Chaos au Stade de France: « Je n’ai jamais eu aussi peur », le témoignage horrifié du combattant UFC Paddy Pimblett
Paddy, vous nous avez dit n’avoir « jamais eu aussi peur pour (votre vie) » que ce samedi soir alors que vous gagnez votre vie en combattant dans une cage. Racontez-nous ce qui vous est arrivé au Stade de France.
Au moins, dans une cage, c’est du un-contre-un… Quand on est sorti du stade, il y avait des groupes de trente personnes qui couraient partout. Des grandes meutes. Certains d’entre eux avaient des armes, des machettes, des couteaux, des barres de fer, des battes… Il fallait juste essayer de s’enfuir de cet endroit. Les gens étaient mis au sol, on leur volait leur montre et leurs affaires. Certains se sont fait arracher leur sac. Ils les agrippaient, les attiraient vers eux et coupaient la lanière pour arracher le sac et courir. Avant le match, j’ai aussi vu des gens se faire arracher des tickets, des choses comme ça. Mais c’était vraiment après le match, à la sortie du stade, que c’était le pire. Entrer dans le stade était déjà compliqué. La police lançait du gaz lacrymogène sur tout le monde. Dans les petites sections que nous devions traverser pour arriver au stade, ils ont coincé et écrasé des milliers de personnes entre certains intervalles. Et quand on a demandé à des policiers ce qui se passait, ils nous ont rigolé au nez. Comme je l’ai dit, je n’ai jamais eu aussi peur pour ma sécurité et celle des personnes autour de moi que quand je suis sorti de ce stade samedi soir.
Comment avez-vous réussi à éviter les agressions à la sortie du stade?
J’étais avec mon oncle et des amis. L’un d’eux avait 50 ans, les autres 19 et 23. On a décidé de rester collés les uns aux autres pour se protéger. Un groupe d’Irlandais m’a ensuite reconnu et m’a lancé: ‘Qu’est-ce qui se passe Paddy? Tout va bien?’ Ils étaient six donc ils ont commencé à marcher avec nous. Nous étions chanceux d’être une douzaine car ces bandes, et je ne sais pas s’ils étaient des locaux mais c’était bien des gens qui vivaient autour de Saint-Denis, ces bandes nous regardaient et quand ils voyaient combien on était, ils ne venaient pas nous embêter. Ils passaient juste devant nous en courant et en criant ‘Hala Madrid!’ Ça n’avait aucun sens car ils étaient français ! On a continué à marcher et un vieil homme et ses deux amis sont venus vers nous et nous ont demandé s’ils pouvaient nous accompagner. Quand je lui ai demandé s’il allait bien, il m’a répondu: ‘Pas vraiment’. Je lui ai demandé pourquoi et il m’a dit: ‘On m’a projeté au sol, un de ces chiens est venu me mettre la misère et je l’ai regardé arracher mon sac et me vider les poches’. A un moment, il y a un pont. On monte, on traverse un pont et on redescend. Quand vous traversiez ce pont, si vous étiez sur l’extérieur, des gens vous attrapaient depuis en-dessous pour vous tirer vers le bas puis vous mettre des coups et vider vos poches!
Quelle est la pire chose que vous avez pu observer samedi soir ?
Il y avait des gens qui couraient partout avec des machettes ! Je le répète depuis quelques jours: la seule chose à laquelle je peux comparer ça, c’est le film American Nightmare. Vous avez vu ce film? Celui où on a le droit de tout faire pendant douze heures? Ça ressemblait à ça. C’était mon impression. Il n’y avait plus de lois, vous pouviez faire ce que vous vouliez.
Avez-vous vu des policiers sur la route entre le stade et la station de métro?
Pour être honnête, non, je n’en ai pas vu beaucoup. La première fois que j’ai vu la police, c’était à côté des bus pour les fans de Liverpool, qui étaient situés à vingt minutes de marche. C’était dingue car il y avait un groupe d’une cinquantaine d’hommes autour d’un bus qui tentait de partir mais ils ne le laissaient pas faire. Des fans sont allés devant le bus pour tenter de les écarter mais il ne pouvait pas partir. La vitre de la porte du bus avait été cassée et le conducteur ne savait pas quoi faire car ils les auraient écrasés s’il avait avancé et il ne voulait bien sûr pas faire ça. Ces gens restaient devant le bus et je pense qu’ils voulaient que les personnes dedans sortent pour les agresser et leur voler des choses. Et quand la police est arrivée, au lieu de venir vers l’endroit où ça se passait pour faire arrêter tout ça, ils ont continué leur chemin le long de la route en passant à côté comme si de rien n’était.
Dans votre esprit, ce que dit notre ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, sur la responsabilité des fans de Liverpool ne sont que des mensonges?
Que des mensonges! Un mensonge total et énorme. Cet homme devrait démissionner de son poste car il est dégoûtant et méprisable. C’est tellement facile d’utiliser les fans de Liverpool comme boucs émissaires… Quand je suis arrivé avec mon ticket, que j’avais eu directement du club de Liverpool, le stadier a tenté de me dire que mon ticket était faux! Il a utilisé le stylet pour le scanner et m’a dit que c’était un faux. J’ai réagi en lui disant que c’était n’importe quoi car je l’avais obtenu par le club. Il m’a répondu ‘Oh, oui, ok…’ et il me l’a redonné. Je pense que c’est arrivé à plusieurs autres personnes: ils ont eu peur, n’ont pas réagi, le stadier a gardé leur ticket et un autre l’a revendu à quelqu’un.
« Une lame de rasoir coincée entre les doigts »
Vous nous affirmez que des stadiers ont volé des tickets de certains fans de Liverpool?
Oui. Ils ont pris les tickets de gens en leur disant qu’ils étaient faux alors que ce n’était pas le cas. Je crois que c’est ce qui est arrivé à Andy Robertson et son ami à qui il avait donné un ticket. Je n’avais connu quelque chose comme ça. Et ensuite, sur Twitter, j’ai vu une vidéo d’un gars qui passe sous la barrière pour rentrer puis embrasse une femme sur la joue et fait rentrer son pote de la même façon. Je ne comprends pas le français donc je ne sais pas ce qu’ils disaient… (on lui précise que le deuxième homme était la star de la télévision Cyril Hanouna, ndlr) Et il rentre dans un stade comme ça? Wow… Si ça s’était passé comme ça autour d’Anfield, les fans de Liverpool seraient vus comme les pires de la planète, on serait condamnés de tous les coins du monde. Et là, on nous blâme alors que ce n’était pas notre faute…
On doit vous demander de confirmer: vous donc vu des stadiers « voler » des vrais billets à des fans de Liverpool et ne pas les rendre à leurs propriétaires?
Ils ne les rendaient pas, comme c’est arrivé à l’ami d’Andy Robertson qui n’a pas pu rentrer dans le stade. D’autres gens racontent qu’il leur est arrivé la même chose. Il y a aussi eu le métro… Une de mes bonnes connaissances, qui était avec son fils de quatorze ans, était dans la station de métro et un homme est venu devant lui et s’est mis à mal lui parler. Il l’a repoussé mais le gars a tenté de lui mettre une claque. Il a réussi à l’éviter en se reculant mais quand la main est passée devant lui, il a remarqué que le type avait une lame de rasoir coincée entre les doigts ! Elle a raté son visage de quelques centimètres seulement.
En France, certains utilisent les événements avec les supporters anglais lors de la finale du dernier Euro à Wembley pour comparer avec samedi soir et dire qu’il fallait s’y attendre avec les fans de Liverpool. Avez-vous un message pour ceux qui relaient cette idée au sujet de la différence entre Liverpool et l’Angleterre?
C’est complétement différent. Je connaissais des gens qui étaient à cette finale et qui m’ont dit que c’était dingue. Mais les Scousers ne supportent pas vraiment l’Angleterre. Ils n’ont rien à voir avec nous. On ne va pas voir l’Angleterre, en tout cas moi je ne le fais pas. Je voulais même que l’Italie remporte ce match. Mais ce samedi soir, c’était encore autre chose. C’était une mauvaise organisation de la police, qui ne savait pas ce qu’elle faisait et qui manquait de policiers sur place. Globalement, l’organisation était terrible. Je n’arrive toujours pas à croire le nombre de gens qu’on a laissés passer et qui couraient partout alors qu’ils n’étaient fans ni du Real ni de Liverpool.
Reviendrez-vous au Stade de France si Liverpool y rejoue dans le futur?
Non. Je ne retournerai jamais plus dans ce stade. Jamais. Je me dis même que je n’irai pas à Paris avec ma compagne. Ils disent que c’est une ville romantique mais après ça, après ce que j’ai vécu, je n’y viendrai pas avec elle. Ou alors juste un ou deux jours en restant au centre de la ville, juste le temps d’aller voir la Tour Eiffel et le Louvre. Quand j’ai dit à ma compagne que j’allais à Paris, elle était énervée que j’y aille sans elle. Mais quand je suis revenu, je lui ai dit: ‘Tu es chanceuse de ne pas être venue car c’était effrayant’.
Le gouvernement français évoque également la crainte des hooligans anglais en approche du match. Comment réagissez-vous à ça quand on connaît l’histoire de Liverpool et la façon dont ses fans sont marqués à vie par le drame de Hillsborough?
Ils ne connaissent pas tout ça. C’est dingue car les gens regardent des vieux films et ils se disent que le hooliganisme est toujours un truc dans le football actuel alors que ce n’est pas le cas. Plus personne ne se rend à un match de foot pour se battre. Ça n’arrive plus, à part peut-être dans des petites ligues. Si vous vous faites arrêter en train de vous battre dans le cadre d’un match de football, désormais, vous prenez une sentence de cinq ans. Ce n’est pas juste une simple bagarre car c’est associé au football, et je ne vois plus jamais ces choses arriver en Grande-Bretagne. Quand je vais à Anfield ou ailleurs, je ne vois jamais ça. Et les déclarations que j’ai vues ces derniers jours dans la bouche de politiciens français sont juste dégueulasses. Ils n’étaient pas là ! C’est la même chose avec les stupidités qu’on a pu voir sur Twitter ces derniers jours. J’ai répondu à beaucoup de gens car j’étais là, je sais ce qui s’est passé, j’étais coincé dans cette mêlée et dans ces scènes d’horreur, contrairement à eux. Je me fiche de ce que quiconque peut dire, de ce politicien sur scène qui ne dit que de la merde… C’est ce que ces gens font. Ils mentent.
Le gouvernement s’en tient à la ligne du premier tweet de Gérald Darmanin, publié samedi soir, malgré les nombreuses vidéos qui racontent autre chose depuis…
Cela montre que ces gens couvrent des choses. Je pensais qu’on avait dépassé ça. Je pensais que depuis les années 2000, avec la meilleure technologie à notre disposition, le gouvernement ne pourrait plus couvrir des choses comme ça. Mais ils le font, malgré toutes les preuves qui sont sorties, les vidéos, etc. Certains disent aussi que seuls les fans de Liverpool ont eu des problèmes. C’est faux. J’ai vu beaucoup de threads sur Twitter de fans du Real qui racontaient que leur voiture avait été volée, qu’ils avaient été attaqués en dehors du stade. Tout ça me rend dingue. Je réfléchis à faire un podcast sur cette finale, à inviter des gens qui ont connu des moments difficiles là-bas pour qu’ils le racontent.
« J’avais peur qu’on me coupe la main »
Tout s’était bien passé pour les fans des Reds à Kiev et Madrid pour les deux dernières finales de Ligue des champions de Liverpool. Quelle est la différence avec ce qui est arrivé samedi soir?
Je n’étais pas à Kiev, car j’étais au Mexique à ce moment-là mais j’étais à Madrid, dans la fan zone, au stade. Cette fois, à Paris, la fan zone n’était pas trop mal, même si ça m’avait pris un temps fou pour y arriver car la police ne me laissait pas passer par certaines voies. Mais quand vous arriviez au stade, c’était juste du chaos. C’était comme si personne ne savait ce qu’il faisait.
Avez-vous eu des problèmes à l’intérieur du métro après le match?
Je n’ai pas réussi à avoir le métro. Et je suis si heureux de ne pas l’avoir eu… Tous ceux qui l’ont pris à qui j’ai parlé m’ont dit qu’il y avait plein de pickpockets, qu’on leur volait leur téléphone et des choses comme ça, que des gens se faisaient attaquer ou qu’on leur sortait un couteau. Je suis vraiment heureux d’avoir évité ça. Notre idée était de partir au plus vite. On ne pouvait pas trouver de taxi donc on a marché pendant une heure. Quand on s’est retourné, on voyait toujours le stade, c’était fou, mais on a marché aussi loin que possible du stade pour pouvoir trouver un taxi. Je pense que je n’ai pas fini dans un taxi avant 1h30 du matin. Et avant, on regardait partout en marchant, à droite, à gauche. J’avais mes montres sur moi et j’ai remonté mes manches pour ne pas qu’elles soient visibles car j’avais peur qu’on me coupe la main pour ça.
Vous avez assisté à beaucoup de matches de Liverpool à domicile comme à l’extérieur. Cette finale est-elle votre pire expérience de supporter et de loin?
De très loin. Je ne peux comparer ça à aucun match auquel j’ai assisté dans ma vie. Je n’avais jamais vécu quelque chose comme ça. Même à Benfica, où on n’avait pas pu rentrer dans le stade avant un quart d’heure après le coup d’envoi et où la police n’était pas très accueillante, ce n’était vraiment pas comme ça. A la sortie du stade à Benfica, ils nous ont baladé comme un troupeau de moutons mais c’est toujours mieux que de se faire attaquer par un nombre important de gens.
De ce que vous avez vu, est-il possible qu’il y ait eu 20 à 30.000 fans avec des faux billets ou sans billets comme l’affirme le gouvernement français?
C’est absolument impossible. Je n’arrive même pas à comprendre comment quelqu’un pourrait faire fabriquer 40.000 faux billets en trois semaines ! Qui fabrique ces faux tickets? Quelqu’un arrive et dit juste ‘c’est bon, j’ai des tickets’? Ça ne marche pas comme ça. Il faut les faire fabriquer, puis les vendre. Même si vous passez par les réseaux sociaux, vous n’allez pas vendre 40.000 tickets! Il faudrait avoir un vrai site internet pour les vendre mais c’est illégal de faire ça. C’est juste… Un faux ticket est illégal mais c’est pareil que ce que font les politiciens tous les jours. De l’illégalité. Ils mentent, ils trichent, ils volent le peuple… Mais tout va bien. (Sourire.)
Notre ministre des sports a notamment affirmé qu’un des problèmes était d’avoir connu les deux finalistes seulement début mai. Une réaction?
Tout ça n’a rien à voir avec ce qui s’est passé. Rien. C’est votre organisation qui a merdé. Et la France doit accueillir la Coupe du monde de rugby l’an prochain et les JO en 2024? Pfff… Ils ne peuvent pas faire face à ça. Ou au moins, n’organisez aucun match dans ce stade! (…) Je n’arrivais à croire ce que je voyais quand je suis arrivé. Je ne m’attendais pas à ce que cet endroit ressemble à ça.
Thierry Henry, le légendaire attaquant français, avait évoqué cette différence dans une vidéo redevenue virale depuis les incidents de samedi…
Oh oui. J’ai vu cette vidéo où il dit que ce n’est pas Paris et que vous ne voulez pas être à Saint-Denis. Henry avait raison ! Vous ne voulez pas y être. Honnêtement, je n’arrive même pas à trouver un bon point de comparaison. Je ne sais pas à quoi comparer ça. Quand je suis sorti du stade samedi, c’était comme si une guerre venait d’éclater. Il n’y avait plus de lois. C’était comme ça.