En 2011, la Turquie a organisé comme on le lui demandait la migration de 3 millions de Syriens afin d’affaiblir le pays. Par la suite, elle a soutenu les Frères musulmans et leurs groupes jihadistes, y compris Daesh. Elle a pillé au passage les machines-outils d’Alep et installé des usines de contrefaçon dans l’Émirat islamique.
Enivrée par ses victoires en Libye et en Syrie, la Turquie est devenue la Protectrice de la Confrérie des Frères musulmans, s’est rapprochée de l’Iran et a défié l’Arabie saoudite. Elle a déployé des bases militaires tout autour du Royaume wahhabite au Qatar, au Koweït et au Soudan, puis a engagé des cabinets occidentaux de relations publique et détruit l’image du prince Mohamed Ben Salmane, notamment avec l’affaire Kashoggi [1]. Progressivement, elle a envisagé d’étendre sa puissance et ambitionné de devenir le XIVème empire monghol. Interprétant à tort cette évolution comme étant le fait du seul Recep Tayyip Erdoğan, la CIA tenta plusieurs fois de l’assassiner jusqu’à provoquer le coup d’État manqué de juillet 2016. Il s’ensuivit trois années d’incertitudes qui se terminèrent en juillet 2019 lorsque le président Erdoğan décida de privilégier le nationalisme sur l’islamisme [2]. Aujourd’hui, la Turquie, quoique toujours membre de l’Otan, transporte du gaz russe dans l’Union européenne et achète des S-400 à Moscou [3]. Elle veille sur ses minorités, y compris kurde, et n’exige plus d’être musulman sunnite, mais uniquement loyal à sa Patrie.
Durant l’été, le président Donald Trump a fait savoir son intention de retirer ses troupes de toute la Syrie, à commencer par le Rojava (déjà formulée le 17 décembre 2018), à la condition expresse de couper la ligne de communication entre l’Iran et le Liban (ce qui est nouveau). La Turquie a souscrit à cet engagement en échange d’une occupation militaire de la bande frontalière syrienne depuis laquelle l’artillerie terroriste pouvait la bombarder.
La Russie a fait savoir qu’elle ne soutenait pas les criminels contre l’humanité du YPG et accepterait une intervention turque si la population chrétienne était autorisée à retourner sur sa terre. Ce à quoi la Turquie s’est engagée.
La Syrie a fait savoir qu’elle ne repousserait pas dans l’immédiat d’invasion turque si elle pouvait libérer un territoire équivalent dans le gouvernorat d’idleb. Ce que la Turquie a accepté.
L’Iran a fait savoir que, même si elle réprouve une intervention turque, elle n’intervient qu’au profit des chiites et n’est pas intéressée par le sort du Rojava. Ce que la Turquie a enregistré.
- Le principe de la fin du Rojava a été acté lors des sommets Etats-Unis/Russie qui se sont tenus à Tel-Aviv et à Genève en juin et août 2019.
Plusieurs sommets internationaux ont été organisés pour examiner les conséquences de ces positions et déterminer des points subalternes (par exemple, le pétrole de la bande frontalière syrienne ne sera pas exploité par l’armée turque, mais par une société états-unienne). Les premiers sommets ont réuni les conseillers de sécurité états-unien et russe. Les seconds, les chefs d’État russe, turc et iranien.
Le 22 juillet 2019, la Turquie annonce la suspension de son accord migratoire avec l’Union européenne [4].
Le 3 août, le président Erdoğan nomme de nouveaux officiers supérieurs, dont des kurdes, et ordonne la préparation de l’invasion du Rojava [5].
Il ordonne également à l’armée turque de se retirer devant l’armée arabe syrienne dans le gouvernorat d’Idleb, de sorte qu’elle puisse libérer un territoire équivalent à celui qui allait être envahi à l’Est.
Le 23 août, le Pentagone ordonne le démantèlement des fortifications du YPG de manière à ce que l’armée turque puisse mener une offensive éclair [6].
Le 31 août, en soutien à l’armée arabe syrienne, le Pentagone bombarde une réunion de dirigeants d’Al-Qaïda à Idleb, grâce à des renseignement turcs [7].
Le 18 septembre, le président Trump change de conseiller de Sécurité et nomme Robert O’Brien. Cet homme discret connaît bien le président Erdoğan avec qui il a réglé les conséquences du coup d’État manqué de juillet 2016 [8].
Le 1er octobre, le président Erdoğan annonce l’imminente relocation de 2 millions de réfugiés syriens sur le territoire du Rojava [9].
Le 5 octobre, les États-Unis demandent aux membres de la Coalition internationale de récupérer leurs ressortissants jihadistes prisonniers au Rojava. Le Royaume-Uni demande leur transfert en Iraq, tandis que la France et l’Allemagne refusent [10].
Le 6 octobre, les États-Unis déclarent ne plus être responsables des jihadistes prisonniers au Rojava qui va passer sous responsabilité turque.
Le 7 octobre, les Forces spéciales US amorcent leur retrait du Rojava.
Le 9 octobre, l’armée turque —notamment commandée par des officiers kurdes— et des miliciens turkmènes ayant récupéré le drapeau de l’Armée syrienne libre envahissent la bande de territoire syrienne de 32 kilomètres de profondeur occupée par le YPG.
L’opération « Source de paix » est parfaitement légale en droit international si elle se limite à la bande frontalière de 32 kilomètres et si elle ne donne pas lieu à une occupation turque indéfinie [11]. C’est pourquoi, l’armée turque a recours à des milices turkmènes syriennes pour pourchasser le YPG dans le reste du Rojava.
- Réunion de coordination de l’opération Source de paix, dans le bunker de commandement du palais blanc, à Ankara.
La presse internationale, qui n’a pas suivi les évènement sur le terrain et s’est contentée des déclarations officielles contradictoires de ces derniers mois, est stupéfaite. Tous les États à l’unisson dénoncent l’opération turque, y compris les États-Unis, la Russie, Israël, l’Iran et la Syrie, bien qu’ils l’aient tous négociée et validée. Ceux qui menacent la Turquie doivent réfléchir à la possible migration de leurs ressortissants jihadistes aguerris d’Idleb.
Le Conseil de sécurité se réunit en urgence à la demande du président Macron et de la chancelière Merkel. Pour éviter de montrer que personne ne s’oppose véritablement à l’intervention turque, pas même la France, la séance se déroule à huis clos et ne fait pas l’objet d’une déclaration du président du Conseil.
Il est peu probable que la Syrie, exsangue, puisse récupérer dans l’immédiat cette bande de territoire, alors que l’Iraq n’a pas réussi à libérer Baachiqa (110 km de profondeur) et que l’Union européenne elle-même n’a pas réussi à libérer le tiers de Chypre, occupé depuis 1974.
- Le 11 octobre, Jens Stoltenberg vient apporter à la Turquie la bénédiction de l’Otan.
Malgré les demandes de la France et de l’Allemagne, le Conseil atlantique ne se réunit pas. Le 11 octobre, le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, vient à Ankara s’assurer que l’opération fonctionne. Il célèbre la grandeur de la Turquie, cloue ainsi le bec des Allemands et des Français [12].
Le 13 octobre, en pleine débâcle, la direction du YPG est modifiée. Sur les conseils russes, les dirigeants kurdes, qui sont en négociation depuis toujours avec la République arabe syrienne, viennent lui faire allégeance sur la base russe d’Hmeimim [13]. Cependant certains membres de la direction du YPG contestent le renoncement au Rojava.
Le 14 octobre, le président Donald Trump prend des sanctions contre la Turquie. Elles sont purement symboliques et permettent à Ankara de poursuivre son attaque sans prendre garde aux critiques [14].
Le président Donald Trump a ainsi réussi à mettre fin à la question du Rojava. L’armée russe a investi les bases US, abandonnées par les GI’s, manifestant la place que Moscou occupe désormais dans la région en remplacement de Washington. La Syrie, tout en dénonçant l’intervention turque a libéré un quart de son territoire. La Turquie règle la question du terrorisme kurde et envisage de régler celle des réfugiés syriens. La tentation sera grande pour elle de ne pas s’arrêter là.