Sarcelles (95) : « Quel délit de faciès ? Il n’y a pas de Blancs ici, à part les flics, les profs et les pompiers »

Aujourd’hui, les vols avec violence sont devenus la priorité – arrachages de sac et de portable surtout. Sarcelles détient le record du Val-d’Oise, plus de mille par an. Un service spécifique a été crée en 2015, au sein du groupe de la repression des violences aux personnes. Déjà passée de huit fonctionnaires à trois, la brigade des mineurs y avait été dissoute dans le cadre d’une réforme nationale. « Notre spécificité a disparu, on l’a très mal pris », estime Nadège, brigadier-chef. « Une enquête de viol, c’est long, sans intérêt statistique. Maintenant, on appelle parfois les victimes trois ans après les faits. » Un arrachage, en revanche, « ça se résout tout de suite, du résultat facile, ça brille », explique une autre. Le nouveau service décroche les meilleurs résultats du département – « A la préfecture, la directrice connaît nos noms. »

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Ici comme ailleurs, la drogue a tout bouffé, tout étouffé, tout acheté, y compris la paix sociale. Les « violences urbaines » ont sacrément chuté, le business aime le calme. Maintenant, les bagarres ont surtout lieu à la poste, le jour du versement des allocations. N’empêche. […] « Mains contre le mur », dit Ludo, dans le hall. « Tu me contrôles parce que je suis noir ? Délit de faciès », dit un petit nerveux. Il a tutoyé les flics, tout de suite. […] Dans la voiture, un des équipiers rouspète. « Ils se sentent protégés de nous. Les associations n’arrêtent pas de monter au créneau, les médias suivent. » A l’avant, le second relance. « Toujours devoir se justifier. Eux, ils ont juste à dire qu’on a tort pour être crus. Quel délit de faciès ? Il n’y a pas de Blancs ici, à part les flics, les profs et les pompiers. » Il parle de son métier, qu’il n’ose plus évoquer en famille. De sa cousine, professeure en milieu rural. « Elle ne voit pas ce qu’on vit. Pour elle je suis le diable, limite une carte FN collée sur la tronche. » En intervention dans les quartiers, Ahmed, de police-secours, se fait régulièrement traiter de « vendu ». Il n’aurait peut-être pas choisi ce métier quand il était môme, dans les années 1980. A ses débuts à Tourcoing, dans le Nord, voila quinze ans, dit-il, il y avait encore des « commentaires ». Il complète : « de mes propres collègues ». […]

Garges-lès-Gonesse est à l’autre bout du district : un commissariat imposant, construit en forme de revolver. Sous les plafonds majestueux, les mots résonnent comme dans une cathédrale déserte : ils ne sont plus qu’une quinzaine depuis le rattachement à Sarcelles. La chaudière vient d’éclater. Elle ne sera pas changée : trop cher. Des radiateurs ont été apportés, certains de chez soi. Ici, on traite surtout les stupéfiants et la délinquance financière. « On nous demande de prioriser les fraudes contre la Caisse d’allocations familiales et la Sécurité sociale, dit une fonctionnaire. Il n’y en a pas tant que ça – de la survie, surtout. »

Parfois, quelqu’un appelle pour s’inquiéter d’un autre dossier. Presque invariablement, il s’entend répondre : « Ecrivez au parquet. » Il arrive que le parquet envoie à son tour un papier bleu : où en est l’enquête ? Alors, un fonctionnaire descend à la cave. Il traverse un fouillis de plantes en plastique, rescapées d’une visite officielle, et de vélos datant de l’époque où devaient se lancer des brigades à deux-roues. Et là, tout au fond de ce cimetière des ambitions brisées, le fonctionnaire ouvre un placard. 1 846 dossiers sont alignés : escroquerie, abus de confiance, paiement frauduleux… Le fonctionnaire pose le papier bleu sur l’affaire qui lui correspond. Au hasard : l’arnaque d’un joli moustachu de Sarcelles contre une infirmière de Rodez, rencontrée sur Meetic, 2 850 euros en 2013. Puis le fonctionnaire remonte. Il faudrait dix plein-temps pendant six mois pour les écluser. « Alors on attend que les procédures meurent toutes seules. » […]

Entre 2012 et 2014, quatre suicides ont frappé les équipes de Sarcelles.

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