USA : casse du siècle au Pentagone

Emmanuel Macron, le plus américain des présidents français, a récemment déclaré « les jeunes Français doivent avoir envie de devenir milliardaires. »

Mais est-ce qu’en tant que collectivité nationale en demande de progrès véritables, c’est ce que nous pouvons réellement souhaiter de mieux pour nos jeunes et nous-mêmes ? D’abord au niveau individuel, parce que la richesse, pour celui qui l’atteint, tend à chasser tout ce qui ne s’achète pas et débouche souvent sur un désert affectif : les personnes riches s’associent autour d’intérêts communs et non par amour ou amitié, et les non riches qui gravitent autour d’elles – leurs satellites rémunérés ou non (employés et domestiques divers, personnages vénaux ou serviles, quémandeurs de tous poils) – sont bien souvent là, eux aussi, uniquement par intérêt et non par attirance ou élans de sympathie spontanés, de sorte que toutes les relations sociales des milliardaires sont dominées, voire asphyxiées par l’argent. Ensuite à cause de ses effets négatifs sur la société ; ceci expliquant peut-être cela, la richesse ou la recherche de richesse pour elle-même, c’est prouvé, chasse aussi l’éthique et la droiture.

La preuve : l’une des premières retombées sociales de cette philosophie de la course à la richesse dans un pays où elle domine la culture, les très libéraux États-Unis, est une corruption stratosphérique.

Logique.


Par Lee Camp
Paru sur Truthdig sous le titre The Pentagon Can’t Account for $21 Trillion (That’s Not a Typo)


Des chiffres donnés par le Pentagone lui-même montrent qu’il a perdu 21 billions. Oui, des billions avec un B. Et cela pourrait tout changer. [Un billion = un million de millions, NdT].

Mais j’y reviendrai dans un moment.

Il y a certaines choses qu’un esprit humain ne peut pas faire. Notre cerveau, si complexe soit-il, ne peut pas voir les infrarouges, ne peut pas épeler des mots à l’envers pendant l’orgasme et ne peut pas réellement comprendre les chiffres au-delà de quelques milliers. Quelques milliers, nous pouvons les concevoir et les ressentir. Nous somme tous allés dans des stades avec plusieurs milliers d’autres personnes. Nous avons un idée de ce à quoi cela ressemble (et du sol qui colle).

Mais quand nous arrivons à des millions, nous nous perdons. Cela nous semble un brouillard absurde. Tenter de le visualiser est comme tenter de prendre un souvenir dans ses bras. Nous pouvons savoir ce qui peut s’acheter avec un million (et nous pouvons vouloir ces choses), mais vous ne visualisez probablement pas la hauteur d’un million en liasses de billets de 1 dollar. Vous ne savez probablement pas combien de temps il faudrait à un smicard pour gagner un million de dollars.

C’est pourquoi la nouvelle de la perte de 21 billions de dollars par le Pentagone entre 1998 et 2015 glisse sur nous comme quand votre mère vous annonce que votre cousin au troisième degré, que vous avez rencontré deux fois, est en train de divorcer. Cela semble vaguement fâcheux, mais vous l’oubliez dans les quinze secondes parce que… que voulez-vous faire d’autre ?

Vingt et un billions.

Mais commençons par le commencement. Il y a quelque chose comme deux ans, Mark Skidmore, un professeur d’économie, avait entendu Catherine Austin Fitts, une ancienne secrétaire-assistante du Département du Logement et du Développement urbain des États-Unis, dire que l’inspection générale du Département de la défense avait trouvé une erreur de comptabilité, avec 6,5 billions de dollars disparus en 2015. Skidmore, étant un professeur d’économie, a pensé quelque chose comme « Elle veut dire 6,5 milliards. Pas billions. Parce que des billions voudraient dire que le Pentagone ne peut pas rendre compte de plus d’argent que le PIB annuel de tout le Royaume-Uni. De toutes façons, 6,5 milliards d’argent évaporé est déjà une somme délirante. »

Il a donc vérifié le rapport de l’inspection des finances, et il a trouvé quelque chose d’intéressant : c’étaient bien des billions ! C’étaient des putains de 6,5 billions en 2015 de dépenses non comptabilisées ! Et je suis désolé du juron, mais le mot « billions » est obligatoirement, de par la loi, précédé de « putains ». C’est, de fait, bien plus que le PIB annuel du Royaume-Uni. [Le PIB du Royaume-Uni est de 2,62 billions, NdT]

Skidmore a continué à creuser. Comme Forbes l’a rapporté en décembre 2017, « Catherine Austin Fitts et lui… ont mené des recherches sur les sites du gouvernement et trouvé des documents similaires remontant à 1998. Bien que les documents soient incomplets, les sources gouvernementales indiquent que des ajustements comptables non justifiés pour 21 billions ont été rapportés au Département de la défense et au Département du Logement et du Développement urbain entre 1998 et 2015. »

Arrêtons-nous et prenons une seconde pour comprendre à quoi s’élèvent 21 billions (ce que nous ne pouvons pas faire sans risquer un court-circuit neuronal, mais nous allons le tenter de toutes façons).

1 –  La somme totale de l’argent intégré dans le circuit mondial de la Bourse est de 30 billions.

2 –  Le PIB des États-Unis est de 18,6 billions.

3 – Imaginez un tas de billets. Imaginez ensuite que ce tas soit en billets de 1000 dollars. Chaque billet dit « 1000 dollars ». A quelle hauteur s’élèverait ce tas s’il était de un billion ? Il serait haut de 101 kilomètres.

4 – Imaginez que vous gagnez 40 000 dollars par an (34 000 euros). Combien de temps vous faudrait-il pour amasser un seul billion ? Bien, ne signez pas, parce que cela vous prendrait 25 millions d’années (ce qui semble un peu long, mais on me dit que, passée la barre des dix premiers millions d’années, le temps passe vite parce que vous vous repérez bien dans le bureau, vous savez où est la machine à café, etc).

Le cerveau humain n’est pas fait pour penser à un billion de dollars.

Et il n’est vraiment pas fait pour penser aux 21 billions que notre Département de la défense ne peut pas justifier. Ces chiffres ont l’air absurdes. Comme quelque chose que de sombres complotistes du dark web auraient trouvé gravé sur leurs arrière-trains par des extra-terrestres.

Mais le chiffre de 21 billions vient du bureau de l’inspection générale du Département de la défense. Bien que, comme l’a souligné Forbes, « après que Mark Skidmore ait commencé son enquête sur les ajustements non justifiés, la page du bureau de l’inspection générale du Département de la défense, qui documentait, même de façon incomplète, ces « ajustements comptables non justifiés », a été mystérieusement fermée. »

Heureusement, des gens en avaient sauvegardé des copies, que vous pouvez trouver ici – pour le moment.

Et voici un autre élément important de l’article de Forbes – qui est l’un des seuls que l’on puisse trouver dans les médias grand public sur le plus grand pillage de toute l’histoire des États-Unis  :

Étant donné que le budget général des forces armées des USA, pour l’année 2015, s’élevait à 120 milliards de dollars, les ajustements non justifiés dépassaient de 54 fois le niveau des dépenses autorisées par le Congrès.

C’est juste. Les dépenses inexpliquées étaient 54 fois plus importantes que le budget total alloué par le Congrès. Il est bon de voir que le Congrès fait 1/54ème de son travail de surveillance des dépenses militaires (c’est plus que je ne le pensais). Cela semble vouloir dire que 98% de chaque dollar dépensé par l’armée est inconstitutionnel.

Donc, je vous le demande, comment le bureau de l’inspection générale du Département de la défense a expliqué ces dépenses injustifiées qui font ressembler le compte en banque de Jeff Bezos [PDG d’Amazon, NdT] à celui d’un gars muni d’une sébile taillée dans une boîte de conserve à un coin de rue ?

Le rapport [de juillet 2016 de l’inspection générale] indique que les ajustements non justifiés sont le résultat de l’échec du Département de la défense à corriger des déficiences du système ».

Ils attribuent des billions de dollars en dépenses mystérieuses à un « échec à corriger des déficiences du système » ? C’est comme si je disais que j’avais couché avec 100 000 oryctéropes du Cap sauvages parce que je ne regardais pas où je marchais.

Vingt et un billions.

Répétez-vous cela lentement.

Oryctérope du Cap

En définitive, il n’y a pas d’excuse possible pour cette quantité d’argent envolé, dépensé de façon inconstitutionnelle. En ce moment, le Pentagone est soumis à un audit pour la première fois de son histoire, et cela demande 2 400 auditeurs. Je ne m’attends en aucune façon à ce qu’il soient autorisés à fouiller trop avant dans ce qui s’est passé.

Mais si le peuple américain comprenait vraiment ce chiffre, cela changerait ce pays et le monde. Cela veut dire que le dollar dévale à toute allure une pente de dévaluation. Si le Pentagone cache des dépenses qui dépassent de très loin ce qu’il perçoit en dollars des impôts fédéraux, alors il est clair que le gouvernement imprime tout ce qu’il veut, au mépris des conséquences futures. Si on tient compte de ces billions, notre monnaie ‘fiat’ a encore moins de signification qu’il le semble, et une inflation galopante nous guette dans un avenir proche.

Cela veut aussi dire que, chaque fois que notre gouvernement dit qu’il « n’a pas d’argent » pour un projet, c’est risible. Il peut clairement créer autant qu’il le veut pour bombarder et tuer. Cela expliquerait comment les forces armées de Donald Trump peuvent larguer, chaque jour, bien plus de 100 bombes qui coûtent plus d’un million de dollars chacune.

Donc, pourquoi notre gouvernement ne peut-il pas également « créer » de l’argent à l’infini pour le système de santé, l’éducation, les sans-abri, les pensions des vétérans et des retraités, accorder la gratuité des places de parking et payer les Rolling Stones pour qu’ils viennent jouer sur mon perron ? (J’imagine que les Rolling Stones sont chers, mais un petit billion devrait bien couvrir deux-trois chansons).

Évidemment, notre gouvernement pourrait faire toutes ces choses, mais il choisit de ne pas les faire. Ce mois-ci, la Louisiane a envoyé des avis d’éviction à 30 000 personnes âgées pour les virer de leurs maisons de retraite. Oui, un pays qui peut vomir des billions de dollars dans un trou noir marqué « Armée » est incapable de trouver de quoi prendre en charge des personnes âgées défavorisées. Si c’est une blague, elle est répugnante.

Vingt et un billions.

L’ancien Secrétaire de la défense Robert Gates a expliqué que personne ne sait exactement où va l’argent de la défense. En 2011, dans un discours très peu répercuté par les médias, il avait dit, « Mon équipe et moi avons appris qu’il est presque impossible d’obtenir des réponses claires à des questions comme « combien avez-vous dépensé ? » et « combien de gens travaillent dans vos services ? »

Ils ne savent donc même pas combien de gens travaillent dans un département donné ?

Note aux demandeurs d’emploi : montrez-vous au Pentagone et dites-leur que vous y travaillez. Il ne semble pas qu’ils pourront prouver le contraire.

Pour en savoir plus sur cette histoire, reportez-vous à l’excellent travail de David DeGraw sur ChangeMaker.media [En anglais, NdT] parce que les médias grand public sont les porte-paroles de l’industrie de l’armement. Je n’ai presque rien vu dans les médias grand public sur ces mystérieux 21 billions. J’ai regretté le temps où nous avions encore des présentateurs de chaînes de télé qui disaient que l’argent dilapidé par les USA dans des guerres et de la mort – que ce soit de l’argent officiellement dépensé ou des billions secrets – pourraient définitivement éradiquer la faim et la pauvreté dans le monde. Il n’y a aucune raison pour que quiconque meure de faim ou n’aie pas de toit sur cette planète, mais notre gouvernement semble totalement déterminé à prouver qu’il ne s’intéresse à rien d’autre qu’à faire des profits sur des guerres et de la misère. Et nos médias veulent désespérément prouver qu’ils ne demandent rien d’autre que soutenir la banqueroute morale de notre empire.

Quand les médias ne sont pas en train de faire de la retape active pour des guerres, ils inondent les ondes avec de la merde, de telle sorte que le pays entier ne s’entend plus penser. Tout notre paysage mental est colonisé par des absurdités et la vacuité des inepties des célébrités. Et, alors que personne ne regarde, le plus grand cambriolage que l’humanité ait jamais vu se produit derrière notre dos – sous couvert de « sécurité nationale ».

Vingt et un billions.

N’oubliez pas.

Lee Camp est un satiriste politique, écrivain, acteur et activiste américain. Il anime l’émission satirique hebdomadaire Redacted Tonight sur RT America. Il a écrit pour The Onion et le Huffington Post.

Traduction et notes Corinne Autey-Roussel pour Entelekheia

Note de la traduction : la dette nationale officielle des USA s’élève à 21 billions et quelques, presque la somme manquante au Pentagone. Ils ont donc barboté l’équivalent de la quasi-intégralité de la dette nationale de leur pays.


Pour le plaisir des anglophones, l’émission de Lee Camp sur le sujet en vidéo.

via USA : casse du siècle au Pentagone

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