Gilets jaunes et manipulations étatiques de la violence : une vieille histoire

Par Régis de Castelnau
Paru sur Vu du Droit


L’époque est à la dénonciation du « complotisme » concept élastique et désormais complètement galvaudé. Aidé par quelques supplétifs zélés comme le démontre la nouvelle « étude » réalisée par la socialiste « Fondation Jean-Jaurès », et par les éditocrates habituels, le bloc élitaire au pouvoir en fait deux usages. Tout d’abord disqualifier toute critique de la politique visant à adapter la France à la mondialisation financière et néolibérale, ensuite justifier toutes les atteintes à la liberté d’expression, celles déjà mises en place et celles projetées. Gare à celui qui prête des intentions et des actions au pouvoir, l’anathème tombera sur lui telle la foudre : « complotiste ! ». Depuis le début du mouvement « gilets jaunes » tous les observateurs honnêtes ont été amenés à se poser de beaucoup de questions concernant le comportement des forces de l’ordre dans les manifestations. Certains ont été jusqu’à accuser le ministère de l’intérieur de laisser faire les casseurs dans le but évident de disqualifier le mouvement et de faire peur. Malgré certaines évidences que la multiplication des vidéos a pu établir, ils ont immédiatement été foudroyés, hérétiques et relaps, par l’accusation majeure : « complotistes ! Comment pouvez-vous imaginer que le pouvoir puisse user de ce genre de comportement contre un mouvement social ? »

Eh bien justement il peut. Et c’est de cela que je peux témoigner.

23 mars 1979, la grande provocation

J’ai constaté la présence dans les manifestations de policiers (?) sans uniforme, habillés comme des Black blocks, et munis de marteaux sur l’usage desquels on pouvait légitimement s’interroger. Lorsque l’on sait que sous le régime d’Emmanuel Macron n’importe qui peut s’affubler d’un brassard et tabasser des manifestants, sans que la justice ne s’en émeuve beaucoup. J’ai lu force témoignages parlant de la passivité de la police au moment des déprédations et des pillages. J’ai vu que le profil des personnes arrêtées en masse et condamnées lourdement pour des infractions fantaisistes, démontrait qu’il ne s’agissait absolument pas des casseurs habituels qu’en général la police connaît. Alors, j’ai fini par me dire « tiens cela me rappelle quelque chose ».

C’était il y a longtemps, 40 ans précisément au moment des grandes luttes ouvrières qui sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, s’opposaient au démantèlement commencé de la sidérurgie française. La Lorraine et notamment la ville de longwy vivaient une situation de mobilisation populaire intense bénéficiant d’un large soutien dans l’opinion publique. Pour la première fois le monopole d’État de radiodiffusion était battu en brèche par la création de la toute première et illégale « radio libre » nommée : «Lorraine Cœur d’Acier». Les organisations syndicales décidèrent d’organiser une grande manifestation à Paris le 23 mars 1979. Celle-ci aurait dû être un grand succès, mais elle fut complètement dévoyée par des violences considérables dont furent accusés les membres d’un groupuscule anarchisant appelé « les autonomes ». Naturellement, les médias ne s’intéressèrent qu’aux violences, pillages et déprédations. Et le pouvoir giscardien par l’intermédiaire du ministre de l’intérieur Christian Bonnet ne se gêna pas pour enfoncer le clou afin de disqualifier le mouvement des sidérurgistes. Sollicité pour défendre des personnes arrêtées à cette occasion, ce fut une totale surprise de constater que parmi elles ne figurait aucun des fameux autonomes que l’on avait pu voir sur les photos de presse. Étaient poursuivis des manifestants paisibles, parfois de simples passants, sur la base de dossiers manifestement fabriqués, ou sur des incriminations fantaisistes, mais en aucun cas des casseurs. Ce qui n’empêcha pas une justice zélée de distribuer des peines considérables qui furent confirmées en appel. Malgré la mobilisation d’un barreau de gauche ou les avocats socialistes avaient encore le souci des libertés publiques. Un autre épisode exactement de même nature eut lieu cette fois-ci à longwy avec la prise d’assaut et la fermeture par la police de la radio libre, provoquant ainsi une manifestation de protestation. Celle-ci fut brutalement réprimée et quelques participants arrêtés. Pour être poursuivis sur la base de dossiers, j’en témoigne, là aussi rigoureusement vides. Les médias, quoique très différents de ceux d’aujourd’hui, en profitèrent à nouveau pour prétendre à la disqualification du mouvement des sidérurgistes.

Quand la CGT enquête

La CGT, prise par surprise par ce dévoiement et saisie de nombreux témoignages entreprit alors un minutieux travail d’enquête à base d’investigations de recueil de photographies et de témoignages qui faisaient apparaître de façon criante les manipulations de la police et la volonté gouvernementale de cette provocation. Le service d’ordre de la CGT procéda d’ailleurs au moment de la manifestation, lui-même à l’interpellation de deux soi-disant « autonomes » pour constater qu’il s’agissait de policiers déguisés. Utilisant ce travail et le complétant avec celui que nous avions nous-mêmes effectués dans la défense des personnes poursuivies, Daniel Voguet, François Salvaing et moi-même avons publié un livre à ce moment-là intitulé : « La Provocation » qui relatait la façon dont les choses s’étaient déroulées. C’était il y a 40 ans, l’ouvrage a un peu vieilli ainsi que ses auteurs mais d’une certaine façon il reste de d’actualité car il témoigne comment un pouvoir politique confronté à un mouvement social populaire n’a aucun problème pour utiliser manipulations et provocations policières dans le but de le disqualifier. À cela s’ajoute la complaisance de la justice pour jouer sa partition dans l’opération. Si celle-ci fut déjà fort zélée à l’époque, ce qui vient de se produire avec l’incroyable répression de masse des gilets jaunes montre qu’on pouvait faire pire. Je me suis replongé dans la lecture de ce que j’avais écrit il y a 40 ans, ce qui m’a confronté à des bouffées de nostalgie mais aussi à des rappels qui trouvent quand même un drôle d’écho aujourd’hui. Volonté du pouvoir de l’époque d’affaiblir, isoler, et disqualifier la lutte des sidérurgistes, s’attaquer de front à des libertés fondamentales et d’abord au droit de manifestation. Les députés de la majorité refusèrent une commission d’enquête parlementaire, la presse de prendre en compte les preuves fournies par la CGT, et les magistrats acceptèrent de compléter le spectacle policier par un spectacle judiciaire tout aussi dévoyé. À la lumière de ce parallèle avec aujourd’hui, je peux rassurer ceux qui pensent que les gens du pouvoir Macronien n’auraient aucun scrupule à utiliser ce genre de méthodes : ils ne sont pas complotistes ! Pas plus que je ne l’étais il y 40 ans en faisant la démonstration de l’implication du pouvoir étatique de l’époque.

Être réaliste, pas complotiste

J’ajoute pour conclure que dans l’histoire du mouvement ouvrier et social, les provocations policières et judiciaires ont toujours été là. On rappellera que la date du 1er mai fête internationale des travailleurs, a été choisie à cause de ce qui s’est passé le 1er mai 1886 à Chicago. Une grève générale fut lancée pour obtenir la journée de huit heures. Dans une des manifestations qui se déroulaient une bombe sera jetée dans la foule. Sans la moindre preuve quatre dirigeants syndicaux seront condamnés à mort et pendus le 11 novembre 1887. Ils montèrent à l’échafaud en chantant la Marseillaise. En 1893, la révision du procès reconnaîtra l’innocence des inculpés ainsi que la machination policière et judiciaire destinée à briser le mouvement.

Emmanuel Macron et Christophe Castaner n’en sont pas encore là, heureusement. Mais penser, devant certains événements évidents ou troublants, que la brutale répression qu’ils ont décidée contre le mouvement des gilets jaunes peut faire l’objet de dévoiements et de manipulations, c’est être réaliste, pas complotiste.

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