La France, le Royaume-Uni, les USA paieront-ils un jour pour ce qu’ils ont fait au Yémen ?

Par Darius Shahtahmaseb
Paru sur RT sous le titre Will France, UK, US ever pay for what they have done to Yemen?


Un récent rapport du Conseil des droits de l’homme des Nations unies a révélé le rôle des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France dans la destruction du Yémen, suscitant des questions sur la question des comptes à rendre par les responsables du carnage.

Tawakul Karman, militant renommé, défenseur de la liberté de la presse et lauréat du prix Nobel de la paix, a déclaré un jour au Yémen Times, « un jour viendra où tous les auteurs de violations des droits humains paieront pour ce qu’ils ont fait au Yémen ». Cette déclaration avait été faite des années avant que les États-Unis, le Royaume-Uni et la France ne permettent à une coalition dirigée par les Saoudiens de s’acharner sur l’ensemble de la population civile du Yémen à travers une multitude d’actes criminels.

Grâce à un rapport de l’ONU publié mardi 3 septembre dernier, nous sommes peut-être sur le point de voir les auteurs d’actes criminels, ceux qui ont utilisé le peuple yéménite dans une cruelle partie d’échecs géopolitique pour faire avancer leur propre programme, enfin tenus responsables de violations des droits de l’homme. Mais les gouvernements occidentaux devront-ils assumer leurs responsabilités ou s’agit-il d’un nouveau vœu pieux ?

Pour ceux qui ont suivi et documenté de près le conflit au Yémen, le rapport de l’ONU ne nous dit pas précisément quoi ce soit que nous ne savions pas ou ne soupçonnions pas déjà. Le document indique que les États-Unis, le Royaume-Uni et la France, ainsi que les coupables évidents de la coalition dirigée par les Saoudiens, sont complices à des degré divers dans une série de crimes de guerre potentiels au cours des cinq dernières années, y compris des frappes aériennes, des bombardements aveugles, des snipers, des mines terrestres antipersonnel, des meurtres arbitraires et des détentions arbitraires, de la torture, des violences sexuelles et la faim comme méthodes de guerre.

Il est intéressant de noter que les experts de l’ONU ont identifié des individus qui pourraient être responsables de crimes internationaux et ont transmis ces noms au Haut Commissaire des Nations Unies. Lorsqu’il n’était pas possible de localiser les noms, les experts ont pris des notes sur les identités de groupes responsables.

Peut-être que cette fois-ci, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU – dont l’Arabie Saoudite est d’ailleurs membre jusqu’à la fin de l’année – n’est pas en train de jouer.

« Cette impunité endémique – pour les violations et les abus commis par toutes les parties au conflit – ne peut plus être tolérée », a déclaré le président du panel. « Des enquêtes impartiales et indépendantes doivent être habilitées à demander des comptes à ceux qui ne respectent pas les droits du peuple yéménite. La communauté internationale doit cesser de fermer les yeux sur ces violations et sur la situation humanitaire intolérable. »

Selon le rapport de l’ONU, les implications de cette situation sont plus importantes que ce à quoi on pourrait s’attendre. Si nous adoptions les conclusions du rapport, même des pays comme l’Australie devraient réexaminer leurs politiques.

Pas de quoi s’inquiéter toutefois, car selon un porte-parole du gouvernement britannique, « le Royaume-Uni a été à l’avant-garde des efforts internationaux pour apporter une solution diplomatique à l’effroyable conflit au Yémen ».

En fait, le gouvernement britannique aide la coalition dirigée par les Saoudiens à bombarder le Yémen, avec son personnel assis dans la salle de commandement et de contrôle qui coordonne les frappes, en fournissant des bombes de fabrication britannique pour faire pleuvoir la destruction au Yémen, en formant les pilotes saoudiens, en entretenant et en préparant des avions britanniques en Arabie Saoudite avec l’aide d’ingénieurs et de milliers d’entrepreneurs britanniques, en assurant l’approvisionnement des troupes pour aider la mission terrestre conduite par les Saoudiens au Yémen, et la liste continue.

Comme l’a dit un employé de BAE Systems à Channel 4 au Royaume-Uni, « ils [les Saoudiens] ne pourraient rien faire sans nous. Si nous n’étions pas là, en 7 à 14 jours, il n’y aurait plus d’avions militaires dans le ciel. »

C’est peut-être ce qui a poussé l’historien britannique Mark Curtis à tweeter : « Aucun ministre de l’après-guerre n’a jamais été tenu responsable de crimes de guerre à l’étranger, malgré de nombreux épisodes épouvantables de la politique étrangère britannique ».

Mais ne laissons pas non plus la France s’en tirer à bon compte. Alors que le Président Emmanuel Macron parcourt le monde sous des allures d’humanitaire, appelant à la sérénité, à la tolérance, au respect et à la diplomatie à travers la planète, le rapport rappelle avec force que la France, en cachette, est tout aussi motivée à frapper les pays pauvres.

Un document fuité de la Direction du renseignement militaire du ministère de la Défense a révélé l’utilisation d’armes françaises dans la guerre au Yémen. Les armes comprennent des chars et des systèmes de missiles guidés par laser vendus à la fois à l’Arabie Saoudite et aux Émirats Arabes Unis, les pays qui ont joué un rôle de premier plan dans la guerre. Le document aurait même été présenté à Macron lui-même, qui peut difficilement se cacher derrière le nuage de son image extérieure de messager de la paix (auparavant, la France disait que les armes vendues au Royaume étaient uniquement destinées à sa légitime défense). Selon des rapports, images satellites, vidéos et photographies prises par des civils, certains de ces chars achetés par les Émirats Arabes Unis avaient pris part à des offensives de la coalition, y compris la campagne brutale contre Hodeidah.

Comme c’est le cas avec le Royaume-Uni, le rôle de la France dans le conflit va au-delà des ventes d’armes. Des rapports indiquent que dès le début de la guerre, le personnel français a effectué des « missions de reconnaissance » au-dessus des positions des Houthis au profit de l’Arabie Saoudite et a contribué à former ses pilotes de chasse. La marine française serait même intervenue pour assurer la poursuite du blocus économique du Yémen lorsque la flotte de l’Arabie Saoudite s’est retirée pour maintenance, en 2016.

Le rôle des États-Unis dans ces atrocité est tout à fait évident pour quiconque a suivi le conflit ou comprend la nature fondamentale de la géopolitique du Moyen-Orient. Je pourrais écrire des livres entiers sur ce sujet, si j’en avais le temps.

Mais ce qui sera intéressant sera de voir si ce rapport est un premier pas dans une direction où les États-Unis seront enfin tenus responsables de leur participation à ces actes criminels internationaux. Selon un courriel que j’ai reçu de l’ONU, le Conseil des droits de l’homme espère qu’à mesure de la poursuite de ses ses travaux, ses conclusions et ses recommandations évolueront en conséquence. Ils notent toutefois que de nombreux États s’opposent à ce scénario.

Il y a eu une brève période pendant laquelle la CPI a semblé suggérer qu’elle commencerait à s’attaquer au poids lourd que sont les États-Unis pour leurs crimes commis en Afghanistan, mais l’espoir pour ce projet de voir ce projet mené à bien s’est complètement effondré plus tôt cette année. Si nous ne pouvons pas obtenir d’enquête sur les crimes de guerre en Afghanistan, qui sait ce que nous pouvons espérer réaliser dans le domaine des droits de l’homme dans un avenir proche.

L’ironie, c’est que les trois principaux coupables, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France, ont tendance à faire le tour du monde en donnant des leçons sur les droits de l’homme, la liberté et la démocratie. Aucun de ces principes ne s’applique au peuple yéménite, qui est puni collectivement pour des raisons qui restent obscures à mes yeux.

A mon avis, le moment de la publication du rapport ne pouvait pas être plus opportun et pourrait potentiellement engendrer un débat mondial sur la situation malheureuse qui afflige le Yémen (le pays le plus pauvre du monde arabe). Il y a quelques jours à peine, un déluge de frappes aériennes de la coalition a tué plus de 100 personnes et en a blessé des dizaines d’autres dans un centre de détention houthi, au Yémen. Si l’on met de côté le droit international, même un profane serait fondé à penser qu’un centre de détention, par définition, doit être une zone protégée dans une zone de guerre. (Ils sont détenus ; où peuvent-ils courir en cas de frappe aérienne ?)

Selon le chef de la délégation de la Croix-Rouge au Yémen, « 90 corps démembrés » ont été récupérés lors de la première tentative de sauvetage suivant cette attaque. Un acte excessivement cruel, même pour la coalition dirigée par les Saoudiens.

On ne peut qu’espérer que le rapport de l’ONU pourra contribuer à mettre un terme à ce type d’attaques à l’avenir, non pas en faisant pression sur l’Arabie Saoudite et sa coalition, mais en influençant les décideurs qui permettent la poursuite de ces actes horrifiants.

Comme je l’ai dit, le rapport de l’ONU n’a rien confirmé que nous ne savions pas déjà, ni que les législateurs de toute la planète ne savaient pas déjà depuis des années. En d’autres termes, nous connaissons depuis longtemps les retombées juridiques potentielles de notre soutien à la coalition qui dévaste le Yémen, mais cela n’a pas changé notre façon de penser. Pensez donc, il a fallu l’assassinat d’un journaliste du Washington Post pour que l’Allemagne change de ton (le meurtre de civils innocents ne suffit pas).

Quoi qu’il en soit, le fait qu’un groupe d’experts de l’ONU mène une enquête sur deux ans nous aidera certainement dans notre cause et pourrait, en fin de compte, aider un jour ou l’autre à la réalisation de la prophétie de Tawakul Karman.

Traduction Entelekheia
Photo : Yémen, quelque part au cours de la guerre, un homme monte une garde solitaire auprès d’un impact de bombe.

 

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