Le phénomène des « fake news » est-il lui-même « fake » ?

Qu’est-ce qu’une « fake news » ? En anglais, « fausse nouvelle » se dirait « false news » ; le mot « fake » signifie non pas faux, mais contrefaçon, imitation, imposture. Au sens propre, une fake news serait donc une imitation de nouvelle, quelque chose qui se présente comme une info, qui ressemble à une info mais n’en est pas une. Un publi-reportage non signalé en tant que tel, par exemple, ou un communiqué de presse émis par une firme de relations publiques pour valoriser son client sous couvert d’information seraient à proprement parler des contrefaçons, des fake news – même si l’expression est nouvelle et qu’auparavant, on aurait simplement parlé de propagande mensongère ou de publicité déguisée. Nous en avons effectivement à revendre dans les médias, mais ce n’est pas dans ce sens que l’expression « fake news » est utilisée.

Comme l’a révélé la journaliste Sharyl Attkisson dans un article traduit en français, le terme a été inventé par First Draft, une association américaine montée par un centre de recherches universitaire partisan d’Hillary Clinton (et financé par George Soros, la Fondation Ford et autres donateurs institutionnels) juste après la victoire de Donald Trump, pour dénoncer une soi-disant ingérence russe qui aurait fait pencher la balance en sa faveur (même si on voit mal le rapport entre interférences étrangères et contrefaçons de nouvelles – tout au plus aurait-on pu parler de propagande étrangère pour ou contre l’un ou l’autre des candidats). Il a toutes les allures d’un slogan de com’ : il n’a pas de réelle signification, il est court, percutant et plus marquant que « false news » (« fausse info ») ou « lie » (« mensonge », trop commun même s’il a été popularisé par Trump au cours de sa campagne, quand il traitait les médias pro-Hillary de « lyin’ », menteurs). En résumé, c’est un artefact publicitaire inventé par un bureau de communication dans un but de matraquage médiatique.

Qu’en est-il de sa définition telle que donnée par ses concepteurs, pour autant qu’on puisse en dégager une ? Ce seraient des « fausses informations destinées à influencer les électeurs au cours d’une campagne d’élections ». Ce qui s’appelle… une campagne électorale. Bien sûr, chacun des candidats cherche à influencer les électeurs à son avantage en mettant son programme en valeur, quitte à embellir la vérité, et dit pis que pendre de ceux de ses adversaires. Les candidats peuvent en outre bénéficier de plus ou moins de moyens selon le nombre et l’engagement de leurs soutiens médiatiques et, aux USA où les donations aux candidats sont libres ou du moins, où les législations qui les régulent sont faciles à contourner, selon la générosité de leurs donateurs, qui peuvent être des personnes/entités/États étrangers. Qu’y a-t-il de nouveau ?

A son lancement, le terme recouvrait aussi les « thèses complotistes », mais sans délimiter leur champ. Si nous parlons des enlèvements par des extra-terrestres ou des « chemtrails », il est difficile de comprendre en quoi quelques théories farfelues entretenues par une poignée d’individus « menacent la démocratie ». Si nous parlons d’informations vraies, d’hypothèses sensées ou d’enquêtes journalistiques justifiées mais dérangeantes, donc abusivement classées « conspi », il s’agit ni plus ni moins de censure.

Quid des mensonges des médias ? Rien de nouveau non plus : ils ont accompagné la presse dès ses débuts, au XIXème siècle – comme pour d’autres secteurs d’activités nés de la Révolution industrielle, après des débuts brouillons où chacun tentait d’occuper tout le terrain possible par des moyens de moins en moins honnêtes, les autorités ont dû finir par intervenir.

Les fausses nouvelles en particulier avaient proliféré à une vitesse folle.

Récemment, la BnF a réglé son compte avec brio au soi-disant « nouveau » phénomène des « fake news » en revenant sur cette période avec une lettre d’information de son site dédié à la presse, RetroNews, sur la naissance des fausses nouvelles inventées ou colportées par la presse de l’époque – et qui elles-mêmes, ajoutons-le, ne représentaient qu’une facette nouvelle des rumeurs de palier, commérages et autres types de sornettes échangés par les humains depuis le paléolithique.

En 1815, La Feuille du jour écrivait déjà :

 « Les fausses nouvelles sont aussi anciennes que nos vices et nos passions. De tout temps ce fut par ces armes imaginaires que les partis chancelants essayèrent de ranimer leurs espérances ; de tout temps elles ont été les délices de nations crédules et l’effroi des petits esprits. » […]
« Qu’entend-on souvent par fausse nouvelle ? Chaque parti appelle ainsi la nouvelle qui lui déplaît. »

Et la considération des gazetiers envers l’intelligence de leur public pouvait se résumer par ces quelques phrases de La Quotidienne en 1814 :

« Les peuples, comme les individus, ont un invincible penchant à croire tout ce qui pique leur curiosité […]

« Pour plaire au crédule vulgaire, et en même temps pour tenir les rênes d’un journal, il faut parler haut et ferme […]. Il y a bien quelques lecteurs auxquels ce genre dogmatique déplaît un peu ; mais il plaît au plus grand nombre, parce que le plus grand nombre n’a point d’opinion, a besoin de guide et d’appui, et ne jure que sur la parole du maître, c’est-à-dire du journal. »

Mais la fête allait être de courte durée : le 27 juillet 1849, confronté au développement rapide des titres de presse et des fausses nouvelles qui foisonnaient dans le contexte troublé de la IIème République constituée à la hâte en 1848, après l’abdication de Louis-Philippe, le législateur pose des limites aux libertés des publications de presse en promulguant la première loi sur les fausses nouvelles. Elle sanctionne « la publication ou la reproduction faite de mauvaise foi de nouvelles fausses de nature à troubler la paix ».

Déjà à l’époque, il était impossible de savoir si en réalité, la loi visait à contrôler les mensonges, à censurer les attaques des opposants politiques du gouvernement ou les deux à la fois, à savoir les mensonges contraires à l’intérêt du pouvoir en place (mais pas ceux qui le servaient). Voici comment le ministre de l’intérieur de l’époque du temps, Jules Dufaure, avait expliqué sa décision :

« Jusqu’à ce jour, nos lois n’avaient point prévu, par une disposition spéciale et précise, la publication ou reproduction de nouvelles fausses, de pièces fabriquées ou mensongères, lorsque cette publication ou cette reproduction est faite de mauvaise foi ou dans le but de troubler la paix publique.

Depuis quelques mois ces détestables expédients ont été trop souvent employés ; on a publié ou reproduit de prétendues dépêches télégraphiques, des lettres fausses ou renfermant des détails mensongers et calomnieux, cherchant ainsi à soulever la haine contre le gouvernement et à fomenter des séditions. »

Rien n’a changé. Internet ayant permis de retrouver une parole à peu près libre, à problème similaire, réponses idem : comme chacun l’avait bien compris, il s’agit d’abord et avant tout, encore cette fois, de contrôler la parole publique pour affermir le pouvoir en place.

On notera que la IIème république est tombée par coup d’État en 1851, deux courtes années après la promulgation de la loi sur les fausses nouvelles. Ce qui pose le problème de l’efficacité du contrôle de l’opposition politique par la censure ou l’intimidation. Peut-être vaudrait-il mieux chercher à rassembler que museler ?

Quoi qu’il en soit, au vu de ce qui précède, nous pouvons déclarer le soi-disant « nouveau » phénomène des dénommées « fake news » une contrefaçon de problématique, une polémique artificielle, autrement dit une « fake news ».

Retrouvez l’excellent article de Pierre Ancery pour la BnF sur RetroNews, et merci à l’Observatoire du journalisme d’avoir signalé cette pépite.

Corinne Autey-Roussel pour Entelekheia
Illustration : Les nouveaux journaux, caricature, 1815 – source Gallica BnF

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