Aude Lancelin : « La presse actuelle est soumise à un management par la terreur assumé »

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La plupart des journalistes en poste dans le groupe Le Monde ont évidemment intérêt à le nier. Une telle chose rend en effet toute posture déontologique inepte, et surtout : ils ont peur. Quand on parle de Xavier Niel avec ces gens, certains protestent : « La politique n’intéresse pas du tout Niel ! Au contraire, il méprise les hommes politiques ! » Pardon, mais un homme qui affirme dans le magazine Society être un pur libéral, qui parle de ses employés dans les centres d’appel comme de types qui cassent des cailloux, et dit que c’est bien triste, mais que ça n’est pas son problème, que ça ne l’« intéresse » pas… Si ça, ce n’est pas une vision politique du monde ! Certes, Xavier Niel a un rapport totalement instrumental aux hommes politiques et se pense, pas forcément à tort d’ailleurs, plus malin qu’eux. En attendant, L’Obs a fait six couvertures sur Emmanuel Macron en deux ans et demi, pendant que Arnaud Montebourg, par exemple, n’en a eu qu’une seule, à l’été 2014, et que, depuis, on lui donne la parole au compte-gouttes.

nielEffectivement, Xavier Niel ne décroche pas son téléphone pour dire à un employé comme Matthieu Croissandeau : « Allez, il faut encore préparer votre petit cartable pour aller interviewer Macron… » Quel besoin ? Chacun sait que la vision du monde dont Macron est le nom est celle-là même de Niel. À un moment donné, ce dernier a financé les ambitions du premier : ce n’est tellement pas confidentiel que même le 20 h de France 2 en a fait un sujet au début de l’année 2016 ! Aujourd’hui, Macron dissimule le nom de ses donateurs, les choses sont opaques, mais peu importe. Le directeur d’une rédaction sait très bien ce qu’on attend de lui. Dans ce domaine, l’autocensure des journalistes fonctionne à plein. Après un licenciement comme le mien, j’aime d’autant mieux vous dire qu’un mec qui aurait envie de l’ouvrir face à Xavier Niel y réfléchirait à deux fois… C’est le management par la terreur assumée.

Pour revenir à votre question, il ne faut pas non plus être totalement prisonnier des explications économiques. Si Patrick Drahi a investi dans la presse, ou si Bernard Arnault a racheté Les Échos, ce n’est pas seulement pour bénéficier de cadeaux fiscaux. Arnault, par exemple, tout en étant le premier annonceur de la presse française, détient le seul grand quotidien économique du pays. Le compagnon de sa fille, Xavier Niel, est copropriétaire de la plus importante holding de presse française, détentrice du journal “de référence” Le Monde. On n’est pas dans la fiscalité, là : on est dans la reconstitution d’une oligarchie extrêmement puissante et tentaculaire.

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via Aude Lancelin : « La presse actuelle est soumise à un management par la terreur assumé » – Le Comptoir

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