La Marche sur Moscou, va-t-elle réellement réveiller l’instinct de survie politique en Russie ?
A peine 24 heures après la mutinerie armée effectuée, mais non conçue, par Prigogine et Wagner contre le pouvoir régulier en Russie et la mort de 15 militaires russes, le président du Comité de la défense de la Douma trouve que non seulement il n’y a rien eu de grave, mais qu’il faut légiférer pour légitimer ces organisations militaires privées. Il va bien falloir régler la question de la dualité des élites en Russie, avant qu’une Marche n’arrive jusqu’au Kremlin.
Pendant 24 heures, la peur d’une guerre civile et la rage face à la trahison se sont emparées des élites politiques russes, brusquement ramenées aux réalités de la guerre en cours sur les différents fronts. L’on ne compte pas les saines déclarations, qui sur l’unité du peuple, qui sur l’importance de faire corps derrière le pouvoir étatique, qui sur les conséquences fatales que l’histoire russe a connues lors de ses périodes troubles. 24 heures, pendant lesquelles le pouvoir a tremblé face à une peur physique et réelle. 24 heures pendant lesquelles les élites globalistes ont détourné le regard, attendant de voir comme les choses allaient tourner. L’attaque fut fulgurante, particulièrement bien organisée et orchestrée, réalisée par Prigogine et conseillée de l’extérieur. Sur la personnalité de Prigogine et les dangers de sa structure armée privée, je vous renvoie à mon texte du 15 mai ici.
Comme l’a parfaitement caractérisé Medvedev :
« Medvedev a qualifié la rébellion armée actuelle d’opération bien pensée et planifiée, dont le but est de prendre le pouvoir dans le pays.
Medvedev a également qualifié de « tout à fait probable » la participation à l’actuelle rébellion militaire d’experts étrangers.
« Nous ne permettrons pas aux événements de se dérouler selon le scénario, selon lequel les bandits entrent en possession des armes nucléaires, quelle que soit la volonté de ces fous criminels », a déclaré Medvedev. »
Pour une analyse plus fouillée et sans pouvoir entrer ici dans tous les détails, je vous propose d’écouter l’interview, que j’ai donnée hier soir et qui est sortie ce matin :
« Il a également dit qu’il n’y avait pas de reproches à faire aux membres de Wagner, qui avaient occupé Rostov-sur-le-Don la veille, car ils ne faisaient que suivre les ordres. « Ils n’ont offensé personne, ils n’ont rien cassé. Personne n’ a la moindre prétention à leur égard – ni les habitants de Rostov, ni le personnel militaire du district militaire sud, ni les forces de l’ordre. Alors quelles seraient les prétentions ? Ils n’y a aucune prétention. »
Je pense que les 15 militaires russes, qui ont été volontairement et froidement abattus par ces membres de Wagner, contre lesquels le président du Comité de la Douma pour la Défense n’a aucune prétention, apprécieront à sa juste valeur et la déclaration et la position idéologique de cet individu. De quelle soumission aux ordres s’agit-il ? Wagner une entreprise privée, pas une armée qui oeuvre pour la défense national. Les membres encourent une responsabilité individuelle pour leurs actes, en plus de ceux qui ont donné les ordres. A moins que Kartapolov ne reconnaissent ainsi, que les ordres venaient de l’extérieur, mais alors pourquoi pardonner.
Sur le plan matériel, l’on oublie manifestement l’hélicoptère de combat et l’avion abattus par ces grands patriotes irresponsables. De la même manière, Kartapolov exige que l’on oublie les habitations abîmées par les tirs des membres de Wagner dans la région de Voronej. Des sites civils. Les habitants apprécieront également ces paroles à leur juste mesure. L’on doit également tirer un trait les dégradations des routes dans la ville de Rostov-sur-le-Don sur 10 000 km2, un détail de l’histoire qu’il faut oublier.
Les limites du compromis : l’impératif de la responsabilité
Un compromis a été trouvé par l’intermédiaire de Loukachenko, pour que Prigogine quitte le pays et aille en Biélorussie, en contre-partie de quoi l’affaire pénale ouverte contre lui par le FSB serait fermée. Les membres de Wagner, qui n’ont pas marché vers Moscou pourraient entrer dans l’armée, quand les autres, s’ils restent tranquilles, ne seraient pas inquiétés. Ceci a permis d’éviter le déclenchement d’une guerre civile, en tout cas d’une période de troubles, qui aurait été rendue possible par une confrontation directe avec l’armée régulière suite aux provocations de Wagner.
Mais il faut que ce compromis soit fermement réalisé, sinon les élites internes, qui soutiennent Prigogine vont, à l’image de ce député, relever la tête. Il doit y avoir une responsabilité, au moins politique, pour que le message passe, sinon l’impunité va provoquer une catastrophe. Le problème n’est pas que Prigogine, il est systémique : c’est l’utilisation de ces armées privées, qui est incompatible avec la notion de l’Etat sur le continent européen, et notamment en Russie. Elles ressortent d’une logique anglo-saxonne, qui correspond à un autre mode de gouvernance et à une autre culture politique.
Non seulement, Prigogine doit personnellement être déporté et tenu en vue, mais Wagner doit être démantelé, pour que l’expérience ne se renouvelle pas. Si ces hommes veulent à ce point défendre leur Patrie, qu’ils entrent dans l’armée. S’ils sont au service de Prigogine, ils ne défendent pas la Russie. Or, la faiblesse se fait déjà sentir et suffisamment pour que, par exemple, Wagner ait renouvelé son recrutement à Novossibirsk.