Pas assez chère ? L’Artemisia, mal aimée de la lutte contre la malaria

Par Corinne Autey-Roussel


Parfois, une affaire apparemment banale, comme le haro médiatique abordé ici il y a quelques jours sur l’Artemisia annua proposée par Madagascar contre le Covid-19, peut en cacher une bien pire. A chacun d’en juger.

La malaria est un véritable fléau. Chaque année, elle tue entre 400 000 et 800 000 personnes dans les pays en voie de développement, dont une vaste majorité d’enfants. Parmi les traitements reconnus, la chloroquine, principale arme occidentale contre la maladie, a perdu aujourd’hui la faveur de la médecine tropicale à cause des résistances que son utilisation à grande échelle ont fini par engendrer, de sorte qu’elle a été supplantée par une association thérapeutique, les ACT, qui au passage, comportent parfois du Lariam (méfloquine), une molécule à déconseiller à cause de ses effets secondaires dévastateurs (des bouffées délirantes avec idées suicidaires pouvant persister des années après l’arrêt du traitement, voire des lésions neurologiques incurables). L’armée des USA en interdit d’ailleurs l’usage pour ses troupes depuis 2013, elle a été retirée du marché dans plusieurs pays et plusieurs procès ont été intentés contre le laboratoire qui l’a développée, Roche.
Le Lariam est toujours autorisé en France.

Outre les effets secondaires de la méfloquine, qui devraient suffire à l’exclure de la liste des médicaments essentiels de l’OMS où elle trône encore (!) malgré son sillage d’interdictions et de poursuites judiciaires, les ACT dont elle fait parfois partie sont chers, trop pour la bourse des habitants des pays pauvres. Pour eux qui sont les premières victimes du paludisme, il n’y aurait donc, semble-t-il, aucun remède.

Et pourtant…

Bien que l’éradication de la malaria soit un des principaux objectifs affichés de l’OMS, il s’avère qu’un traitement accessible, bon marché et d’une efficacité supérieure aux ACT existe depuis longtemps, qu’elle le sait et qu’elle l’interdit : l’Artemisia annua, précisément.

La carrière internationale de l’Artemisia a commencé au cœur des jungles du Vietnam au cours des premières années de la guerre. Si les Américains étaient protégés de la malaria endémique dans cette zone par leurs comprimés quotidiens de chloroquine, les Viet-Cong, pour leur part, étaient décimés par la maladie. Effaré par la dégradation de ses forces armées, Hồ Chí Minh s’est rapidement tourné vers la Chine, qui connaissait depuis des millénaires l’action d’une plante de sa pharmacopée traditionnelle, l’Artemisia annua (armoise annuelle). Et c’est ainsi que des tonnes de feuilles d’Artemisia, transportées à dos d’homme à travers des kilomètres de jungle, ont fait leur apparition dans des tisanes distribuées aux Viet-Cong, qui ont illico cessé de mourir de la maladie.

L’Artemisia annua entrait dans l’histoire de la médecine.

Son principe actif, ou plutôt l’un de ses principes actifs (nous y reviendrons), l’artémisinine, a ensuite été isolé par la chercheuse chinoise Tu Youyou, lui a valu un Prix Nobel et entre aujourd’hui dans les ACT – c’est d’ailleurs l’argument de l’OMS pour interdire l’Artemisia annua : si sa prise à grande échelle sous forme de tisanes, dans chaque village reculé des pays impaludés, finissait par créer des souches résistantes de Plasmodium falciparum (le parasite responsable de la forme la plus meurtrière de malaria) à l’artémisinine contenue dans les ACT, la catastrophe serait bien réelle et insoluble. Il est donc impératif de préserver son action en limitant son accessibilité.

L’argumentation est convaincante, mais pèche par omission. D’abord parce que ce ce n’est pas la seule artémisinine qui combat la malaria, mais bien toute la plante : elle contient plusieurs principes actifs antipaludéens. En fait, l’Artemisia annua concentre un véritable arsenal thérapeutique antipaludéen à elle toute seule ! Ensuite parce que sa sœur africaine, l’Artemisia afra, ne contient pas d’artémisinine et guérit tout autant le paludisme. Et enfin, des chercheurs chinois ont souligné que leur pays en fait usage depuis des millénaires sans avoir créé de résistances.

 

Un village africain tel qu’on peut encore en rencontrer aujourd’hui. Guinée, Youtube.

 

Alors, pourquoi l’OMS freine-t-elle l’usage des armoises chinoise et africaine ? Parce qu’elles ne sont pas de ces molécules chimiques à la mode, comme les antipaludéens de synthèse ? Parce qu’elles pourraient provoquer ces fameuses résistances, même si l’argument a été battu en brèche par un simple rappel de l’histoire ? Parce que l’OMS, en tant qu’organisme emblématique de la médecine occidentale moderne, se méfie par nature des remèdes d’herboristerie, même pour des pays où, de par les conditions locales (hameaux parfois situés en pleine brousse, à des kilomètres de nulle part, routes réduites à des pistes boueuses, hôpitaux et pharmacies inexistants), ce sont les plus adaptés puisqu’ils peuvent être directement cultivés sur place par des populations de toutes façons trop pauvres pour s’offrir ses comprimés ? Ou pour protéger les profits de l’industrie pharmaceutique, qui a pris les rênes de l’OMS depuis des décennies ?

Cette dernière proposition est la thèse retenue par un documentaire hélas convaincant diffusé sur France 24 en 2018. Même si vous ne comptez pas aller un jour en zone impaludée, et même si la malaria est pour vous une maladie de pays lointain, ne ratez pas ce film : son thème est caractéristique du « nouveau monde » où nous vivons, avec son envahissement de tous les secteurs, même essentiels et même vitaux, par la logique marchande.

Combien d’autres médicaments essentiels ont été sacrifiés, rangés au placard au profit de molécules moins bien tolérées et peut-être moins efficaces, mais plus rentables ? Cette question très réelle est suggérée en creux par les mots glaçants de l’un des intervenants, German Velasquez, haut fonctionnaire à l’OMS, « Le secteur privé, des fondations comme la Fondation Bill and Melinda Gates, ont pris le contrôle de l’Organisation [l’OMS, NDLR]. Les premiers cinquante ans d’existence de l’industrie pharmaceutique, on a développé des médicaments qui guérissaient des maladies. Depuis une vingtaine d’années, l’industrie pharmaceutique produit des médicaments pour traiter les maladies, des traitements, mais pas pour guérir. Peut-être parce que c’est beaucoup plus rentable d’avoir un malade qui est un client ».

Des médicaments qui servent à traiter et non à guérir, des patients chroniques dépendants à vie de leur traitement représentent une manne, un business en or. Si nous n’y faisons rien, cette logique ne s’éteindra pas d’elle-même et notre avenir est tracé : ce sera toujours plus de profits au détriment de la santé de la population mondiale.

Point à la ligne.

 
Malaria business

Un film de Bernard Crutzen
Diffusé sur France 24 le 10 janvier 2018

Résumé :

« 40% de l’humanité est exposée au paludisme et plus de 200 millions de personnes ont été infectées l’an passé. Depuis des décennies, la réponse à cette pathologie a été chimique, que ce soit pour tuer le moustique-vecteur ou pour empêcher la propagation du parasite dans le corps humain. Pourtant, il existe un remède simple et naturel. Mais celui-ci est négligé, voire décrié par la communauté scientifique. Pourquoi ? Parce qu’il ne rapporterait rien à l’industrie pharmaceutique. »

(Une fois votre vidéo lancée, cliquez sur le carré en bas à droite pour accéder au mode plein écran)

 

via Pas assez chère ? L’Artemisia, mal aimée de la lutte contre la malaria

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