Vol électoral apparent au Honduras, par Rick Sterling

Source : Rick Sterling, Consortium News, le 4 décembre 2017

En 2009, la secrétaire d’État Hillary Clinton a justifié un coup d’État au Honduras pour mettre fin à un éventuel second mandat d’un président progressiste, mais les États-Unis maintenant ne font rien, alors qu’un président de droite vole un second mandat, affirme Rick Sterling.

Le Honduras est à nouveau en crise. L’élection nationale a eu lieu le 26 novembre et les résultats ont été publiés cette nuit-là, montrant que le challenger Salvador Nasralla avait une avance de 5 % avec 57 % des voix exprimées Puis des choses étranges ont commencé à se produire.

Après minuit le soir des élections, le Tribunal électoral suprême (TSE) a cessé d’afficher des mises à jour et a effectivement cessé de fonctionner pendant les 36 heures suivantes. Le président du TSE, David Matamoros Batson, a déclaré que le TSE avait reçu 13 000 feuilles de comptage, mais qu’il en manquait 6 000. Avec un peu plus de 18 000 au total, ce n’est pas tout à fait la valeur totale. Deux heures plus tard, Matamoros a porté à 7 500 le nombre de feuilles de comptage manquantes. Lorsque les mises à jour ont repris, en milieu de journée mardi dernier, les résultats ont toujours été favorables au président sortant de droite Juan Orlando Hernandez. L’avance de l’opposition a diminué progressivement puis a disparu.

Le chef de la Coalition de l’opposition contre la dictature, Salvador Nasralla, a dénoncé les malversations apparentes et les manifestations ont commencé dans tout le pays. La police et l’armée ont parfois réagi violemment. De nombreux Honduriens non armés ont été tués au cours des cinq derniers jours.

Lundi, plus d’une semaine après les élections, le TSE a annoncé des résultats qui donnent une victoire serrée au président du parti national Juan Orlando Hernandez. Alors que les manifestations de masse se poursuivent, l’opposition a exigé le recompte de toutes les feuilles de pointage reçues après la fermeture du TSE.

L’actuel gouvernement du Parti national est issu du coup d’État militaire de 2009, qui a renversé le président modérément progressiste Manuel Zelaya, supposément parce qu’il avait envisagé la possibilité de briguer un second mandat. Lorsque Zelaya a été kidnappé lors du coup d’État de 2009, il a été transporté directement de Tegucigalpa à la base aérienne du gouvernement américain de Palmerola, à seulement 48 milles de la capitale.

Après avoir passé du temps sur le terrain, les chefs du coup d’État ayant probablement consulté Washington, le président enlevé a été emmené au Costa Rica. Cinq mois plus tard, une élection a eu lieu pour remplacer Zelaya. L’élection a été largement boycottée au Honduras, mais le sceau d’approbation a été donné par Washington. La secrétaire d’État Hillary Clinton a déclaré que les élections avaient fait du coup d’État un « point contestable ».

Quatre ans plus tard, en 2013, il y a eu une autre élection présidentielle, qui incluait un nouveau parti : le Parti de la Libération et de la Refondation connu sous le nom de LIBRE. Ce parti représentait les forces populaires, qui soutenaient Zelaya et ses politiques progressistes – et avait émergé de la résistance populaire au coup d’État. Le parti a rapidement dépassé le Parti libéral traditionnel et a posé un sérieux défi au Parti national de Hernandez alors que des observateurs internationaux ont consigné l’intimidation des électeurs et d’autres irrégularités. Hernandez a assumé la présidence le 27 janvier 2014.

(Ironiquement, malgré la justification du renversement de Zelaya – parce qu’il envisageait apparemment de briguer un second mandat au mépris de la Constitution – la voie de la réélection de Hernandez a été déblayée par une décision contentieuse du tribunal en 2016.)

Avant l’élection de 2017, le LIBRE a formé une coalition élargie avec deux petits partis pour soutenir Salvador Nasralla en tant que candidat. Cette alliance politique prit le nom de Coalition contre la dictature et l’ancien président Zelaya en fut le coordinateur principal.

Quelques jours avant la récente élection au Honduras, The Economist a publié un article à grand succès intitulé « Le Parti au pouvoir hondurien planifie-t-il de truquer les élections ? », dans lequel il rapporte : « The Economist a obtenu un enregistrement qui, s’il est authentifié, laisse entendre que le parti au pouvoir a l’intention de fausser les résultats des élections à venir ». L’enregistrement de deux heures vient d’une session de formation du Parti National. Il détaille cinq tactiques utilisées pour influencer les résultats des élections : acheter les identifiants des délégués des petits partis qui supervisent les bureaux de vote locaux, permettre subrepticement aux électeurs du Parti National de voter plus d’une fois, rendre nuls les votes pour les autres candidats, endommager la feuille de comptage qui favorise l’adversaire pour qu’elle ne puisse pas être transmise électroniquement au siège des élections – et expédier les feuilles de pointage en faveur de leur parti.

Faire pencher la balance

Outre les manœuvres de truquage signalées sur le terrain, les arbitres électoraux étaient loin d’être neutres. Le Tribunal électoral suprême (TSE) est dirigé par le président David Matamoros Batson, qui était auparavant secrétaire général et membre du Congrès du Parti national.

Ci-dessous figurent des preuves de manquements et de partialité du TSE :

1 – Le TSE a retardé l’affichage des résultats qui favorisaient le candidat de l’opposition.

Aux élections de 2013, le TSE a commencé à afficher les résultats des élections à 18h13 alors que seulement 24 % du total des votes avaient été obtenus. Ces résultats ont donné au candidat du Parti national Juan Orlando Hernandez une avance de 5 points de pourcentage.

Pour cette élection, le TSE a agi différemment. À 19h55, Matamoros, le président de TSE, tweetait « Nous avons reçu 40 % des résultats », mais ils ne les ont pas publiés. Ils ont retardé l’affichage des données jusqu’à minuit. Ils ont ensuite déclaré qu’avec 57,2 % du total des voix exprimées, les résultats étaient :

– Salvador Nasralla (Coalition de l’opposition contre la dictature) avec 855 847 voix = 45,17 % du total.

– Juan Orlando Hernandez (Parti national) avec 761 892 voix = 40,22 %.

– Luis Zelaya (Parti libéral, aucun lien avec Manuel Zelaya évincé) avec 260 994 voix = 13,77 % du total.

– Plusieurs autres candidats avaient moins de 1 %.

Avant les élections, le TSE prévoyait de publier les résultats de 70 % des électeurs le soir du scrutin, soulevant la question de savoir si le TSE retenait davantage de résultats.

2 – Le TSE a modifié la procédure de l’élection.

La procédure électorale en vigueur au Honduras consiste à dépouiller et compiler les bulletins de vote en papier dans chacun des bureaux de vote du pays. La feuille de comptage (« acta ») est signée par les représentants de chaque parti, puis scannée et transmise par voie électronique au siège social du TSE où elle est ajoutée aux totaux nationaux et publiée.

Après l’affichage des résultats montrant le candidat de l’opposition avec une avance significative, vers minuit le jour du scrutin, le TSE a changé la procédure et a cessé d’afficher les résultats pendant les 36 heures suivantes. Le président de TSE Matamoros a arbitrairement changé les procédures.

L’explication a été donnée par Matamoros à 13h39 le 27 novembre : « Aujourd’hui, nous allons commencer à ouvrir les urnes qui viennent de partout dans le pays pour comprendre les bulletins et les résultats ». Cinq minutes plus tard, à 13h44, il a ajouté : « Nous ne pouvons pas donner de résultats tant que toutes les feuilles de pointage manquantes ne sont pas arrivées. »

La situation a été contestée par l’observateur électoral espagnol Ramon Jauregui qui a noté : « Il n’ y a aucune raison technique qui explique ce retard, car les comptages rendus depuis les 18 000 bureaux de vote ont été transmis électroniquement à @tsehonduras le jour de l’élection. »

3 – Le TSE a faussement signalé le nombre de feuilles de pointage manquantes.

À 13h56, Matamoros a annoncé que le TSE avait reçu 13 000 du total, mais qu’il lui manquait encore 6000 feuilles de comptage (« actas »). « Nous avons reçu 13 000 comptages de partout au pays… il nous en manque 6 000 ». Avec un total de 18 100 comptages, le nombre réel de données manquantes aurait dû être d’environ 5 100.

À 16h17, le nombre de feuilles de comptage manquantes a mystérieusement augmenté de 25 % pour atteindre 7 500. Matamoros du TSE a annoncé qu’il nous manquait 7500 actas.

 

4 – Les responsables du TSE ont donné des résultats contradictoires.

Alors que Matamoros publiait des informations contradictoires sur le nombre « d’actas » manquantes, un autre fonctionnaire électoral disait quelque chose de très différent. Ainsi que que rapporté dans l’article de Reuters :

« L’officier électoral Marcos Ramiro Lobo a déclaré à Reuters lundi après-midi que Nasralla menait avec une marge de cinq points, sur environ 70 % des bulletins comptés. Lobo a déclaré que Nasralla semblait certain de gagner, signalant que les experts du corps électoral considéraient son avance comme irréversible. »

Le candidat du Parti libéral à la troisième place a également reconnu Nasralla comme le gagnant et a exhorté le chef du Parti national à concéder la défaite.

Vers midi, le 28 novembre, le TSE a repris la publication des résultats des élections après l’interruption de 36 heures. Les nouvelles données ont montré que l’avance de Nasralla déclinait régulièrement et que le candidat du Parti National et l’actuel Président Juan Orlando Hernandez prenait de l’avance. Le Centre de recherche sur l’économie et les politiques a analysé les données et déterminé que le brusque revirement des résultats électoraux était « presque impossible ».

Où en sont les choses

Le TSE a annoncé les résultats montrant Juan Orlando Hernandez remportant les élections. Le candidat de la coalition d’opposition Nasralla a appelé à de nouvelles élections sous observation et contrôle international. Le Coordonnateur de l’opposition et ancien président, Manuel Zelaya, a publié une déclaration demandant une enquête et la vérification des procédures et des résultats de l’élection.

Le Honduras est important pour la politique étrangère des États-Unis et la Maison-Blanche suit de près les événements. À la mi-novembre, le magazine Foreign Policy a publié un article intitulé « Les États-Unis ont beaucoup de choses à dire sur l’élection au Honduras ». L’article dit que « perdre Hernandez serait un véritable revers. »

Il est clair que le peuple hondurien a encore plus de choses à dire sur les élections au Honduras. Le coup d’État de 2009 a entraîné une recrudescence de la criminalité et de la violence, ainsi qu’une répression massive des paysans sans terre, des communautés environnementales et indigènes. De la mer des Caraïbes à l’océan Pacifique, les politiques intérieures du Honduras ont été faussées au profit des sociétés étrangères, des plantations, de l’oligarchie locale et des voisins au nord.

La situation actuelle remet en question l’objectivité des États-Unis et de l’Organisation des États américains (OEA). Les États-Unis et l’OEA vont-ils émettre des critiques symboliques, mais finiront-ils par approuver cette élection au Honduras malgré les problèmes flagrants ? Si c’est le cas, cela mettra en évidence la double norme, car les États-Unis et l’OEA ont critiqué énergiquement les élections vénézuéliennes et ont refusé de reconnaître les résultats, même après avoir procédé à des recomptages et à des vérifications complètes.

Le processus électoral au Honduras offre la possibilité d’une vérification, mais seulement si les données de chaque bureau de vote sont comparées aux données enregistrées au siège du TSE. L’entraînement secret du Parti National décrite par The Economist appelait spécifiquement à la perturbation de la transmission des « actas » défavorables (fichiers de comptage) au quartier général.

Si les demandes de l’opposition en vue d’un examen approfondi des procédures électorales et du scrutin ne sont pas satisfaites, les protestations et la répression risquent d’exploser au Honduras. Il est évident que la majorité des Honduriens veulent un nouveau dirigeant et ont voté en sa faveur. Il semble que les désirs des électeurs aient été contrecarrés par un processus électoral manipulé et un vol évident.

Rick Sterling est journaliste d’investigation et observateur officiel des élections au Honduras en 2013.

Source : Rick Sterling, Consortium News, le 4 décembre 2017

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

 

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