Michela Wrong – Rwanda, assassins sans frontières – enquête sur le régime

Les éditions Max Milo viennent d’éditer RWANDA, ASSASSINS SANS FRONTIERES – ENQUETE SUR LE REGIME KAGAME  signé Michela Wrong journaliste anglaise, qui écrit sur l’Afrique depuis trente ans. Elle a travaillé pour Reuters et le Financial Times pour lequel elle couvre le Rwanda pendant le génocide en 1994. Elle a reçu le prix James Cameron 2010 pour son intégrité professionnelle. Rwanda, Assassins sans frontières a été sélectionné parmi les meilleurs livres par The Economist et The Financial Times en 2021.

A travers l’histoire de plusieurs proches de Paul Kagame, Michela Wrong dresse le portrait d’une dictature africaine moderne créée à l’image effrayante du Président rwandais. Cette enquête, plébiscitée par les médias anglo-saxons, s’appuie sur des témoignages directs et clés du pouvoir en place. Elle déchire le script officiel, selon lequel un groupe idéaliste de jeunes rebelles aurait renversé le régime génocidaire de Kigali, inaugurant une ère de paix, de prospérité et de stabilité, pour faire du Rwanda le pays chéri des bailleurs occidentaux. Comme le révèle l’auteur dans les moindres détails, quand ses anciens compagnons d’armes décident de prendre leur distance, le maître du Rwanda les poursuit jusqu’au bout du monde pour les réduire au silence.

Nous l’avons questionnée sur son ouvrage.

Breizh-info.com : Pouvez vous vous présenter à nos lecteurs ?

Michela Wrong : Je suis une écrivaine britannique qui a commencé sa carrière en tant que correspondante étrangère en Europe avant de s’installer en Afrique. J’ai écrit cinq livres, tous sur des thèmes africains. Lorsque je suis arrivée en Afrique dans les années 1990, la plupart des livres disponibles étaient soit extrêmement journalistiques, soit des comptes rendus académiques arides. J’écris des livres que j’aimerais moi-même lire: des livres avec des personnages tridimensionnels, qui transmettent l’odeur et le goût des lieux et qui explorent les histoires qui expliquent pourquoi ces personnes agissent comme ils le font.

Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a amenée à vous intéresser au Rwanda ?

Michela Wrong : Je buvais un verre dans une banlieue chic de Kinshasa avec l’un des collaborateurs de Mobutu Sese Seko lorsque son téléphone sonna et qu’on lui a annonça que l’avion transportant le président Juvénal Habyarimana avait été abattu en arrivant à Kigali, ce qui a déclenché le génocide de 1994. Trois mois plus tard l’agence Reuters m’envoie couvrir l’opération Turquoise, le déploiement des troupes françaises dans le sud-ouest du Rwanda. Comme la plupart des journalistes qui sont arrivés, je ne savais presque rien sur son histoire récente, mais face aux champs de charniers et aux églises et aux salles de classe couvertes de taches de sang, nous avons appris très vite. A ce moment, nous croyons tous au courage de ces rebelles et la version du FPR. Pendant des années nous ne nous posions pas de question sur Kagame et son régime.

Breizh-info.com : Pouvez vous nous faire un bref rappel de ce qu’il s’y est passé depuis trente ans ?

Michela Wrong : C’est difficile, car la région des Grands Lacs africains a connu des décennies incroyablement turbulentes.

En 1990, une force de guérilla créée par des membres exilés de la minorité tutsi du Rwanda, qui avait été chassée du pays trois décennies plus tôt lors de la révolution hutu,  envahit le pays à partir de l’Ouganda. Elle était composée de jeunes hommes, comme Paul Kagame, qui avaient appris à se battre dans un groupe rebelle créé par Yoweri Museveni, l’actuel président ougandais.

Alors que des pourparlers de paix étaient en cours avec le Front patriotique rwandais (FPR), un missile a abattu l’avion du président Habyarimana et les extrémistes hutus ainsi que les soldats rwandais de l’époque ont commencé à massacrer les membres de la minorité tutsie et les réformateurs hutus. Le nombre de morts est l’un des nombreux faits sur le Rwanda qui est farouchement contesté.

Alors que plusieurs millions de civils hutus ont fui avec les extrémistes vers le Zaïre, la Tanzanie et le Burundi, le FPR a pris le contrôle du pays et a mis en place un nouveau gouvernement. Un groupe de rebelles (l’AFDL) créé par le nouveau régime a ensuite envahi le Zaïre, brisant les camps de réfugiés qui y étaient installés et tuant des milliers de Hutus. Ces rebelles ont ensuite renversé le président Mobutu Sese Seko, qui a fui le Zaïre (rebaptisé République démocratique du Congo) et installé Laurent Kabila à la tête du pays.

Kagame est président du Rwanda depuis 2000. Bien qu’il soit admiré par les gouvernements occidentaux pour la reconstruction du pays, les opposants rwandais et les groupes internationaux de défense des droits de l’homme l’accusent d’avoir assassiné, emprisonné et fait “disparaître” plusieurs dissidents politiques, journalistes et militants des droits de l’homme, tant au Rwanda qu’à l’étranger.

Le Rwanda est intervenu militairement à plusieurs reprises dans la RDC et est accusé de piller ses ressources minérales. Les Nations unies, les États-Unis, la France et d’autres gouvernements occidentaux ont tous dénoncé Kagame pour son soutien au mouvement rebelle M23 qui dévaste actuellement l’est du Congo, obligeant des centaines de milliers de personnes à être déplacées.

De plus en plus de preuves apparaissent quant aux atrocités commises par le FPR tant au Rwanda qu’en RDC. Le mouvement qui s’est toujours présenté comme victime, il est clair, a également joué le rôle de prédateur.

Breizh-info.com : Votre livre évoque la situation aujourd’hui, et la menace qui pèse de nouveau sur une partie de la population. Parlez-nous en ?

Michela Wrong : Si vous lisez les récits sur le Rwanda sous Habyarimana, ce qui est choquant, c’est de voir à quel point le Rwanda sous Habyarimana ressemble au Rwanda sous Kagame. Habyarimana dirigeait lui aussi un État policier africain que les visiteurs étrangers considéraient comme “la Suisse de l’Afrique”. Kagame ne peut tolérer aucune forme de dissidence. Ses opposants politiques, même ses anciens amis d’enfance qui ont combattu avec lui, sont en prison ou ont été tués ou attaqués après avoir fui à l’étranger. Des journalistes indépendants sont emprisonnés ou meurent dans des circonstances mystérieuses. Les élections sont truquées. Les touristes ont tendance à être impressionnés par la propreté, l’ordre et l’efficacité qui règnent. Lorsque j’entends cela, cela me rappelle le vieux dicton sur les trains qui roulent à l’heure dans l’Italie de Mussolini. Tout le monde au Rwanda se sent surveillé.

Breizh-info.com : Le personnage de Paul Kagamé, est central dans vos recherches. Qui est cet homme et surtout, quelle politique de terreur mène-t-il aujourd’hui ?

Michela Wrong : Les détracteurs de Kagame le qualifient parfois de “président accidentel” et je pense que c’est là la clé de son caractère. Il n’a pris la tête du FPR qu’en 1990, parce que Fred Rwigyema, son chef charismatique, a été tué le deuxième jour de l’invasion du Rwanda. Fred était adoré par ses hommes et s’est fait obéir par la seule force de sa personnalité. Kagame, en revanche, était impopulaire et il le savait. Il a donc eu recours à la peur et à l’intimidation pour s’imposer. C’est ce qu’il fait depuis au Rwanda tout entier. Il est impossible de savoir ce que la population rwandaise pense réellement de Kagame, mais je pense qu’il est craint plutôt qu’aimé.

Breizh-info.com : Comment expliquez-vous que la question rwandaise soit toujours encore taboue en occident. Qui a des intérêts à ce que certaines vérités ne sortent pas ?

Michela Wrong : Les Occidentaux sont intellectuellement paresseux lorsqu’il s’agit de l’Afrique, et en particulier des Grands Lacs africains. Il y a trop de pays concernés, trop de gens avec des noms qui se ressemblent, trop de mouvements rebelles, trop de guerres. De plus, nous nous sentons en permanence coupables, non seulement d’avoir fermé les yeux sur le génocide rwandais, mais aussi, plus profondément, de ne pas avoir fait plus pour une partie du monde pauvre et traumatisée. Ainsi, lorsque l’on nous présente une histoire simpliste où le Bien triomphe du Mal – et c’est ainsi que l’histoire du Rwanda a été dépeinte, avec Kagame dans le rôle du sauveur – nous l’acceptons. Et ensuite nous faisons la sourde oreille à tout ce qui remet en cause ce récit, ce que fait mon livre.

En outre, la France et le Royaume-Uni ont actuellement des intérêts directs au Rwanda : La France pense qu’elle pourrait avoir besoin des troupes bien entraînées de Kagame pour se déployer dans le Sahel à l’avenir, tandis que le Royaume-Uni veut y envoyer ses demandeurs d’asile indésirables. Il en résulte une politique étrangère très cynique menée à la fois à Paris et à Londres.

Breizh-info.com : Quels sont vos prochains travaux ?

Michela Wrong : Je suis en train de réfléchir à sept idées possibles pour de futurs livres. La plupart sont liées à l’Afrique, parce que c’est ce que je connais. J’hésite parce que la recherche et l’écriture de la plupart de mes livres prennent beaucoup de temps : 3-4 ans. C’est donc une décision importante.

Propos recueillis par YV

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Source : Michela Wrong (Rwanda, assassins sans frontières – enquête sur le régime) : « Les Occidentaux sont intellectuellement paresseux lorsqu’il s’agit de l’Afrique »

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