Mouvement contre la loi travail | « Tout le monde déteste la police » : aboutissement indigent de l’escroquerie de la fausse critique
La loi sur le travail est de manière évidente un coup de force supplémentaire dans l’écrasement des populations hébétées de notre époque. Elle est la marque du « talon de fer » de l’oppression obscène du Capital qui s’exerce désormais sans le moindre complexe, sans la moindre réticence. Il aurait tort de se gêner puisque toutes les relations sociales dans nos sociétés sont le résultat de l’établissement d’un rapport de force. La critique authentique ayant disparu depuis de nombreuses années désormais, le rapport de forces lui est objectivement favorable et il peut donc poursuivre son agression avec une aisance certaine.
On remarquera que du fait de la passivité générale (même en tenant compte du mouvement actuel de réaction défensive face à une loi inique), le risque d’une explosion sociale radicale est très faible.
Néanmoins, une des forces du mouvement actuel résidait dans les blocus de raffineries, mais s’agissant d’actions isolées, il a pu y être mis fin assez rapidement en insistant entre autres sur leur côté « impopulaire ». D’autres secteurs de la production connaissent peut-être une sorte de frémissement de colère radicale qui pourrait suggérer le retour de la critique sociale, mais cela reste indistinct et confus pour l’instant. C’est néanmoins ce genre de soubresauts potentiels qu’il faut éradiquer dans l’imaginaire collectif. La production d’images par les médias va donc focaliser l’attention sur d’autres phénomènes.
En effet, le Pouvoir a compris de l’expérience passée qu’il ne faut jamais laisser le terrain libre à la naissance de toute forme de critique réellement spontanée, incontrôlée. Il agit donc par une sorte de « principe de précaution » et la scénarisation spectaculaire de la fausse critique médiatisée peut dès lors commencer.
Or, la manipulation des masses à travers la propagande médiatique a désormais atteint un tel niveau qu’une fausse contestation a pu émerger spontanément de l’avant-garde contre-révolutionnaire « bobo ». Cette contestation contrôlée, cette opposition fictive « politiquement correcte », qui n’atteignent jamais leurs cibles, se prêtent alors admirablement au traitement médiatique avec les images et les commentaires chargés de de semer la confusion.
Une profonde sagacité politique est à l’œuvre avec l’objectif de contrôler le front social potentiellement conflictuel : on produit à la fois les éléments de l’agression sociale (loi travail par exemple) et on met en scène en parallèle les éléments de l’opposition à celle-ci, dans un cadre connu à l’avance.
Ainsi, dans un tel contexte de « principe de précaution oligarchique », qu’observe-t-on avec la naissance de ce mouvement de contestation dit « Nuit debout » et avec ses excroissances de bataille de rue ?
En premier lieu, pour contredire un certain discours « conservateur », de droite ou d’extrême droite, il ne s’agit pas d’une tentative de renouer, même misérablement, avec Mai 68. L’histoire de Mai 68 reste toujours à écrire. Il s’agissait avant tout d’un mouvement de grève générale d’environ 10 millions de travailleurs. Ses avancées théoriques et pratiques les plus radicales qui ont pu très momentanément exister à la Sorbonne ou ses environs, étaient plutôt issues d’une mouvance situationniste et étaient parvenues à un haut niveau de définition critique, avant que ceux qui en étaient porteurs ne soient délogés par les gauchistes, petits flics d’encadrement de la contestation bureaucratique et contrôlée. Avec l’échec de la grève et des éléments radicaux, le Mai 68 falsifié a pu prendre toute sa mesure et se travestir en un pur spectacle de l’hédonisme de pacotille véhiculé par les médias, le cinéma, la publicité et les membres de l’intelligentsia de gauche, parfois toujours à l’œuvre 40 ans plus tard malgré leur usure symbolique et pratique. Mai 68 falsifié aboutit à la dépénalisation de la drogue, aux salles de shoot, au mariage pour tous, à la GPA et à la PMA, à l’art contemporain, à la pathologie narcissique, ou encore à la victoire de l’image. Mais il ne s’agit là que de la falsification étatique et marchande de Mai 68.
Rien ne relève donc d’une quelconque filiation avec Mai 68 dans le mouvement « Nuit debout ».
Les rassemblements place de la République à Paris et ailleurs (qui semblent quelque peu péricliter progressivement) sont l’indigeste juxtaposition :
- de gens appartenant au système scolaire ou qui en sont récemment issus, représentants de l’acculturation post-moderne: dans leur vie quotidienne et en dehors des pseudo conflits médiatisés sur tel ou tel sujet de société, ils sont les représentants les plus frénétiques de l’adhésion au système et à ses représentations mystificatrices de libération des mœurs. De fait, ils sont les consommateurs les plus en phase avec les produits culturels indigents ayant cours aujourd’hui. Ce sont les jeunes « bobos » au stade d’apprentissage de la domestication marchande.
- du lot habituel de « marginaux » que l’on affuble plus récemment du terme de « zadistes », ou peut-être même « d’antifas », dans des situations sociales parfois difficiles mais qui se repaissent de valorisation symbolique. Ils se révèlent le plus souvent d’essence totalitaire et, en singeant la radicalité, n’hésitent pas à organiser une forme de terreur éventuellement physique à l’encontre d’éventuels contradicteurs. Ils sont d’une très grande utilité pour le Pouvoir en exerçant un travail de « nettoyage » de la rue au nom d’un antifascisme fantasmé dont l’inspiration prend en fait sa source chez un BHL. Toujours prêts à occuper le terrain lors du saccage convenu d’une rue commerçante, on les verra peu, voire ils seront même toujours absents, de la proximité des usines où l’on délocalise à tour de bras et où les salariés se retrouvent bien isolés dans leurs zones rurales ou péri-urbaines. L’usine qui ferme reste moins photogénique et médiatiquement valorisable qu’un barrage ou un aéroport honnis.
- des gauchistes mondialisateurs professionnels, objectivement complices ou « idiots utiles » du Système dans la plupart des péripéties sociétales de nos malheureux temps, plus ou moins encartés, renfermant dans leurs rangs une représentation toujours plus faible en effectifs et en qualité d’individus issus de milieux académiques et « d’intellectuels » besogneux narcissiques sans talent, promouvant inlassablement une contestation à vocation « théorisante » dans le registre éculé du foucaldo-bourdieusisme.
- des promeneurs et curieux aux motivations confuses et qui déchantent rapidement, catégorie tout à fait respectable d’ailleurs qui cherche à ne pas se contenter de la vision médiatique.
Les groupes sociologiques urbains ainsi à l’œuvre dans cette mouvance produisent essentiellement, par délitement rapide mais efficace de la logique de la lutte des classes, du discours pro LGBT, sans-frontiérisme, du « jouir sans entraves » de bas étage qui sont précisément les ingrédients de la domination. Aucune subversion autre que d’apparence n’est donc visible dans ces rassemblements. D’ailleurs, le système politico-médiatique le sait et organise leur médiatisation par l’intermédiaire de BFM TV et autres succursales de la production d’images. Un mouvement réellement subversif n’est jamais médiatisé, il est occulté, réprimé, et si la logique de production d’images doit primer, il sera systématiquement dénigré, dévalorisé et condamné.
Autre facette de ce mouvement : les manifestations et les diverses batailles de rue.
Les bureaucraties syndicales épuisées, complices, sans réelles troupes, sont de moins en moins crédibles dans leurs velléités de critique sociale. Elles étaient déjà dénoncées dans les années 70 pour leur complicité réformiste, que peut-il en être advenu après les années Mitterrand et des kilomètres de cortèges festifs avec ballons et sonos déversant slogans infantiles ou musiques des îles, faisant ressembler le tout plutôt à une Foire du Trône ambulante qu’à une réelle opposition salariée.
Elles sont néanmoins toujours présentes (en dehors de succursales telles que la CFDT qui est objectivement un syndicat patronal) avec un rôle relativement marginal de contrôle symbolique mais se font voler la primauté par les « casseurs », véritables intermittents efficaces du spectacle de la critique sociale.
Ces manifestations sont organisées le plus souvent en semaine, sans doute pour démontrer qu’il s’agit d’abord de grèves. Mais il est bien évident que le droit de grève en France est une fiction, car l’immense majorité des salariés appartient au secteur privé, là où la grève est quasiment impossible à l’exception d’une période particulière : la semaine qui précède généralement une délocalisation dans la production, quand il n’y a plus rien à perdre. Des grèves de la dernière chance généralement tuées, par l’isolement et le désespoir.
Par conséquent, les manifestants seront toujours issus de secteurs encore un peu protégés, avec un statut public ou contractuel de l’Etat, même si là aussi la possibilité de faire grève reste relative et la répression à même de s’exercer d’une manière ou d’une autre, ou de secteurs d’activité privés de moins en moins nombreux qui ont réussi à conserver l’existence d’appareils syndicaux encore un tant soit peu organisés.
De plus, on note toujours la présence nombreuse de jeunes scolarisés d’où malheureusement aucun slogan, aucun mot d’ordre, aucun renouvellement du discours ne surgit. Il faut bien avouer pour leur défense que lorsque l’on est crétinisé à longueur d’année par le festivisme ambiant et qu’on est adepte de la fête de la musique, de la techno-parade et des discours de la « démocratie libérale-libertaire », il ne faut pas s’attendre à une réelle maturité conceptuelle. Il est certain que ceux-là ne vont pas déambuler avec Hegel, Marx, ou « La Société du spectacle » en poche.
Ce néant dans les rangs des marcheurs (syndicats épuisés d’un côté et « jeunes » bobos de l’autre), laisse d’autant plus facilement le champ libre aux « casseurs ». D’une part, ces individus que les médias estampillent « anarchistes », « autonomes », « antifas », « blackbloks », n’ont en fait rien à voir avec des anarchistes ou des autonomes au sens historique du terme, tels qu’on pouvait en rencontrer encore dans la manifestation des sidérurgistes à Paris en 1979 au moment du démantèlement de la sidérurgie lorraine. Ils ne sont que l’expression violente du décervelage total. Soulignons d’autre part une très forte impunité de ces « casseurs » dans leurs exactions. Le spectacle de la subversion tente de passer par la destruction de vitrines, d’abribus, d’autolib, du mobilier urbain, le dépavage de rues remodelées à prix d’or aux frais du contribuable-salarié. Mais c’est une comédie, un remake mal ficelé d’images connues il y a 40 ans. En effet, on peut toujours noter l’absence totale de slogans politiques radicaux, de discours politique percutant, le maximum de la conscience critique culminant avec ce pauvre slogan infantile « Tout le monde déteste la police », complété parfois par le nettement plus radical « La police déteste tout le monde » et éventuellement par une série de tonitruants « enculés ». Les « radicaux » hurlent « enculés » et les policiers hurlent « reculez » dans une chorégraphie violente mais dénuée de sens.
Dès lors, le voile tombe et il faut être politiquement débile ou intéressé à la falsification pour ne pas voir qu’un mouvement critique qui n’a même pas eu le temps de naître spontanément chez les salariés, les producteurs-consommateurs et l’immense cohorte des sans-dents, au départ dressé contre une loi de régression sociale, est devenu un mouvement « antiflic ». Misère de la fausse critique, misère de la critique spectaculaire. Le Pouvoir a de beaux jours devant lui, il n’est la cible du mouvement qu’en arrière-plan, en quelque sorte à la marge, il finit par ne plus être nommé. Si les manifestants prenaient au moins l’initiative de crier « Hollande démission », on pourrait encore penser à un conflit objectif avec le Pouvoir et sa représentation étatique. Mais il n’en est pas question : ni l’Etat, à l’exception de sa composante policière, ni le marché, ni les banques en tant que structures internationales, ni les médias, ni l’Union européenne, ni aucun détenteur du pouvoir réel n’est ciblé. L’ennemi : le flic.
Il est d’ailleurs à noter un certain nombre d’éléments inédits. Les policiers, quelque peu conscients du rôle de bouc-émissaires qu’on leur fait jouer, manifestent contre la haine dont ils sont l’objet. Le Pouvoir, dans le même temps, et en pleine reconduction de l’état d’urgence, tolère une contre-manifestation qui aboutit à l’incendie d’une voiture de police et à la mise en danger de l’intégrité physique des policiers concernés.
Les policiers eux-mêmes dénoncent parfois l’absence d’ordres nécessaires pour freiner l’ardeur de ces « casseurs » et s’en étonnent. Il est vrai a contrario qu’à une époque pas si lointaine, d’inoffensifs et pacifiques porteurs de T-shirt « Manif pour tous », étaient eux réellement molestés et parfois quelques centaines d’entre eux envoyés en garde à vue rue de l’Evangile.
N’oublions jamais qu’en matière de répression de rue l’Etat est extrêmement puissant et quand il apparaît faible, c’est une stratégie. Il n’y a aucune raison que la rue de Vaugirard soit si impunément et avec tant d’aisance dévastée. Cette fantastique mascarade contemporaine de la guérilla de rue relève bien d’une « stratégie de la tension » de très faible intensité, bien sûr sans commune mesure avec le niveau d’intensité rencontré à Kiev à l’époque du Maïdan.
Si l’on s’attarde un instant sur l’identité de ces « casseurs », on peut raisonnablement suspecter un assemblage d’individus assez hétérogène: des jeunes de bonne foi dénués de culture politique, « chauffés » par d’autres, de parfaits crétins en recherche d’émotions grâce à la relative impunité dont ils jouissent, des « gauchistes » manipulés et manipulateurs, des agents provocateurs, un personnel issu d’officines d’Etat ou d’autres plus directement nuisibles encore comme il était classique d’en voir à l’œuvre dans le passé (casseurs aux cheveux longs et en treillis militaire des années 70). Un tel assemblage hétéroclite est finalement une recette assez souvent rencontrée depuis la naissance de l’Etat, qui relève même désormais du phénomène historique.
Néanmoins, ces « casseurs » jouent un rôle politique tout à fait efficace dans le spectacle de la fausse critique.
Dans un premier temps, ils permettent de détruire l’éventuelle solidarité de la population avec un mouvement syndical réformiste fort éloigné des pratiques de « casse ». Cela peut conduire à justifier l’interdiction des manifestations en jetant le discrédit sur les centrales syndicales réformistes. La CGT, ennemie de la France et de sa croissance, serait en plus responsable des destructions, voire complice. La désinformation s’accélère.
Dans un deuxième temps, ils permettent d’opérer une répétition à valeur anticipative. Si d’aventure, un réel mouvement spontané de contestation sociale radicale venait à surgir, cherchant ses modalités d’expression en dehors du syndicalisme, il serait aussitôt contaminé, dévoyé, falsifié, dénaturé, avorté, par ce genre de spectacle de rue. Effet repoussoir garanti, démobilisation, contrôle social, ingénierie fine des cerveaux.
En conclusion, avec des ingrédients de ce genre, bureaucraties syndicales épuisées, « jeunes » adeptes du festivisme décérébrés et aisément manipulables, individus interlopes dont la « radicalité » s’exerce uniquement à l’encontre des abribus et des CRS, le Pouvoir est tranquille. La France peut continuer à dormir malgré l’organisation du chaos, les tréteaux sont posés, les rôles sont distribués, l’entrée est gratuite par le biais des écrans de télé, la fausse conscience peut continuer à prospérer.
L’immense majorité des victimes de l’oppression est absente des écrans et de la scène politique ainsi que de la rue. Ces prolétaires atomisés et maintenus dans le silence et l’invisibilité médiatique sont la vraie menace pour le Pouvoir, mais pour l’instant l’anesthésie bat son plein, tout est sous contrôle. La scénarisation de la fausse critique s’épuisant avec le temps, en lien avec l’impact de conditions toujours plus délétères pour le plus grand nombre, il est toujours permis de penser que cela pourrait se modifier dans l’avenir.
Patrick Visconti