Comment le monde pourrait finir

Source : John Pilger, Consortium News, 04-08-2017

Républicains et démocrates — avec la complicité des médias dominants — plongent tête la première vers la guerre avec la Russie, dans un conformisme idéologique dément qui peut mettre fin à toute vie sur cette planète, observe John Pilger.

Le capitaine du sous-marin américain dit : « Nous devons tous mourir un jour, tôt ou tard. Le problème est que l’on n’est jamais prêt, parce qu’on ne sait pas quand ça va arriver. Eh bien, maintenant nous le savons et il n’y a rien que nous puissions y faire. »

Il dit qu’il sera mort d’ici le mois de septembre. Il faudra une semaine pour mourir, bien que personne n’en soit sûr. Ce sont les animaux qui vivent le plus longtemps.

En un mois, la guerre était finie. Les États-Unis, la Russie et la Chine en étaient les protagonistes. Il n’est pas clairement expliqué si le conflit a éclaté par accident ou par erreur. Il n’y a pas eu de vainqueur. L’hémisphère nord est contaminé et toute vie a disparu.

Un rideau de radioactivité se déplace vers le sud, en direction de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, de l’Afrique du Sud et de l’Amérique du Sud. En septembre, les dernières cités, villes et villages auront été anéantis. Comme dans le nord, la plupart des bâtiments resteront intacts, certains encore illuminés par les dernières lueurs électriques.

C’est ainsi que finit le monde.

Pas dans une explosion, mais dans un gémissement.

Ces vers, extraits du poème « The Hollow Men » [NdT : Les hommes creux] de T.S. Eliot, marquent le début du roman de Nevil Shute, « On the Beach » [NdT : Le dernier rivage], qui m’a ému aux larmes. Les critiques figurant sur la couverture disent la même chose.

Il s’agit là d’un chef-d’œuvre, publié en 1957, à l’apogée de la guerre froide, alors que beaucoup trop d’écrivains étaient silencieux ou effrayés. Au premier abord, le langage employé suggère un style précieux et compassé et pourtant, rien de ce que j’ai pu lire sur la guerre nucléaire n’adresse une mise en garde aussi implacable. Ce livre est à lire ou relire de toute urgence.

Certains lecteurs se souviendront du film hollywoodien en noir et blanc dans lequel Gregory Peck incarne un commandant de la marine américaine qui fait voguer son sous-marin vers l’Australie pour attendre le spectre silencieux et informe qui s’abat sur la dernière partie du monde vivant.

J’ai lu « Le dernier rivage » pour la première fois l’autre jour, le terminant au moment où le Congrès des États-Unis adoptait une loi permettant de mener une guerre économique contre la Russie, la deuxième puissance nucléaire la plus dangereuse au monde. Il n’y avait aucune justification valable à ce vote insensé, si ce n’était la promesse d’un pillage.

L’objectif d’une guerre chaude

Les « sanctions » visent également l’Europe, en particulier l’Allemagne, qui dépend du gaz naturel russe et des sociétés européennes qui font des affaires avec la Russie en toute légalité. Au vu de la teneur des débats au Capitole, les sénateurs les plus éloquents n’ont laissé planer aucun doute sur le fait que l’embargo avait été conçu pour obliger l’Europe à importer le coûteux gaz américain.

Leur principal objectif semble être la guerre — la « vraie » guerre. Une provocation aussi extrême ne peut suggérer autre chose. Ils paraissent en avoir terriblement envie, même si les Américains n’ont que peu idée de ce qu’est la guerre. La guerre civile de 1861-1865 est la dernière à s’être déroulée sur leur territoire. La guerre, c’est ce que les États-Unis font aux autres.

Seule nation à avoir utilisé l’arme nucléaire contre des êtres humains, les États-Unis ont depuis défait quantité de gouvernements, dont beaucoup de démocraties, et détruit des sociétés entières — le million de morts en Irak n’est rien à côté du carnage opéré en Indochine que le Président Reagan avait qualifié de « noble cause » et que le Président Obama a requalifié de tragédie d’un « peuple exceptionnel ». Il ne parlait pas des Vietnamiens.

L’année dernière, alors que je filmais au Lincoln Memorial à Washington, j’ai entendu un guide du Service des parcs nationaux sermonner un groupe scolaire de jeunes adolescents : « Écoutez bien, leur a-t-il dit. Nous avons perdu 58 000 jeunes soldats au Vietnam, et ils sont morts pour défendre votre liberté. »

D’un coup, la vérité s’est inversée. On n’a défendu aucune liberté. On a détruit la liberté. On a envahi un pays peuplé de paysans et on a tué, mutilé, dépossédé, empoisonné des millions de personnes ; 60 000 envahisseurs y ont perdu la vie. Écoutez bien, en effet.

Chaque génération subit une lobotomie. On efface les faits. L’Histoire est excisée et remplacée par ce que Time Magazine appelle « un éternel présent ». Harold Pinter décrivait cela comme « une manipulation du pouvoir à l’échelle mondiale qui se présente sous l’aspect trompeur d’une force au service du bien. Un acte d’hypnose brillant, spirituel même, très réussi, créant l’illusion qu’il ne s’est jamais produit. Rien n’est jamais arrivé. Même quand ça se passait, ça ne se passait pas. Ça ne comptait pas. C’était sans intérêt. »

Ceux qui se disent libéraux ou tendancieusement « de gauche » participent allègrement à cette manipulation et à son lavage de cerveau qui se résume aujourd’hui à un seul nom : Trump.

Trump est fou, fasciste et instrumentalisé par la Russie. Il est aussi un don du ciel pour les « cerveaux libéraux qui trempent dans le formaldéhyde de la politique identitaire », pour reprendre les propos mémorables de Luciana Bohne. L’obsession de Trump— l’homme, pas le symptôme et la caricature d’un système durable — est annonciateur d’un grand danger pour nous tous.

Des médias narcissiques

En poursuivant leurs agendas fossilisés anti-Russes, des médias narcissiques, et bellicistes comme jamais, tels que le Washington Post, la BBC et le Guardian, annihilent l’essence même de l’histoire politique la plus importante de notre époque.

Le 3 août, contrairement à la large couverture accordée par le Guardian aux radotages de conspiration russe avec Trump (ce qui n’est pas sans rappeler l’extrême-droite accusant calomnieusement John Kennedy d’être un « agent soviétique »), le journal a enterré en page 16 la nouvelle selon laquelle le Président des États-Unis avait été forcé de signer un projet de loi du Congrès déclarant la guerre économique à la Russie.

A la différence de toutes les autres signatures de décrets de Trump, celle-ci a été menée dans un secret quasi-absolu et est assortie d’une réserve de la part de Trump lui-même quant à son caractère « clairement anticonstitutionnel ».

Un coup d’État à l’encontre de l’homme qui occupe la Maison-Blanche se prépare. Non pas parce qu’il est un être humain odieux mais parce qu’il a toujours indiqué très clairement ne pas vouloir de guerre contre la Russie.

Cet éclair de lucidité, ou de pur pragmatisme, fait horreur aux gestionnaires de la « sécurité nationale », gardiens d’un système fondé sur la guerre, la surveillance, la force de frappe, les menaces et le capitalisme extrême. Martin Luther King les appelait « les plus grands pourvoyeurs de violence dans le monde aujourd’hui. »

Ils ont encerclé la Russie et la Chine avec des missiles et de l’arsenal nucléaire. Ils se sont servi des néo-Nazis pour installer un régime agressif, instable à la frontière russe, comme Hitler en son temps provoquant 27 millions de morts. Leur objectif est de démembrer la Fédération russe moderne.

En réponse, Vladimir Poutine utilise constamment le mot « partenariat » – tout est bon, semble-t-il, pour tenter d’arrêter l’offensive évangélique des États-Unis. En Russie, l’incrédulité a peut-être fait place à la peur, voire à une certaine résignation. Les Russes se sont sans doute entraînés à des contre-attaques nucléaires. Les exercices de raids aériens ne sont pas rares. Leur histoire leur suggère de se tenir prêts.

La menace est simultanée. D’abord la Russie, ensuite la Chine. Les États-Unis viennent tout juste d’achever un exercice militaire de grande ampleur, mené conjointement avec l’Australie et appelé « Talisman Sabre ». Il s’agissait de simuler le blocus du détroit de Malacca et de la mer de Chine méridionale, source économique vitale pour la Chine.

Le commandant amiral de la flotte américaine du Pacifique a déclaré que « si nécessaire », il lâcherait une bombe atomique sur la Chine. Qu’il puisse affirmer une telle chose publiquement, dans le climat délétère actuel, commence à transformer la fiction de Nevil Shute en réalité.

Réduire les journalistes dissidents au silence

Rien de ceci n’est considéré comme des nouvelles. Aucun lien n’est établi avec la commémoration du centenaire du bain de sang de Passchendaele. Les reportages honnêtes ne sont plus les bienvenus dans la plupart des médias. Les moulins à paroles, qualifiés « d’experts », se sont taillé la part du lion : les rédacteurs gèrent l’information spectacle ou suivent la ligne du parti. La relecture-correction a cédé la place à une profusion de clichés convenus. Les journalistes rebelles sont défenestrés.

L’urgence n’est pas nouvelle. Dans mon film, « The Coming War on China », John Bordne, de l’escadre de combat de lanceurs de missiles de l’armée de l’Air américaine basée à Okinawa au Japon, raconte qu’en 1962 — pendant la crise des missiles de Cuba —, on lui a demandé, ainsi qu’à ses collègues, de « lancer tous les missiles » depuis leurs silos.

Ces missiles nucléaires visaient à la fois la Chine et la Russie. Un officier subalterne a remis en question l’ordre reçu qui a finalement été annulé — mais seulement après que des revolvers de service ont été pointés sur d’autres membres de l’équipage de lanceurs de missiles avec ordre de tirer s’ils ne « désarmaient pas ».

A l’apogée de la guerre froide, l’hystérie anticommuniste était telle aux États-Unis que des fonctionnaires américains en mission officielle en Chine ont été accusés de trahison et renvoyés. En 1957, quand Shute a écrit « Le dernier rivage », aucun fonctionnaire du département d’État ne pouvait parler la langue de la nation la plus peuplée au monde. Ceux qui parlaient le mandarin étaient limogés pour des motifs similaires à ceux énoncés dans le projet de loi du Congrès visant la Russie.

Le projet de loi est bipartisan. Il n’existe pas de différence fondamentale entre Démocrates et Républicains. Les termes « gauche » et « droite » sont dénués de sens. La plupart des guerres modernes de l’Amérique ont été initiées non pas par les conservateurs, mais par les Démocrates libéraux.

A la fin de son mandat, Obama affichait le chiffre record de sept guerres, dont la plus longue que l’Amérique ait connue et une campagne sans précédent d’exécutions extrajudiciaires — des meurtres — par des drones.

Selon une étude du conseil des Affaires étrangères, au cours de la dernière année de sa présidence, Obama, « le guerrier libéral malgré lui », a lâché 26 171 bombes, soit trois bombes par heure, 24 heures par jour. Ayant promis de contribuer « à débarrasser le monde » des armes nucléaires, le lauréat du Prix Nobel de la Paix a fait construire plus d’ogives nucléaires que tout autre président depuis la guerre froide.

En comparaison, Trump fait figure de petit joueur. C’est Obama — avec sa Secrétaire d’État Hillary Clinton — qui a détruit la Libye en tant qu’État moderne et a provoqué le déferlement de migrants en Europe. Aux États-Unis, les associations de défense des immigrés l’avaient surnommé « l’expulseur en chef « .

L’un des derniers gestes d’Obama en tant que Président a été de signer un projet de loi accordant la somme record de 618 milliards de dollars au Pentagone, confirmant la montée grandissante d’un militarisme fasciste dans la gouvernance des États-Unis. Trump a entériné cette décision.

Noyée dans le projet de loi, se trouvait la création d’un « Centre d’intervention et d’analyse de l’information ». C’est un ministère de la vérité. Sa mission est de fournir un « récit officiel des faits » qui nous préparera à la possibilité réelle d’une guerre nucléaire, si nous l’autorisons.

John Pilger est un journaliste britannico-australien basé à Londres.

Source : John Pilger, Consortium News, 04-08-2017

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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