C’est un des plus gros foutages de gueule de notre époque : les nouvelles technologies et leurs applications envahissantes (smartphones, smart-city, véhicules électriques, éoliennes, panneaux solaires) sont censées être « propres ». En réalité, la pollution a juste été délocalisée. Loin des yeux, loin des likes, les nouvelles prothèses électroniques pourrissent quantité d’écosystèmes et de vies humaines dans des pays pauvres, loin de l’Occident. « Un véhicule électrique pollue autant qu’un diesel » : c’est le constat sans appel de Guillaume Pitron, auteur du récent bouquin La Guerre des métaux rares. Sa lecture devrait être obligatoire pour tous les promoteurs enthousiastes de la Transition-qui-va-sauver-le-monde. Pour faire fonctionner les moteurs électriques ou les panneaux solaires, il faut une ribambelle de métaux rares. Et leur extraction entraîne des ravages : pour avoir quelques dizaines de grammes de ces métaux, il faut extraire des tonnes de roches du sous-sol, puis consommer des milliers de litres d’eau et quantité de réactifs chimiques pour obtenir un métal pur. « En même temps qu’ils devenaient omniprésents dans les technologies vertes et numériques les plus enthousiasmantes qui soient, les métaux rares ont ainsi imprégné de leurs scories hautement toxiques l’eau, la terre, l’atmosphère et jusqu’aux flammes des hauts fourneaux – les quatre éléments nécessaires à la vie ». Résultats, notamment en Chine ou en Afrique : des terres infertiles, des cours d’eau pourris, des villages où les habitants qui ne sont pas partis multiplient les cancers et autres maladies. Pourquoi tous ces métaux sont-ils extraits dans des pays pauvres ? Parce qu’ils ne sont pas présents dans les sous-sols occidentaux ? Si certains sont effectivement très « rares », d’autres pourraient être extraits dans nos contrées. Mais s’il n’y a pas de mines vers chez nous, c’est – en dehors des coûts de la main-d’œuvre – à cause des ravages environnementaux inhérents à leur extraction.
Pour diminuer ces dévastations, Guillaume Pitron ne prône pas la sobriété et la décroissance, ce qui apparaît pourtant comme une évidence à la lecture de son bouquin. Il milite plutôt pour les réouvertures des mines en France, afin qu’on se rende compte des ravages des technologies vertes et numériques en les ayant sous les yeux, et qu’on parvienne peut-être à une consommation plus « responsable ». Une proposition intéressante : quelle serait la réaction d’un ingénieur grenoblois à l’annonce de l’ouverture, à côté de sa résidence sur les balcons de Belledonne ou de Chartreuse, d’une mine d’un métal nécessaire à son boulot et aux batteries du vélo-moteur (dit VAE) qu’il utilise pour remonter chez lui ? Accepterait-il les nuisances générées, les poussières toxiques, les rivières polluées, la terre de son potager infertile ? Ou en viendrait-il à voir différemment les technologies qu’il promeut au quotidien ?
Personne n’a envie d’habiter à côté d’une mine ou d’une carrière à découvert. Actuellement, un projet d’extension d’une carrière de ciment à découvert de Vicat à Sassenage provoque une petite fronde de la part des riverains. « Tirs de mines, pollution de l’air, renforcement des vents, bruits nocturnes des wagonnets et même risques d’éboulements. Autant de nuisances que les habitants des Côtes de Sassenage et de Rivoire de la Dame, situés à quelque 800 mètres de la carrière, supportent depuis les années 70. Leur crainte majeure : que ces désagréments augmentent avec l’extension sur le terrain du ball-trap » détaille un article de Place Gre’net (5/02/2018).
Et pourtant : les nuisances causées par l’extraction du ciment, aussi importantes soient-elles, semblent bien minimes par rapport à celles des métaux rares. Mais de quel potentiel minier dispose-t-on dans la région ? Au Postillon, on n’a pas les compétences géologiques pour savoir s’il y a des gisements de métaux rares intéressants à exploiter. Mais ce dont on est sûrs, c’est qu’on en trouve dans nos montagnes, où l’or n’a pas toujours été blanc. Bien avant les business plan des sports d’hiver, la région du Bourg-d’Oisans était notamment connue pour ses mines d’argent ou de véritable or, bien jaune celui-là. Au-dessus d’Allemont, dans le massif de Belledonne, on a trouvé au XVIIIème siècle des centaines de kilos d’argent dans la mine de Chalanches. Mais dans cette même mine, il y avait aussi du nickel, de l’étain ou les métaux rares que sont l’antimoine ou le cobalt. Du cobalt ! Ce métal indispensable aux technologies vertes et numériques est extrait dans des conditions environnementales et humaines scandaleuses au Congo. Ce cobalt, il y en a dans nos montagnes, juste à côté de Grenoble. Comme il y a également du bismuth ou du tungstène, d’autres métaux rares. Alors qu’est-ce qu’on fait, les ingénieurs ? On persévère à fond dans le numérique, en continuant à délocaliser la pollution chez les pauvres ? Ou alors on est cohérents et on ouvre plein de mines dans nos montagnes, et tant pis pour ces endroits si sympas pour le trail ou la rando à ski ?
Y-a-t-il d’autres solutions ? Quoi ? S’arrêter et réfléchir ?