Tous les usagers réguliers du TGV ont un jour fait ce constat: payer leur billet au prix fort et se retrouver dans un train vide. Cette situation aussi absurde que fréquente est la conséquence de l’usage tout particulier que la SNCF fait du Yield management.
Ce système permettant la modulation des tarifs dans le but «d’améliorer la recette unitaire», autrement dit, de faire payer le plus cher possible les billets mis en vente sans dissuader ses clients. Toutes les compagnies aériennes l’utilisent et la SNCF a même été un des premiers transporteurs ferroviaires à y avoir recours. Mais contrairement à Air France ou à easyJet qui utilisent le yield management avec beaucoup de finesse, la SNCF semble être restée à l’âge de pierre. «Plus c’est tôt, moins c’est cher»: telle est son unique règle. Même lorsqu’un un TGV ne se remplit pas en raison du peu de demande, le prix des billets continue à augmenter au fur et à mesure que la date de départ approche. Un principe pertinent en situation de monopole, mais rédhibitoire à l’heure où la concurrence de l’avion, du covoiturage et du l’autobus n’a jamais été aussi rude. Il n’est d’ailleurs pas rare que pour un weekend à Nice ou à Montpellier, la navette Air France soit moins chère qu’un aller-retour en seconde en TGV.
Dogme d’un autre âge
Rachel Picard, la tonitruante et imprévisible directrice de SNCF Voyages, plutôt que de s’attaquer au cœur du problème, à savoir la tarification des billets TGV avec une modulation selon le remplissage, préfère lancer des produits complexes comme TGVpop ou TGVMax qui ne servent qu’à quelques-uns et font nombre de mécontents. Les clients se rendant compte par exemple, des rares disponibilités de places accessibles avec l’abonnement illimité TGVMax à certaines heures et certains jours. En outre, ce sacro-saint principe de fixation des prix est dépassé du fait des nouvelles habitudes de voyage: aujourd’hui, on décide de plus en plus tard de son voyage, souvent à la dernière minute, d’où cette impression que le TGV est hors de prix. Mais plutôt que de modifier la règle en usage et de tenir enfin compte du taux de remplissage de ses trains, la SNCF s’accroche à un dogme d’un autre âge.
Il en va de même avec son ancestrale segmentation de clientèle entre les périodes de pointe et celles dites «normales». Ainsi, un billet de TGV sera plus cher en période de pointe dans un train vide que celui en période normale dans un train plein! Cherchez l’erreur.
4 trains sur 24 avec des tarifs peu élevés
Nous avons fait un test sur la ligne la plus fréquentée avec quasiment 25 trains par jour: de Paris-Gare de Lyon à Lyon-Part-Dieu. À cinq jours du départ dans le sens Paris-Lyon en tarif «loisir» (modifiable avec frais), les billets en seconde vont de 82 à 97 €. Dans le sens Lyon-Paris, les prix varient de 64€ à 97€ mais un seul train propose le tarif à 64 euros… Pour les billets «pro», le tarif est invariablement à 85€ en période normale ou 102€ en période de pointe. Pour un achat à 12 jours du départ, dans le sens Paris-Lyon, les prix «loisir» varient de 57 à 97 €. Il y a trois trains à 57 € et quatre à 61 €. Dans le sens Lyon-Paris les tarifs varient de 57 à 97€ mais il n’y a qu’un seul train à 57 € et trois à 61 € soit seulement quatre trains sur 24 avec des tarifs peu élevés.
Au cours d’un déjeuner avec quelques journalistes, Rachel Picard s’est félicitée de la montée en puissance de Ouigo, le TGV low cost de la SNCF qui multiplie les contraintes comme celle de gares excentrées qui devrait désormais fonctionner aussi au départ des grandes gares. Telle un novice qui voudrait tout apprendre par lui-même, la SNCF oublie les expériences déjà menées dans l’aérien. Par exemple, les écueils des compagnies low cost «Go» créées par British Airways ou «Atlas Blue» de la Royal Air Maroc. Go et Atlas Blue étaient en concurrence directe avec les vols de leur maison-mère, participant ainsi au siphonage de leurs passagers vers la filiale low cost. Ces compagnies ont vite abandonné ces expériences, comprenant qu’il valait mieux baisser les coûts et remplir leurs propres avions au moyen d’une politique de prix adéquate.
La SNCF ne semble pas être de cet avis. À preuve, elle veut lancer Ouigo au départ de la Gare de Lyon, même si cela concurrence directement ses TGV pour Marseille. À chacun sa logique… En outre, à privilégier des trains qui traversent la France de part en part et au plus vite, la compagnie néglige le principal argument du train sur l’avion, à savoir sa capacité à desservir les territoires sur son passage. À croire que le principal concurrent de la SNCF n’est pas la voiture, mais l’avion.
Enfin, 30% du prix d’un billet TGV concerne le péage que le SNCF doit payer pour que ses TGV circulent sur le réseau à grande vitesse. Un des péages les plus élevés d’Europe! L’Etat français , contrairement à ses homologues allemand ou italien, n’ayant jamais voulu supporter la construction de l’infrastructure ferroviaire comme il le fait pour les routes ou les canaux.