« C’est possible autrement » : dans l’Orne, des agriculteurs racontent comment ils ont arrêté le glyphosate
Quelques mauvaises herbes n’ôteront pas à Alain Davy son sourire. Il y a trois mois, l’agriculteur a bien effectué trois passages de désherbage mécanique dans ce champ, mais des plantes envahissantes jonchent encore ses hectares de maïs. « Il faut accepter qu’il en reste un peu ! », dit-il en inspectant sa parcelle. Certes, le désherbage mécanique est « moins efficace » qu’un herbicide, mais Alain Davy ne regrette rien. Il y a douze ans, ce cultivateur et éleveur bio de Pointel (Orne) a fait un pari osé : cesser toute utilisation de glyphosate, classé « cancérigène probable » par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et retrouvé dans des produits de consommation courante.
La molécule est présente dans de nombreux désherbants, comme le Roundup, produit par la très contestée firme Monsanto. Des documents internes montrent que le géant de l’agronomie « a fait paraître des articles coécrits par ses employés et signés par des scientifiques pour contrer les informations dénonçant la toxicité du glyphosate », affirme Le Monde, mercredi 4 octobre. Toxicité aujourd’hui au cœur du débat : si la France envisage l’interdiction du pesticide, l’UE tarde à prendre une décision. Car de nombreux agriculteurs défendent toujours le glyphosate, craignant une diminution de leurs rendements en cas d’interdiction. Pourtant, à Pointel, des cultivateurs comme Alain Davy assurent que des alternatives sont possibles.
« C’était de l’inconscience pure et dure »
Si aujourd’hui, 100 hectares de cultures et de prairies garanties sans engrais ni pesticides entourent l’exploitation d’Alain Davy, cela n’a pas toujours été le cas. L’agriculteur le reconnaît lui-même : il a utilisé non seulement du glyphosate, mais bien d’autres produits chimiques, pendant près de dix ans. « Et je ne vais pas vous mentir, j’en utilisais beaucoup », raconte-t-il dans son salon, un bol de café bio à la main. Pendant des années, il n’a mis aucune protection lorsqu’il manipulait du Roundup et le pulvérisait dans ses champs.
Et puis, il y a eu le déclic, en 2005, lors d’une réunion avec le syndicat d’eau potable d’une commune voisine. Face à une centaine d’agriculteurs, le syndicat, inquiet, annonce la présence de pesticides dans l’eau, à des niveaux deux à trois fois supérieurs aux normes. « Ça m’a choqué qu’on retrouve les pesticides que j’utilisais, reconnaît Alain Davy. Je me suis dit : “il faut que je change mon fusil d’épaule”. » Avec neuf agriculteurs, le producteur crée un Civam, un centre accompagnant les agriculteurs dans le changement de leur système de production. L’objectif ? Utiliser moins de pesticides et d’engrais, et être davantage autonome. Alain Davy tire alors un trait sur le glyphosate.
Du chimique au mécanique
« Arrêter les pesticides, ce n’est pas évident, reconnaît-il. Produire autrement, je ne savais pas faire. » Pour pouvoir se passer de l’herbicide, l’agriculteur doit en effet revoir complètement son modèle. De 76 hectares de culture, il passe à 16 seulement. À la place, il resème beaucoup de prairies, ce qui lui permet d’avoir moins de mauvaises herbes. Il mise aussi fortement sur une rotation plus fréquente des cultures, pour les empêcher de repousser. Et pour les plus résistantes ? À l’extérieur de sa maison, l’agriculteur désigne une imposante bineuse bleue, avec laquelle il désherbe désormais mécaniquement.
La nouvelle méthode fonctionne. Certes, Alain Davy produit en moyenne 20% de moins qu’avant. Mais en n’utilisant plus d’herbicides, ses coûts ont baissé de façon « phénoménale », ce qui compense largement la baisse des rendements. Et surtout, l’effort est collectif. Alain Davy a acheté ses outils de désherbage mécanique avec neuf autres agriculteurs des environs. Les copropriétaires se partagent leur utilisation pour rentabiliser leur investissement et se donner ainsi les moyens de ne plus toucher aux pesticides. La transition n’est pas simple. « Moi j’y crois, assure pourtant l’éleveur. Désormais, je suis bien dans mes baskets ! »
- Une houe rotative et une herse étrille, servant au désherbage mécanique, dans un hangar de l’exploitation de Gilles Delaunay, à Saint-Hilaire-de-Briouze (Orne)