Un an après, Alep se remet doucement de ses traumatismes

2 façon différentes de commémorer le premier anniversaire de fin de la bataille d’Alep…

Notez que l’impression générale n’est pas la même…

AFP : “Un an après la chute d’Alep, des réfugiés hantés par la douleur du départ”

Source : La Dépêche, AFP, 23/12/2017

“C’est comme un poisson hors de l’eau, j’ai perdu une part de moi-même”: comme d’autres réfugiés en France, Salah al Ashkar vit dans le souvenir douloureux du départ d’Alep, reprise voici un an par le régime syrien.

En décembre 2016, Salah se filmait dans sa ville: “je suis un fils d’Alep… je ne veux pas partir”, disait-il la voix brisée dans une vidéo visible sur son compte Twitter. “Personne ne voulait partir, mais nous n’avions pas le choix”, explique aujourd’hui ce diplômé en finance de 29 ans qui, comme d’autres, a témoigné sur les réseaux sociaux durant le siège des quartiers d’Alep tenus par les groupes rebelles.

Un constat partagé par Rami Zayat: “On aurait été arrêté ou tué. Pour survivre, il fallait partir”. Le jeune homme de 26 ans vit désormais à Oléron avec sa femme et leur fils âgé de quelques mois. Ils sont arrivés en France début novembre avec des visas de demandeurs d’asile.

Les minutes après son départ, Rami raconte s’être senti soulagé. Un sentiment qui n’a pas duré quand il a réalisé qu’il avait “tout perdu: ma ville, ma maison, ma vie. Je suis devenu très triste”.

Ameer Alhalbi, 22 ans, considère, lui, que la guerre a pris ses “meilleures années”. Ce jeune photographe est en France depuis sept mois; il peine à trouver le sommeil, hanté par les tragédies dont il a été témoin.

“Je rêve de mes photos, des bombardements” explique-t-il. Depuis trois mois il suit une formation en photographie à Paris (cofinancée par plusieurs médias dont l’AFP): “parfois quand le professeur parle, mon esprit est ailleurs”. “Je suis venu pour avoir une vie normale, mais c’est dur”, ajoute-t-il.

Le 22 décembre 2016 a marqué un tournant dans le sanglant conflit syrien: après quatre ans de combats sans merci qui ont tué des milliers de civils, le régime de Bachar al-Assad reprenait Alep, la métropole du nord syrien et poumon économique du pays.

Les rebelles ont par la suite subi revers sur revers face à la puissante machine de guerre du régime soutenu par son allié russe, dont l’implication militaire à partir de 2015 a largement aidé à changer la donne, à Alep notamment.

“Rien prévoir”

Si Rami se dit aujourd’hui “soulagé d’être dans un pays stable”, il a encore du mal à imaginer l’avenir pour lui et sa famille après avoir vécu six ans de conflit: “j’ai perdu trop de choses. Je ne veux rien prévoir avant de savoir si cela marchera”.

“J’ai encore plein de photos et de vidéos avec moi, mais je n’ai pas le courage de les regarder, ça pourrait me faire encore plus de mal”, ajoute-t-il. Il se souvient de “la peur et la pression extrême” qu’il a vécues durant les derniers jours du siège.

Mahmoud al Haji Othman, photographe et réalisateur de 29 ans, porte toujours à son poignet un bracelet avec le drapeau de la révolution syrienne. En France depuis quelques mois, il vit à Orléans avec sa femme et leurs deux fils.

Il se rend chaque semaine à Paris pour des cours dans une école de journalisme, “un bon moyen d’apprendre le français” selon lui. Lui avait réussi à quitter Alep dès le début du siège en juillet 2016.

Pendant toute la durée du siège, ces jeunes hommes ont documenté le conflit pour témoigner de ses atrocités. La plupart n’avaient jamais quitté leur ville d’origine.

“Ce qui me manque le plus, ce sont les matinées où je me rendais en courant à l’université car j’étais en retard, et où une fois arrivé, je buvais un +sahlab+ (boisson au lait chaud sucrée et épicée)”, confie Mahmoud.

Parfois, certains d’entre eux tombent sur des photos récentes de leur ville, qu’ils s’échangent par messageries instantanées. Une ville qu’ils disent ne plus reconnaître.

Source : La Dépêche, AFP, 23/12/2017


Journal Libanais : “Un an après, Alep se remet doucement de ses traumatismes”

Source : L’Orient le Jour, Caroline Hayek, 11-12-2017

Pour les habitants restés fidèles au régime, l’arrêt des combats a été perçu comme une délivrance. Mais l’état de leur ville et son économie ne leur permettent pas de sortir la tête de l’eau.

Un an après avoir été entièrement reprise par le régime de Bachar el-Assad, Alep reprend progressivement son souffle, même si le temps semble y être suspendu. Pour les habitants restés loyaux au régime, il est erroné d’évoquer la « chute » de leur ville en décembre dernier, puisqu’il s’agit pour eux d’une « libération ». Il s’agit d’une victoire de leur armée contre les combattants rebelles, qu’ils nomment « terroristes », reprenant religieusement le langage du régime. « Pendant sept ans, les gens n’étaient pas heureux, mais quand ils ont vu que les territoires étaient repris par l’armée syrienne, ils sont restés éberlués, pendant une semaine. On n’y croyait pas », confie Jack Kazanji, un jeune diplômé d’Alep contacté via WhatsApp. « Nous vivons enfin », s’écrie aussi Banan, une jeune sunnite d’Alep.

En 2012, l’ancienne capitale syrienne est scindée en deux. Les factions rebelles, à l’Est, menacent l’Ouest, et n’aspirent qu’à faire tomber la ville pour s’emparer du Nord syrien. De l’autre côté, les roquettes et les missiles de l’aviation du régime et de son allié russe sont tirés sans relâche.

Prise en tenailles, la population avait dû choisir son camp, dans ce théâtre d’une lutte fratricide. Si la grande majorité des sunnites du pays a choisi le camp de l’opposition, une partie d’entre eux, notamment à Alep, sont restés fidèles au président syrien. Le quartier de Halab al-Jadida où réside Banan a été fortement visé par des tirs rebelles. « Il y a deux semaines, il y a encore des immeubles qui se sont effondrés chez nous à cause de destructions précédentes », raconte-t-elle. L’étudiante en master de langues sémitiques, spécialisée en ougaritique, apprécie le fait qu’elle puisse revenir dans des quartiers qui leur étaient auparavant interdits d’accès.

Il y a tout juste un an, un accord conclu entre les rebelles et la Russie a permis l’évacuation des civils et des combattants armés de l’est de la ville, vers d’autres régions du pays. La reprise totale d’Alep va permettre au régime de contrôler les cinq plus grandes villes de Syrie, avec Homs, Hama, Damas et Lattaquié. Un tournant dans le conflit qui n’aurait pas été possible sans le précieux soutien de Moscou, allié indéfectible de Damas. L’heure est aujourd’hui à la reconstruction. « Quand je suis retourné à Alep en mars, j’ai éprouvé un soulagement, mais aussi une tristesse. Certes, il n’y avait plus d’obus qui nous tombaient dessus, mais d’autre part, tout l’est de la ville est détruit, notamment le centre-ville historique, unique en son genre en Orient », déplore de son côté Alfred*, 40 ans, réfugié à Beyrouth.

Depuis la fin du conflit, il songe à se réinstaller au moins la moitié de l’année dans sa ville qu’il affectionne tant. « Quand j’ai été au centre-ville, c’était très triste. C’est totalement vide, et parfois tu aperçois des gens sortir de bâtiments délabrés comme des rats », dit-il. « Nous avons l’impression que le pire est derrière nous. Mais il faudra du temps pour que la situation revienne à la normale. Nous sommes encore en période transitoire », poursuit Alfred.

Mosquée des Omeyyades
Les investissements tardent à revenir au vu de la situation générale du pays. Les monuments historiques devront patienter avant de regagner leur lustre d’antan. « La Grande Mosquée (dite des Omeyyades) est en train d’être reconstruite grâce à l’aide de la Tchétchénie », confie Alfred.

« La première fois que je suis retournée au centre-ville historique avec une amie, nous nous sommes effondrées en larmes, souligne Banan. J’étais choquée, même si je savais que la guerre avait été ultraviolente, l’Est a reçu bien plus de bombes que nous. »

Au plus fort de la bataille, les conditions de vie des Alépins de l’Ouest s’étaient grandement détériorées, même si elles restaient bien meilleures que celles des habitants de l’Est. Alors qu’une heure d’électricité était célébrée comme une fête, et que l’eau n’était acheminée qu’une fois par semaine par camion-citerne, la situation est aujourd’hui bien meilleure. « Les services de l’État se sont bien améliorés et nous avons davantage accès au courant électrique », précise Banan. Une ligne électrique provenant de Hama a permis d’alimenter depuis un mois et demi la ville en énergie. Aujourd’hui, le réseau internet fonctionne normalement. « Mais quand il n’y a plus d’électricité, on use de combines comme recourir à une batterie de secours reliée au modem », précise Alfred. Si les infrastructures ont subi beaucoup de dommages et tardent à être réhabilitées, des progrès ont été constatés dans certains quartiers.

« Les rues étaient totalement détruites, mais petit à petit, ils les arrangent et remettent même des feux de circulation photovoltaïques. Des immeubles sont en train d’être reconstruits et des cafés, des magasins ouvrent à nouveau », raconte de son côté Jack. « Nous ne ressentons plus la fatigue nerveuse, nous avons pu respirer de nouveau, même s’il reste beaucoup de choses à arranger », confie l’étudiant. Autre signe important qui a permis aux habitants de souffler : la suppression des barrages et des baraquements de l’armée dans la ville. L’accès à la ville reste, en revanche, assez problématique. « Je ne sais pas pourquoi ils mettent autant de temps à rouvrir l’aéroport », s’interroge Alfred. L’autoroute n’a toujours pas rouvert non plus et les accès se font par la route de Khanasser. Un véritable détour de plus de trois heures vécu comme un « périple », très « fatigant », estiment à la fois Jack et Alfred. Avec la réévaluation récente de la livre syrienne, l’espoir regagne les foyers, même si les effets ne sont pas encore perceptibles.

Noël plus joyeux
À l’arrivée des fêtes de Noël, la communauté chrétienne a repris le goût à la vie. « Avant, on ne faisait plus de sapin à la maison, mais cette année, si. Les rues sont à nouveau décorées et il y a des chorales », confie Mireille Georges Soufo. « Merci mon Dieu, notre situation est bonne maintenant et le sentiment des gens a véritablement changé. Tous attendent 2018 avec impatience », poursuit-elle. Le Noël de l’an dernier avait été terni par de nombreux tirs d’obus sur les quartiers chrétiens. « Au Nouvel An, à minuit, il y avait eu des tirs, mais heureusement pas de victimes », se rappelle Jack.

Alep, qui a toujours disputé à Damas le titre de « plus ancienne ville n’ayant jamais cessé d’être habitée », est aujourd’hui, ironiquement, pratiquement vidée de ses âmes, puisqu’il ne reste même pas un tiers de sa population d’avant la guerre. Les quartiers résidentiels abritant la communauté chrétienne et la bourgeoisie sunnite se sont rapidement vidés durant ces dernières années. Même si l’accalmie a regagné la ville, la situation économique désastreuse n’incite pas les familles parties en Europe, ou dans les pays voisins, à revenir. « C’est la théorie de “coûts irrécupérables”, ces familles qui ont peut-être mis des années à obtenir un passeport, ou même juste un visa, ne vont pas tout compromettre pour se réinstaller à Alep », décrypte Alfred. Tous témoignent pourtant du retour de plusieurs familles dans leurs quartiers respectifs. En revanche, de nombreux jeunes hommes ont notamment quitté le pays pour échapper au service militaire.

« Une amie m’a raconté que certaines jeunes filles se marient via les réseaux sociaux et ne voient leurs époux, partis en Turquie, au Liban ou dans les pays du Golfe, qu’au moment de la “collecte” », ironise Alfred. « Le régime encourage les jeunes à rester, mais il n’y a pas de facilités pour eux. Il y a des opportunités d’emploi, mais d’un autre côté, il y a le service militaire », dit Jack qui a décidé de partir poursuivre ses études en Suisse. « Si le gouvernement prenait une décision moins contraignante pour les jeunes hommes par rapport au service militaire obligatoire, beaucoup d’entre eux reviendraient s’installer à Alep, et moi je n’aurais probablement pas pris la décision de partir », conclut-il.

* Le prénom a été modifié.

Source : L’Orient le Jour, Caroline Hayek, 11-12-2017

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