Service national universel : Pour quoi faire et avec qui ? Par le général (2s) Yann Pertuisel

Quelle cacophonie pour mettre en œuvre une promesse électorale d’un candidat à la présidence de la République devenu locataire de l’Elysée! Service militaire, service civique, service national universel, parcours de citoyenneté, facultatif, obligatoire, d’une durée de 1 mois, 3 mois, 6 mois et surtout quel contenu, pour quoi faire, avec quoi et avec qui ? Chacun y va de son annonce, avançant ses idées, sa vision des choses.

Pour le Président de la République, l’objectif est de donner « un temps dans la vie du citoyen qui permette de recréer ce creuset national », « partager l’expérience d’une communauté d’âge et pas de classe sociale, être ouvert à la chose militaire, faire aussi quelques tests sur le plan de la santé notamment, et permettre un engagement pour la nation ».

 

Même si au plus haut niveau de l’Etat on se veut rassurant quant à partager « équitablement » le poids et le coût de la mise en œuvre d’un tel projet, le risque est grand de voir les armées une fois de plus (de trop) très largement mises à contribution pour cela. Car dans beaucoup d’esprits le service militaire suspendu le 28 octobre 1997 par M. Chirac constituait bien ce « creuset national ». Combien de fois, d’ailleurs, n’entend-on pas : « Ah, mais pourquoi a-t-on supprimé le service militaire » ? Pour beaucoup, en effet, qui mieux que les militaires peuvent transmettre les valeurs de notre République ? Qui mieux que les militaires peuvent inculquer la discipline, le respect, le goût de l’effort et du travail, le sens de l’engagement et du sacrifice ? Il est vraiment plus qu’inquiétant de constater que ces perceptions sont  très courantes dans l’esprit de nos concitoyens, de nos élus et de nos responsables politiques. N’auraient-ils plus confiance dans la capacité des parents à élever leurs enfants, dans notre corps enseignant, dans notre système éducatif dans son ensemble ? On pourrait le croire… En tout cas, il y a une cinquantaine d’années ce sont bien mes instituteurs, mes professeurs et mes parents qui m’ont transmis ces valeurs.

 

Je pense qu’il est donc tout d’abord important ici de rappeler le rôle des armées, parfaitement souligné justement par son chef, le président de la République, dans la préface de la « Revue stratégique de défense et de sécurité nationale ».

 

Monsieur Macron y écrit page 6:
« Dans cet environnement stratégique incertain, et dans un contexte de forte tension opérationnelle pour nos armées, nous avons besoin d’un outil de défense agile, projetable et résilient. Sa mission primordiale demeurera d’assurer la protection des Français et de notre territoire, en métropole comme outre-mer. C’est la nature même du lien fondamental qui unit la République à ses armées. La menace du terrorisme djihadiste n’est pas la seule ; d’autres menaces s’affirment, des crises peuvent survenir à tout moment, auxquelles la modernisation et la consolidation des armées doivent répondre, en particulier par leur capacité à se projeter loin de nos frontières, partout où cela est nécessaire. Je souhaite également que leur rôle de prévention soit réaffirmé, dans le cadre d’une approche globale alliant sécurité, développement et diplomatie, au service de la paix.

Nos armées permettront également à la France de demeurer fidèle à ses engagements internationaux, afin que ses alliés puissent continuer de compter sur elle en toute circonstance, et de poursuivre ses partenariats stratégiques en Afrique, au MoyenOrient, en Asie-Pacifique ».

 

Le rôle des militaires n’est donc pas de pallier la faillite de tout un système éducatif, allant des parents jusqu’à l’école et l’université. La conscription à son époque avait un rôle de participation à la défense armée de la Nation[1], en complément de la dissuasion nucléaire, alors que les unités professionnelles ne constituaient qu’une faible part de notre outil de Défense. Plutôt que de compter une fois de plus sur ceux qui n’ont pas pour habitude de refuser les missions qui leur sont confiées, que nos politiques sachent enfin faire preuve de courage et de volonté en instaurant le retour des valeurs que les plus anciens d’entre nous ont connues lorsqu’ils usaient leurs fonds de culotte sur les bancs de l’école : le respect, la discipline, l’ordre ou encore le goût de l’effort et du travail ! Que les devoirs prévalent enfin sur les droits !

 

Alors que le mot réforme est sur toutes les lèvres, pour tout et parfois des sujets très secondaires, c’est bien sur l’éducation de notre jeunesse (je ne parle pas seulement d’enseignement) qu’il faut se pencher très sérieusement et prioritairement. Chacun s’accorde à dire à juste titre qu’elle est l’avenir de notre société et de notre pays. Cette cacophonie illustre malheureusement l’urgence dans laquelle nous sommes et le « bricolage » que nos politiques sont en train d’inventer avec beaucoup de difficultés. C’est à une remise à plat complète qu’il convient de s’attaquer, et non à la recherche de fausses bonnes idées dont on n’a même pas envisagé la faisabilité… Le « creuset » national ou républicain est avant tout l’école et deux de nos grands penseurs l’avaient déjà clairement exprimé. Jean-Jacques Rousseau ne disait-il pas que « former des citoyens n’est pas l’affaire d’un jour, et pour les avoir hommes, il faut les instruire enfants ». Quant à Condorcet  il affirmait qu’ « on ne naît pas citoyen, on le devient ». Selon ce dernier, « l’instruction vise au perfectionnement de l’humanité autant qu’à la perpétuation de la République, voilà pourquoi elle est une école d’humanité. Il est important de s’instruire pour être éclairé autant que pour être républicain ». Ce «temps dans la vie du citoyen qui permette de recréer ce creuset national » cher au président de la République doit donc être prioritairement celui du foyer familial  et de l’école!

Enfin, pour finir sur les véritables problèmes qui se posent aujourd’hui et surtout sur les remèdes qu’il faut y apporter,  je voudrais citer Mme Claire Mazeron[2] qui souligne que «les élèves intègrent très vite qu’il y a un gouffre entre ce qu’on leur enseigne, les droits et les devoirs, et la réalité du collège où ils n’ont que des droits».

 

N’oublions donc pas que le « métier » des militaires est celui des armes et non l’apprentissage de la vie en société et des devoirs du citoyen dans la République. Alors que le président de la République vient de décider d’un effort budgétaire plus qu’urgent pour les  armées, il serait vraiment incohérent de voir une partie des moyens de la Défense détournée de leur vocation rappelée par le chef des armées dans la «revue stratégique de défense et de sécurité » : la protection des Français et de notre territoire, en métropole comme outre-mer. L’ensemble des moyens des armées doit être exclusivement consacré à cette mission car comme le disait le général De Gaulle « La défense! C’est la première raison d’être de l’État ».

 

Général (2s) Yann PERTUISEL

 Site de rediffusion : www.asafrance.fr
[1] Lors d’un entretien en 1996, le président Chirac avait dit : « Le service militaire a été créé en 1905, comme vous le savez, à une époque où il fallait des poitrines à opposer à d’autres poitrines – si j’ose dire – face à un danger extérieur. Cette époque est complètement révolue. Nous n’avons plus besoin d’appelés, de gens faisant leur service militaire. »

[2] Autopsie du Mammouth, éd. Jean-Claude Gawsewitch, 2010

Source : www.asafrance.fr

via POLITIQUE – SERVICE NATIONAL UNIVERSEL : Pour quoi faire et avec qui ? LIBRE OPINION du général (2s) Yann PERTUISEL – LE BLANC ET LE NOIR

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