Charles Robin : «On assiste à un moment de véritable révélation»

Pour l’essayiste Charles Robin, la gauche a trahi le socialisme en renouant avec ses racines libérales. Ainsi a-t-elle dévoilé la connivence entre la droite et la gauche.

La gauche œuvre-t-elle à sa propre destruction ? Il ne s’agit pas ici de la redondance Hamon/Mélenchon et de leur duel à venir… non, la question est plus profonde, elle est « métapolitique », devrait-on dire, avec un peu de facilité. Par-là, nous voulons dire : la gauche, historiquement soucieuse d’égalité, de justice sociale, désireuse de combattre le capitalisme et le consumérisme, a-t-elle trahi ses idéaux ?

 

Pour répondre à ces questions qui éclaireront à n’en pas douter la situation politique contemporaine, nous avons accueilli en studio Charles Robin, un jeune ambassadeur de cette gauche à la fois anarchisante et orwelienne, empreinte et désireuse de « common decency », c’est-à-dire de décence commune, de décence populaire. Son essai Itinéraire d’un gauchiste repenti, pour un anticapitalisme intégral (éditions Krisis, 2017) est un ouvrage autobiographique, il s’ouvre par la petite histoire d’une grande désillusion, la sienne…

Regardez l’intégralité de l’entretien :

Extraits :

« La gauche souffre d’être ce qu’elle est (…) nous sommes à une période où le peuple ne s’y trompe plus et a bien compris que la gauche n’incarnait plus les classes populaires. Lionel Jospin en 2002 disait que son programme n’était pas socialiste mais « moderne ». Valls ne se définissait pas comme socialiste. Nous sommes ici dans des stratégies de communication. Mélenchon incarne bien cette exaspération populaire. La question est de savoir à quel point ils ont les mains libres pour opérer conformément à leur discours. Beaucoup d’acteurs politiques de gauche sont dans la posture populaire et révolutionnaire mais le pouvoir ne leur appartient plus réellement. »

Le libéralisme au bout de sa logique

« Je ne réduis pas le libéralisme à une doctrine économique ni même à une idéologie politique. J’en fais, à la suite de Jean-Claude Michéa, un véritable paradigme, c’est-à-dire une vision du monde. Le libéralisme ne se réduit pas au pouvoir des chefs d’entreprises de licencier ou de délocaliser. Ce n’est pas non plus simplement le désengagement de l’État vis-à-vis de l’économie. Le libéralisme, c’est une manière de voir le monde qui considère que l’individu est une entité totalement détachée du groupe, qui va jusqu’à nier l’idée même de communauté au nom de la liberté individuelle, reposant sur le principe selon lequel chaque individu doit pouvoir se déterminer librement à agir selon sa propre conception du bien et du bonheur. On ne fait simplement pas reposer un système social et politique sur cette seule idée de liberté individuelle. Il existe un certain nombre de valeurs communes. A partir du moment où le libéralisme se déploie dans l’histoire, il ne peut qu’aller au bout de sa logique : il ne peut s’arrêter en chemin… »

Petit éloge de la dignité

« Je remarque aujourd’hui une réactivation de cette vision de la politique, qui veut s’appuyer seulement sur les faits, les faits et rien que les faits. C’est sûr que si on ne s’appuie que sur les faits, la dignité humaine n’existe pas, parce vous ne la rencontrerez pas dans la rue. Ce n’est pas quelque chose de matériel, de rationnel. Mais c’est quand même quelque chose qui fonde notre rapport aux autres. Les sentiments qui animent les hommes et font qu’ils peuvent vivre en concordance les uns avec les autres reposent en grande partie sur ces valeurs qui peuvent paraître abstraites et métaphysiques mais qui sont malgré tout une partie intégrante de l’être humain ».

Décadence et carence affective

« On peut parler d’une décadence sur le plan du constat, sans prôner un retour à l’ordre moral. Si la fin de la civilisation entraîne avec elle une destruction de toutes les valeurs qui font une civilisation, cela ne me paraît pas excessif… même si à titre personnel je ne l’emploie pas (…). Dans le rejet de la société décadente, il y a une partie émotionnelle très vive qui empêche de faire un constat lucide sur la situation actuelle. Effectivement, on assiste depuis le XVII-XVIIIème siècle à un processus d’atomisation générale (…) accompagné de la recherche absolue du plaisir personnel, qui prend la forme de la consommation compulsive. Le marché a trouvé le moyen de combler les lacunes produites à partir de cette atomisation sociale, car il propose la marchandise sur mesure qui permettra aux individus de combler leurs manques et de satisfaire leurs carences affectives. L’objet transitionnel permet à l’enfant de compenser le manque de la mère. Chez l’adulte, il permet de compenser le manque affectif par la marchandise. »

Droite/Gauche… et socialisme

« Il y a une grande confusion : confondre la gauche et le socialisme. La gauche s’est construite de manière parfaitement indépendante à la question du socialisme. Celui-ci est apparu plus tard, indépendamment du clivage droite/gauche qui opposait la droite royaliste, conservatrice et la gauche progressiste et libérale qui œuvrait pour la reconnaissance des libertés individuelles. Le socialisme était étranger à cette problématique-là. Ce n’est que par un jeu d’alliances historiques que la gauche et le socialisme ont entretenu des liens. Essentiellement pour combattre la droite. À partir de là, la gauche et le socialisme en sont venus dans l’imaginaire collectif à désigner exactement la même chose. Effectivement, pendant les réformes populaires, la gauche et le socialisme faisaient front commun. Mais à partir du moment où Mitterrand amorce le tournant de la rigueur, (…) on assiste au divorce idéologique entre la gauche et le socialisme. La gauche est redevenue ce qu’elle était dans son essence : non pas un mouvement politique préoccupé par la condition des classes populaires, mais un mouvement idéologique philosophique préoccupé par le progrès des libertés: toutes les mesures prises sous le gouvernement Hollande sont des mesures sociétales, par exemple Le Mariage Pour Tous (…). »

L’unité du libéralisme

« Beaucoup de personnes n’ont pas compris qu’en critiquant la gauche, je ne faisais pas valoir une adhésion aux idées de la droite. Issu d’un milieu gauchiste, (…) je voyais dans la droite un mouvement politique en faveur des puissants de ce monde. Lorsque je m’en suis pris à la gauche c’est parce que précisément j’observais une connivence entre son libéralisme culturel et le libéralisme économique de la droite. Le clivage droite-gauche est précisément artificiel. Droite et gauche sont les deux faces complémentaires et parallèles d’un même mouvement de pensée, qui s’appelle le libéralisme. La gauche va assurer le volet culturel du libéralisme, la droite va en assurer le volet économique, mais au fond elles se rejoignent assez bien : la gauche prend des mesures assez libérales sur le plan économique, et la droite a de plus en plus de mal à cacher le fait qu’elle ne reviendra pas sur les mesures libérales prises par la gauche. On assiste à un moment de véritable révélation : au sens où se révèlent les contradictions majeures de la droite et de la gauche. Ce qui apparaît aujourd’hui, c’est l’unité profonde du libéralisme politique et du libéralisme économique ».

via Charles Robin : «On assiste à un moment de véritable révélation»

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