvernementaux civils importants de l’État, de la Défense et d’ailleurs.

Tandis que le président Trump n’a toujours pas énoncé de stratégie au sujet des assassinats politiques, il n’y a pas eu, jusqu’à présent, de signe qu’il compte modifier la pratique établie par ses récents prédécesseurs de recourir aux attaques de drones.

En 1976, cependant, le président Gérald Ford avait montré un exemple très différent quand il signa le décret présidentiel 11095. Ce dernier indiquait « qu’aucun employé du gouvernement américain ne devait participer, ou conspirer pour participer, à un assassinat politique. »

Le président Ford officialisa cette interdiction après que les enquêtes de la commission Church (la commission sénatoriale spéciale pour l’étude des opérations gouvernementales en rapport aux activités de renseignement, présidée par le sénateur Franch Church, de l’Idaho) et de la commission Pike (son équivalent à la Chambre, présidée par le représentant Otis G. Pike, de New York) eurent révélé l’étendue des opérations d’assassinats de l’Agence centrale de renseignement américaine (CIA) contre des dirigeants étrangers dans les années 60 et 70.

Autoriser les assassinats

À quelques exceptions près, les présidents suivants on maintenu l’interdiction. Mais en 1986, le président Ronald Reagan ordonna une attaque contre la maison du libyen Mouammar Kadhafi à Tripoli, en représailles du bombardement d’une discothèque à Berlin qui avait tué un militaire américain, deux citoyens allemands, et fait 229 blessés. En 12 minutes seulement, les avions américains larguèrent 60 tonnes de bombes sur la maison, mais sans réussir à tuer Kadhafi.

Douze ans plus tard, en 1998, le président Bill Clinton ordonna le lancement de 80 missiles de croisière sur les installations d’al-Qaïda en Afghanistan et au Soudan, en représailles aux bombardements des ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie. L’administration Clinton justifia l’action en affirmant que l’interdiction d’assassinat ne couvrait pas les individus que le gouvernement américain avait déterminés comme étant liés au terrorisme.

Dans les jours qui suivirent les attaques perpétrées par al-Qaïda à l’encontre des États-Unis le 11 septembre 2001, le président George W. Bush signa un « constat » des services de renseignement, permettant à la CIA de lancer des « opérations secrètes mortelles » visant à tuer Osama bin Laden et à anéantir son réseau terroriste. Les juristes de la Maison-Blanche et de la CIA défendirent la constitutionnalité de cette mesure, se fondant sur deux moyens. Premièrement, ils se rallièrent à l’avis de l’administration Clinton selon lequel le décret présidentiel11905 n’empêchait aucunement les États-Unis de s’attaquer aux terroristes. Plus largement, ils déclarèrent que l’interdiction des assassinats politiques ne s’appliquait pas en temps de guerre.

Le rejet en bloc par l’administration Bush de l’interdiction des éliminations ciblées ou des assassinats politiques a totalement inversé la tendance qui a prévalu pendant un quart de siècle en matière de politique étrangère bipartisane aux États-Unis. Cela a également ouvert la voie à l’utilisation de véhicules aériens téléguidés pour perpétrer des éliminations ciblées (un euphémisme pour assassinats).

Les forces aériennes américaines se servaient déjà de véhicules aériens téléguidés (VAT) depuis les années 60, mais uniquement comme plateformes de surveillance sans personnel. Néanmoins, suite aux attentats du 11 septembre, le Département de la Défense et l’Agence centrale de renseignement américains ont armé des « drones » (comme ils furent rapidement baptisés) pour tuer à la fois les dirigeants et les soldats d’al-Qaïda tout comme des Talibans.

Les États-Unis établirent des bases militaires en Afghanistan et au Pakistan pour servir cet objectif. Cependant, la mort de civils, dont un large groupe rassemblé pour célébrer un mariage, causée par d’une série d’attaques de drones, poussa le gouvernement pakistanais à ordonner en 2011 le retrait des drones et du personnel militaire américains de la base aérienne de Shamsi. Toutefois, les assassinats ciblés se poursuivirent au Pakistan au moyen de drones basés hors des frontières du pays.

L’approche Obama

En 2009, le Président Barack Obama reprit là où son prédécesseur s’était arrêté. Avec les inquiétudes grandissantes du public et du Congrès à propos de l’utilisation d’avions contrôlés par la CIA et des opérateurs militaires situés à 16 000 kilomètres des personnes qu’ils avaient pour ordre de tuer, la Maison-Blanche fut forcée de reconnaître officiellement le programme d’élimination ciblée et de décrire comment certaines personnes devinrent des cibles du programme.

Cependant, au lieu de réduire le programme, l’administration Obama doubla la mise. Essentiellement, elle désigna comme combattants tous les hommes d’âge militaire en zone de frappe étrangère, et de ce fait comme cibles potentielles de ce qu’elle appela ses « frappes signées ». Encore plus dérangeant, elle déclara que les attaques visant précisément d’importants terroristes, connues sous le nom de « frappes de personnalités », pourraient inclure des citoyens américains.

Cette possibilité théorique devint rapidement une sinistre réalité. En avril 2010, le Président Obama autorisa la CIA à « cibler » Anwar al-Awlaki, un citoyen américain et ancien imam d’une mosquée de Virginie, pour assassinat. Moins d’une décennie auparavant, le Bureau du secrétaire aux Armées avait invité l’imam à participer à un service interconfessionnel à la suite du 11 septembre. Mais al-Awlaki devint plus tard un fervent opposant à la « guerre contre la terreur », partit au Yémen, la patrie de son père, et aida al-Qaïda à recruter des membres.

Le 30 septembre 2011, une frappe de drone tua Al-Awlaki et un autre Américain, Samir Khan, qui voyageait avec lui au Yémen. Dix jours plus tard, des drones américains tuèrent le fils âgé de 16 ans d’al-Awlaki, Abdulrahman al-Awlaki, citoyen américain, lors d’une attaque contre un groupe de jeunes hommes autour d’un feu de camp. L’administration Obama n’a jamais précisé si le fils âgé de 16 ans avait été ciblé individuellement parce qu’il était le fils d’al-Awlaki ou s’il avait été victime d’une frappe « signée », correspondant à la description d’un jeune homme d’âge militaire. Cependant, lors d’une conférence de presse à la Maison-Blanche, un journaliste demanda au porte-parole d’Obama, Robert Gibbs, comment il pouvait défendre les meurtres et plus spécialement le décès d’un citoyen américain mineur qui fut « ciblé sans procédure régulière, et sans procès ».

La réponse de Gibbs ne fit rien pour améliorer l’image américaine dans le monde musulman : « Je dirais que vous auriez du avoir un père plus responsable s’il était vraiment soucieux du bien-être de ses enfants. Je ne pense pas que devenir un terroriste djihadiste d’al-Qaïda soit le meilleur moyen d’y arriver ».

Le 29 janvier 2017, la fille âgée de 8 ans d’al-Awlaki, Nawar al-Awlaki, a été tuée lors d’un assaut commando américain au Yémen ordonné par le successeur d’Obama, Donald Trump.

Mariages et funérailles

Pendant ce temps, les médias ont continué de signaler des incidents de civils tués par des frappes de drones à travers la région, qui visent souvent les noces et les funérailles. Beaucoup d’habitants de la région le long de la frontière afghano-pakistanaise pouvaient entendre le bourdonnement des drones volant dans leur région 24 heures sur 24, provoquant des traumatismes psychologiques pour tous ceux qui y vivent, en particulier les enfants.

L’administration Obama a été fortement critiquée pour la tactique de la « double-frappe » : frapper une maison ou un véhicule cible avec un missile Hellfire, puis tirer un deuxième missile sur ceux qui venaient en aide aux blessés de la première attaque. Souvent ceux qui se portaient secours aux gens piégés dans les bâtiments effondrés ou les voitures en flammes étaient des civils locaux, et non des militants.

La logique traditionnellement invoquée pour l’utilisation de drones est qu’ils éliminent la nécessité de « mettre les pieds sur le terrain » — qu’il s’agisse de membres des forces armées ou du personnel paramilitaire de la CIA — dans des environnements dangereux, évitant ainsi de risquer la vie d’Américains. Les responsables états-uniens prétendent également que les renseignements recueillis par les VAT, grâce à leur surveillance prolongée, rendent leurs frappes plus précises, réduisant ainsi le nombre de victimes civiles. (Non-dit, mais probablement un autre facteur de motivation puissant, est le fait que l’utilisation de drones signifie qu’aucun militant soupçonné ne sera capturé vivant, évitant ainsi les complications politiques et autres de la détention.)

Même si ces prétentions sont vraies, elles ne résolvent pas pour autant l’impact de cette tactique sur la politique étrangère américaine. Davantage préoccupant est le fait que les drones permettent aux présidents de botter en touche sur les questions de guerre et de paix en choisissant une option qui paraît offrir un juste milieu, mais qui en réalité a de nombreuses conséquences à long terme pour la politique américaine, ainsi que pour les communautés qui les subissent.

En supprimant le risque de perte de personnel américain, les responsables politiques de Washington peuvent être tentés d’utiliser la force pour résoudre les dilemmes sécuritaires plutôt que de négocier avec les parties impliquées. En outre, par leur nature même, les VAT sont plus susceptibles de provoquer des représailles contre l’Amérique que les systèmes d’armes classiques. Pour beaucoup au Moyen-Orient et en Asie du Sud, les drones représentent une faiblesse du gouvernement américain et de son armée, et non une force. Les guerriers valeureux ne devraient-ils pas se battre sur le terrain, se demandent-t-ils, au lieu de se cacher derrière un drone sans visage dans le ciel, piloté par un jeune dans son fauteuil à plusieurs milliers de kilomètres ?

Des attaques internes

Depuis 2007, au moins 150 membres du personnel de l’OTAN ont été victimes d’« attaques internes » par des membres des forces armées et policières nationales afghanes formés par la coalition. Beaucoup d’Afghans qui commettent de tels meurtres « vert sur bleu » sur le personnel américain, en uniforme autant qu’en civil, proviennent des régions tribales situées à la frontière afghane et pakistanaise où les frappes de drones américaines se sont concentrées. Ils se vengent de la mort de leurs familles et de leurs amis en tuant leurs entraîneurs militaires américains.

La colère contre les drones est apparue aussi aux États-Unis. Le 1er mai 2010, le Pakistano-Américain Faisal Shahzad tenta de faire exploser une voiture piégée à Times Square. Dans son plaidoyer de culpabilité, Shahzad justifia son attaque de civils en disant au juge : « Quand le drone frappe en Afghanistan et en Irak, ils ne voient pas les enfants, ils ne voient personne. Ils tuent des femmes, des enfants ; ils tuent tout le monde. Ils tuent tous les musulmans. »

Dès 2012, l’armée de l’air américaine recrutait plus de pilotes de drones que de pilotes d’avions traditionnels. Entre 2012 et 2014, ils avaient prévu de recruter 2 500 pilotes et assistants pour le programme de drones. C’est près du double du nombre de diplomates engagés par le Département d’État sur une période de deux ans.

Les préoccupations du Congrès et des médias au sujet du programme ont conduit l’administration Obama à reconnaître la tenue de réunions régulières chaque mardi menées par le Président pour identifier les cibles de la liste d’assassinats. Dans les médias internationaux, « Terror Tuesdays » [les mardis de la terreur, NdT] est devenu une formule de la politique étrangère américaine.

Pour beaucoup de gens dans le monde, la politique étrangère américaine a été dominée durant les 16 années passées par des actions militaires au Moyen-Orient et en Asie du Sud et de grands exercices militaires terrestres et maritimes en Asie du Nord-Est. Sur la scène mondiale, les efforts américains dans les domaines de l’économie, du commerce, des questions culturelles et des droits de l’homme semblent avoir été relégués au second rang en faveur des guerres en continu.

Poursuivre l’utilisation de la guerre par drones pour mener des assassinats ne fera qu’exacerber la méfiance étrangère envers les intentions américaines et leur fiabilité. Ce qui fait le jeu des adversaires mêmes que nous essayons de vaincre.

Au cours de sa campagne, Donald Trump a promis qu’il mettrait toujours « l’Amérique en premier », et a déclaré qu’il voulait sortir des affaires de changements de régimes. Il n’est pas trop tard pour lui de tenir cette promesse en apprenant des erreurs de ses prédécesseurs et en renversant la militarisation continue de la politique étrangère américaine.

Ann Wright a passé 29 ans dans l’armée américaine et comme réserviste, en prenant sa retraite au rang de colonelle. Elle a servi 16 ans dans le Service extérieur au Nicaragua, à Grenade, en Somalie, en Ouzbékistan, au Kirghizstan, en Sierra Leone, en Micronésie et en Mongolie. Elle a dirigé la petite équipe qui a rouvert l’ambassade américaine à Kaboul en décembre 2001. Elle a démissionné en mars 2003, en opposition contre la guerre en Irak. Elle est coauteur du livre Dissident : Voices of Conscience (Dissident : Voix de Conscience) (Koa, 2008). Elle donne des conférences dans le monde entier sur la militarisation de la politique étrangère américaine et participe activement au mouvement anti-guerre des États-Unis.

Source : Ann Wright, Consortium News, 19-06-2017

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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