Amiante : les mises en examen annulées dans les dossiers Jussieu et Normed

La cour d’appel de Paris a de nouveau annulé ce vendredi matin les mises en examen des responsables nationaux dans ces dossiers emblématiques. Les victimes se pourvoient en cassation.

Ce matin, les mises en examen des responsables nationaux dans deux dossiers emblématiques du scandale sanitaire de l’amiante, celui du campus parisien de Jussieu et des chantiers navals Normed de Dunkerque ont de nouveau été annulées par la cour d’appel de Paris. En tout, ce sont neuf personnes (industriels, scientifiques ou haut fonctionnaires) qui avaient été mis en examen entre fin 2011 et début 2012 pour homicides et blessures involontaires. Ils avaient obtenu une première annulation de leur mise en cause par la cour d’appel de Paris en 2014, une décision invalidée en 2015 par la cour de cassation qui avait renvoyé les dossiers devant la chambre de l’instruction.

Pierre Pluta, président de l’Association régionale de défense des victimes estime qu’il s’agit là «d’un véritable mépris. C’est un autre coup de bâton que l’on reçoit de la Justice en plein visage. Les juges ne mesurent pas l’importance de la décision qu’ils ont prise. Ou s’ils la mesurent, c’est encore pire. Ils donnent en fait un permis de tuer à tous ceux qui fabriquent des produits cancérogènes en France. Ils leur disent: allez-y, jamais vous ne serez inquiètés, c’est très grave. Notre combat a commencé il y a 20 ans mais il ne s’arrêtera pas là». Michel Parigot, président du comité anti-amiante de Jussieu pense que les victimes «paient la décision du parquet de clôre l’instruction dans une dizaine de dossiers. Comme si l’idée d’un non-lieu général pour l’amiante s’était installée dans l’opinion. Il est clar que l’idée est de retarder les choses pour qu’il n’y ait plus personne à juger. C’est la stratégie depuis le début».

Deux hauts fonctionnaires mis en cause

Le 7 juin dernier, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris examinait les demandes d’annulation de huit mises en examen dans les dossiers de l’université parisienne de Jussieu et des chantiers navals Normed à Dunkerque. La question juridique de ces mises en cause est en suspens depuis cinq ans.

Parmi les personnalités les plus importantes mises en cause dans cette affaire figurent notamment l’ex-directeur général de la santé Jean-François Girard ainsi qu’un haut responsable du ministère du Travail, Jean-Luc Pasquier. Ce dernier était en charge du dossier amiante au ministère du Travail de 1981 à 1994, il y était donc avant l’arrivée de Martine Aubry et avant la création du Comité permanent amiante (CPA) en 1982, la structure de lobbying montée par les industriels pour défendre l’usage de cette fibre cancérigène. Une note écrite de sa main en 1981 montre que Jean-Luc Pasquier connaissait, dès cette date, le risque grave de cancer auquel étaient exposés les salariés. Mais aussi qu’il savait que les valeurs limites alors en vigueur ne les épargnaient pas suffisamment et, pire, qu’il fallait diviser par dix les valeurs limites pour espérer les protéger convenablement. Pasquier et Girard se défendent en certifiant qu’ils ont parfaitement agi, mieux, Jean-Luc Pasquier estime avoir pris les mesures dès qu’il a eu connaissance des risques en … décembre 1994. Les dangers de l’amiante sont pourtant connus depuis le début des années 1970.

A Jussieu, des chercheurs passaient le balai chaque matin à leur arrivée tant la couche d’amiante sur leur bureau était importante

Jussieu et la Normed, deux dossiers particuliers et symptomatiques des errements de la justice et les seuls pour lesquels les responsabilités nationales sont instruites. Jussieu d’abord avec son université infestée par la fibre cancérigène, celle-là même qui contraignait certains chercheurs à passer le balai chaque matin à leur arrivée tant la couche d’amiante sur leur bureau était importante. À terme, elle causera la mort d’une centaine de personnes. Pour la Normed, c’est toute l’histoire industrielle de Dunkerque, avec les chantiers, l’endroit de France qui déchargeait le plus d’amiante. Déjà 660 décès ont été enregistrés à cause de la fibre croqueuse de poumons. C’est à Dunkerque que les «veuves» se battent pour défendre la mémoire de leurs maris décédés et pour que se tienne enfin un procès de l’amiante en France.

Dans ce scandale, il apparaît clairement que dès la création du CPA en 1982, les dangers sanitaires étaient connus de tous, médecins, hauts fonctionnaires, lobbyistes. La connivence entre ces professionnels permet de comprendre comment un matériau dangereux pour la santé a pu continuer à être utilisé, en toute légalité, pendant une trentaine d’années, alors même que sa toxicité était avérée et prouvée scientifiquement.

Si procès pénal il devait y avoir, il se tiendrait sans politiques dans le box des accusés: aucun ministre du Travail, aucun ministre de la Santé. Martine Aubry avait certes été inquiétée dans l’affaire Condé-sur-Noireau, en tant que directrice des relations du travail entre 1984 et 1987, mais, il y a deux ans, elle a obtenu l’annulation définitive de sa mise en examen.

Sur toute la France, à terme, l’amiante fera entre 120.000 et 180.000 morts, selon l’Institut national de veille sanitaire (INVS).

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