Venezuela: Révolution bolivarienne de B à M #2, par Filip Fi

Suite de notre série sur le Venezuela, avec différents articles visant à compléter la vision diffusée par les médias.

Rappelons que nous ne soutenons aucun camp là-bas, militons pour que le peuple vénézuelien choisisse librement et démocratiquement son avenir, et condamnons toutes les atteintes aux droits de l’Homme des deux camps…

Ici, suite du travail de fond du jeune Filip… (1ère partie ici). N’hésitez pas à enrichir l’article en commentaire…

Source : Le Blog Mediapart, Filip, 14-07-2017

Nous connaissons à présent la figure historique que fut Simon Bolivar, la pensée qui l’animait, et l’histoire qui l’accompagne. Faisons désormais un bond dans le temps. La date du 6 décembre 1998 est sans nul doute la plus importante de l’histoire de la révolution bolivarienne, puisqu’elle en constitue le commencement. Par conséquent, afin de comprendre son avènement, il faut observer en détail ce qu’était le Venezuela de l’avant-Chavez, et comprendre les idées et les motivations qui l’ont construite. Nous nous situons dans les années 1980/1990.

I. La misère d’un peuple

S’il y a bien un facteur décisif dans la rébellion d’un peuple contre quelque système que ce soit, c’est bien ses conditions et son niveau de vie. Et dans le cas présent, le niveau de vie au Venezuela était catastrophique.

Pour comprendre, prenons le célèbre indicateur de développement humain comme point de départ de notre analyse. Pour ceux qui ne sauraient pas de quoi il s’agit, c’est un indicateur qui varie de 0 à 1 et qui est calculé à partir de trois critères: l’espérance de vie, l’accès à l’éducation, et le PIB par habitant. Plus on approche de 1, mieux c’est, plus on approche de 0, plus ça va mal. Rien de bien méchant.

Je pense que la plupart d’entre-vous êtes d’accord avec moi pour dire que les Nations Unies ne sont pas une organisation bolcheviko-chaviste? Parfait, on ne m’accusera pas d’être subjectif sur ces données. Voici un premier graphique du PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement) :

On constate très clairement un faible IDH en 1990 à 0,644. Pour vous donner une idée de ce que cela représente, la France à la même période avait un IDH de 0,909 et elle est aujourd’hui à 0,888, ce qui reste élevé. Le taux de croissance annuel de l’IDH vénézuélien n’est en moyenne que de 0,501% dans les années 19901 . Là encore pour se faire une idée, on peut le comparer au taux de croissance entre 2000 et 2013 qui est de 0,934%, soit presque deux fois plus élevé.

J’ai pris l’IDH pour avoir une vue générale de la situation, mais malheureusement, si on rentre dans les détails, les faits se confirment. En 1997, un vénézuélien sur deux est pauvre, l’extrême pauvreté touche elle, un quart de la population2 . En 1998, moins de trois millions de personnes ont un accès régulier aux soins3 ,une personne sur cinq n’a pas accès à l’eau potable4, presque un enfant sur deux n’a pas accès à l’éducation secondaire, en bref, la situation sociale est catastrophique.

II. Une inégale répartition des richesses

Le Venezuela à cette époque est également, vous l’aurez deviné, un pays très inégalitaire. Si la majeur partie de la population connait une situation sociale difficile, il existe également une petite caste de privilégiés qui sévit, notamment dans les quartiers chics de Caracas.

Et oui, c’est le moment d’y venir, on va parler de l’or noir. Comment parler du Venezuela sans parler de ses importantes ressources pétrolières?
Hormis le fer, l’or, la bauxite ou encore le diamant, le pays possède d’importantes réserves de gaz naturel et surtout de pétrole. Contrairement aux idées reçues sur les pays du Golfe, c’est le Venezuela qui possède les plus grandes réserves prouvées de pétrole. D’après les chiffres de BP de 2015, 17,5% des réserves mondiales5. La richesse qui émane de cette ressource représente un tiers des revenus du pays.

Malgré une pseudo-nationalisation en 1976 par Carlos Andres Perez lors de son premier mandat, les revenus de PDVSA (l’entreprise pétrolière vénézuélienne) vont davantage dans l’accumulation privé de la classe dirigeante que dans les programmes sociaux, laissant ainsi une énorme source de revenus et de développement potentiel, entre les mains de quelques-uns, sans compter les multinationales étrangères comme Texaco, Exxon, Shell, BP et j’en passe, qui tentent elles aussi d’avoir une part du magot.

Les inégalités provoquées par cette captation de richesses peuvent se constater grâce à l’étude du coefficient de Gini du PIB par habitant. De la même façon que l’IDH, l’échelle du coefficient de Gini varie de 0 à 1. Le 0 représente une égalité parfaite, et inversement.

En 1998 au Venezuela, on était à 0,486 (0.282 en France la même année), contre 0,381 en 2015. Les 20% les plus riches captaient 53,4% des richesses6.

De quoi créer le terreau d’une révolte tout ça non?

III. Répression politique : Caracazo

Les événements du 27 février 1989 sont d’une importance capitale. Que s’est-il passé ? Tout débute avec l’accession à la présidence le 2 février de la même année du « social-démocrate »  Carlos Andres Perez, sur la base d’un programme social-démocrate donc. Il est membre du parti Action Démocratique.

Seulement la tournure des événements qui suivent son arrivée au pouvoir va rapidement dégénérer. Fraîchement arrivé à la présidence, Perez ne tient pas du tout les promesses de son programme électoral mais préfère suivre les conseils néo-libéraux du Fond Monétaire International (FMI), en imposant ainsi au pays d’importantes coupes budgétaires qui incluent l’augmentation des prix du gaz, du téléphone, de l’eau, des transports et de nombreux autres biens de première nécessité, sans compter de nombreuses privatisations.

Les étudiants ne pouvant plus payer les transports (le tarif ayant doublé), ils se révoltent et débutent alors le Caracazo. Au départ de Guarenas le 27 février au matin, la manifestation prend de l’ampleur et investit la capitale Caracas où va commencer une des répressions les plus sanglantes de l’histoire du Venezuela. La police et l’armée sont mobilisées, elles massacrent les manifestants puis persécutent et tuent des civils innocents, notamment dans les quartiers pauvres de Caracas. La ville est dans le chaos, les commerces fermés et les transports arrêtés.

Au-delà des dégâts matériels considérables, c’est le bilan humain qui est fracassant. Le premier bilan officiel de l’époque évoquait 279 morts, mais des découvertes récentes de charniers creusés par le gouvernement à l’époque font elles état d’environ 2500 à 3500 morts, mais les estimations sont difficilement vérifiables. Ces événements sont désormais gravés dans les mémoires et vont constituer la principale source d’instabilité politique qui suivra dans les années 1990.

IV. Naissance d’un mouvement révolutionnaire | Le leader Hugo Chavez

La misère du pays et la répression vont donner naissance à un mouvement révolutionnaire mené par le charismatique Hugo Rafael Chavez Frias. A la fois socialiste, bolivariste, chrétien et marxiste, comme il aimait bien le dire7, voyons qui est Chavez et le mouvement qu’il représente.

Hugo Chavez est né en 1954 à Sabaneta, dans le sud du Venezuela, où il grandit dans une maison « de bois de palmiers et d’un sol en terre ». Fils de parents enseignants, il se passionne très vite pour l’histoire de son pays et notamment celle de Bolivar. A 17 ans, en 1971, il rejoint l’Académie Militaire Vénézuélienne. C’est à l’académie qu’il lira Marx, Bolivar, ou encore Lénine, et débattra beaucoup avec ses camarades en enrichissant ses connaissances afin de développer son esprit révolutionnaire. En 1975, il sort sous-lieutenant de cette académie avec déjà des ambitions de changement du système politique. En 1984, Chavez et ses compagnons créent au sein de l’armée le MBR-200 (Mouvement Révolutionnaire Bolivarien), « 200 » car il a été créé lors du 200èmeanniversaire de la naissance de Bolivar. Ce mouvement d’orientation socialiste va prendre son temps mais passera bientôt à l’action pour essayer de changer les choses.

V. Tentatives de putsch du MBR-200 contre le pouvoir

Le Caracazo de 1989 est la goutte de sang qui fait déborder la coupe déjà pleine. Il ne faudra pas moins de trois ans pour que le MBR-200 tente un premier putsch le 4 février 1992 contre Carlos Andres Perez. Des soldats révolutionnaires emmenés par Chavez investissent Caracas, mais par manque d’organisation et d’alliances solides, le coup échoue, et Chavez est emprisonné pendant deux ans.

Il déclare aux médias assumer l’entière responsabilité de cet échec. Cette séquence va lui donner une aura nationale et sa popularité grimpe en flèche, le public découvrant un leader militaire au béret rouge jusque là encore inconnu, qui a eu le courage de défier Perez. Un second coup d’état a été tenté le 26 et 27 novembre de la même année mais il échoue à son tour.

VI. Vers le 6 décembre 1998

Après que Perez ait finalement quitté le pouvoir en 1993 pour fraude fiscale, en 1994 est élu l’indépendant Rafael Caldera, grâce entre autre à la promesse qu’il a faite de libérer Chavez s’il arrivait au pouvoir (Chavez étant devenu très populaire auprès de la population grâce à sa tentative de putsch). La promesse est tenue et Chavez est libéré. Il fonde alors le parti Mouvement Cinquième République avec lequel il se présente aux élections de 1998 avec la promesse de changer la constitution et de rendre sa dignité au peuple.

Comme le montre la photo ci-dessus, le 6 décembre 1998, Chavez gagne les élections avec 56% des voix. Tout le peuple se repose désormais sur lui. Certains se posent encore la question : va-t-il vraiment changer les choses ou est-ce encore un beau parleur ? C’est ce que nous verrons dans l’épisode 3.

Si vous voulez aller plus loin…

  • …dans la compréhension de ce qui a poussé Chavez à agir, je vous conseille ce documentaire de 2010 dans lequel il revient notamment (mais pas que) sur les événements que nous avons évoqué dans l’article à travers un entretien avec un journaliste argentin: Hugo Chavez vraiment.

Source : Le Blog Mediapart, Filip, 14-07-2017

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