“Que les labos ne soient plus hors de contrôle”- Entretien avec Quentin Ravelli, par F. Ruffin

Fin de l’édifiante série Fakir contre Sanofi…

Source : Fakir, Cyril Pocréaux, François Ruffin11/10/2017

Quentin Ravelli, sociologue, a passé plusieurs mois en immersion chez Sanofi. Il est l’auteur de La Stratégie de la bactérie.

Fakir : Comme sociologue, pourquoi avez‑vous travaillé plusieurs mois pour Sanofi ?

Quentin Ravelli : J’ai toujours été étonné par une chose : que les produits de santé soient garantis par la Sécu, donc nos cotisations, et en même temps protégés par des brevets. Tout cela alors que les multinationales de ce secteur sont parmi les plus profitables. Franchement, je ne comprenais pas. Et puis, en lisant sur le sujet, je me suis aperçu qu’on ne parlait presque jamais de la partie industrielle : on parlait de « laboratoires », on avait l’image des blouses blanches, mais la réalité est bien différente : on a affaire à du travail en 5×8, épuisant, etc.

Fakir : Votre livre s’appelle La stratégie de la bactérie. Pourquoi ?

Q.R. : C’est une métaphore de la stratégie des labos, mais pas seulement. J’ai suivi le parcours de la Pyostacine, l’antibiotique développé par Sanofi contre une bactérie. Mais aujourd’hui, et c’est d’ailleurs un problème médical mondial, les bactéries sont devenues résistantes, développent leurs propres défenses. Tout comme une grande entreprise comme Sanofi est devenue résistante à toute critique. Elle l’intègre.

Fakir : Et pourquoi ?

Q.R. : Entre autres parce qu’il y a un morcellement de la critique. De l’employé sur son site qui n’en peut plus au médecin qui en a marre, en passant par le chercheur licencié, l’association de patients, on est sur des milieux sociaux totalement différents. Il y a des barrières qui font qu’il n’y a pas de jonction de la critique. La question est : ces gens peuvent‑ils avoir des intérêts communs ?

Fakir : Comment changer la Big Pharma, dès lors ?

Q.R. : L’idée clé, c’est une démocratie de la santé. De l’Assemblée nationale aux agences gouvernementales, dans les partis politiques, il faut faire avancer cette idée d’une démocratie médicale. Que les labos ne soient pas hors de contrôle du citoyen, alors que nous les finançons.

Fakir : Vous prônez quoi ? Une nationalisation de ces entreprises ?

Q.R. : Elles l’ont été pendant le premier septennat de François Mitterrand… La question, c’est plutôt comment on les contrôle, et qui le fait ? On devrait pouvoir en discuter avec le grand public, les salariés… En tout cas, la transparence doit être un programme d’urgence : quels sont les coûts de production ? les salaires ? comment on pratique la recherche ? Alors que c’est aujourd’hui sous le sceau du secret. Il faut retenir les leçons de l’histoire : on considère que les brevets sont une bonne chose, parce qu’ils stimuleraient la recherche. Or, de 1844 à 1969, le système des brevets n’existait pas, et c’est là qu’on a trouvé le plus de molécules. Et le procès de Prétoria, en 2001, ouvre des perspectives.

Fakir : On rappelle ce que c’était. À la fin des années 1990, l’Afrique du Sud paie un lourd tribut au Sida. Le pays de Nelson Mandela inscrit alors, dans sa loi, la possibilité d’importer des médicaments à moindre coût, de produire des génériques, en contournant le droit des brevets. Mais 39 groupes pharmaceutiques portent plainte, sûrs de leur bon droit. Ils reçoivent d’ailleurs le soutien du gouvernement américain et de la Commission européenne : la propriété (intellectuelle, ici) d’abord ! Et tant pis pour les malades… Mais à l’ouverture du procès, le 5 mars 2001, les malades, justement, se signalent. Ils viennent témoigner devant la cour, se portent partie civile, évaluent à 400 000 le nombre de morts depuis que la loi est bloquée par ce recours. De juridique, le procès devient humain : le droit des brevets peut‑il prévaloir sur le traitement des malades ? Et cette association demande aux compagnies pharmaceutiques de justifier le prix de leurs médicaments. Elles ne savent pas répondre. Les firmes réclament trois mois pour préparer leur défense, leur argumentation sur le prix de leurs propres productions. Le juge accorde six semaines. Durant ces six semaines, l’opinion internationale se mobilise, Médecins sans frontières, Sud‑Chimie, via des pétitions en ligne, les médias, le Parlement européen… Quand le procès reprend, le 18 avril, la pression est sur les labos. Eux réclament un report. Leur unité se fissure. Dès l’après‑midi, 37 sur 39 ont abandonné leur plainte. Et le lendemain matin, c’en est fini. L’industrie pharmaceutique accepte même de payer les frais de procédure. Leur défaite est totale.

Q.R. : Vous faites bien de rappeler cette histoire. Ça prouve que des victoires contre ces grosses boîtes sont possibles. Mais il faut, comme le montre cet exemple, que la démocratie, le peuple, se mêle de sa santé.

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Le scandale Sanofi : Les chiffres

Source : Fakir, Cyril Pocréaux, François Ruffin11/10/2017

Sanofi, c’est le champion français des dividendes versés aux actionnaires.
Et comment ?
En détruisant des usines qui n’ont jamais servi.
En détruisant la recherche.
En détruisant des millions de vaccins.
En détruisant notre santé pour demain.
Et avec la complicité de nos dirigeants politiques…

Figure 1

En 2015, Sanofi claironne que les dépenses R&D augmenteront de 6 % en 2016. Promesse non tenue, dit l’expert-comptable : elles baisseront en fait de 0,3 %. Surtout, l’externalisation explose aux dépens de la recherche interne. On achète clé en main, très cher, des médicaments qui ne valent pas grand‑chose…

Figure 2

À partir de 2009, la couleur est clairement affichée : le nombre de postes de chercheurs en CDI, en France, s’effondre. Quand ils sont remplacés, c’est par des intérimaires et autres emplois précaires. Une perte d’expertise lourde, et irréparable.

Figure 3

Au niveau mondial (où Sanofi emploie 100 000 personnes), même schéma : le nombre d’employés en Recherche et Développement connaît une chute vertigineuse. Elle est à peine adoucie, fin 2012, par l’intégration strictement comptable des effectifs de Genzyme, société que Sanofi a rachetée quelques mois plus tôt. Dans la foulée, la baisse reprend de plus belle.

Figure 4

Moins de chercheurs, et plus de temps passé à vérifier des molécules achetées à l’extérieur, souvent mauvaises : c’est inévitablement moins de produits en phase de recherche et de développement.

Des taux de profit autour de 30, voire 40 % : la rentabilité des leaders mondiaux de la Big Pharma, est sans équivalente. En comparaison, l’industrie automobile affiche des taux de profit autour de 6 %. Chez Sanofi, les dividendes reversés aux actionnaires sont en hausse pour la 23e année consécutive.

Source : Fakir, Cyril Pocréaux, François Ruffin11/10/2017

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Macron : Porte parole des Sanofi

Source : Fakir, Cyril Pocréaux, François Ruffin11/10/2017

14 mai 2017. À l’Élysée, c’est la passation de pouvoir entre François Hollande et Emmanuel Macron. Dans l’assistance, le jeune président aperçoit un visage connu.

C’est Serge Weinberg, le PDG de Sanofi. Macron fend la foule, s’en va lui serrer la main. Car c’est un vieil ami, à qui il doit tant. Retour sur cette histoire d’amour…

2007. Rapporteur de la Commission Attali « pour la libération de la croissance », Emmanuel Macron, jeune inspecteur des Finances, fréquente alors les patrons de Nestlé, du Crédit agricole, de Essilor, etc. Et Serge Weinberg, aujourd’hui PDG de Sanofi, qui lui conseille de s’enrichir avant d’entrer en politique.

2008. Grâce à Serge Weinberg, il part pantoufler comme banquier d’affaires chez Rothschild & Cie. En charge de fusions-acquisitions, il gère des deals, entre autres, pour Sofiprotéol, pour Nestlé ou pour Lagardère. Et fait fortune. 2015. Pour Cash investigations, Elise Lucet s’en va interroger le ministre de l’Économie d’alors sur Sanofi et le Crédit impôt recherche.

Elise Lucet : Pour 2013, par exemple, c’est 125 millions d’euros pour Sanofi…
Emmanuel Macron : Oui.
Elise Lucet : Il y a un Crédit d’impôt recherche, qui est versé à un groupe, et qui a supprimé des postes où ? Dans la recherche ! Alors ça, franchement, c’est assez incompréhensible…

Le ministre, lui, ça ne le choque pas, cet usage des deniers publics :

Emmanuel Macron : Si on n’avait pas ce Crédit d’impôt recherche plébiscité par toutes les entreprises, petites et grandes, Sanofi aurait mis depuis des années toute sa recherche, et sans doute même ses quartiers généraux, hors de France.
Elise Lucet : Mais pourquoi ne pas dire ‘‘l’État vous donne de l’argent sous forme de crédit impôt recherche, ne supprimez pas d’emplois dans la recherche’’ ?

Un raisonnement trop simple pour sa pensée complexe.

2016. Lancé dans la course à l’Elysée, Emmanuel Macron reçoit le soutien, implicite ou explicite, de nombreux patrons, dont des patrons de presse : Vincent Bolloré, Bernard Arnault, Arnaud Lagardère… et bien sûr Serge Weinberg.

8 janvier 2017, Nevers. Alors que Mélenchon et Hamon, mais aussi Asselineau, Lassalle, Poutou, etc., veulent « mettre fin à la rente des labos », Emmanuel Macron leur déclare sa flamme. Il affirme ne pas vouloir « sacrifier l’industrie pharmaceutique pour essayer de faire des économies sur son dos ». Et estime qu’il « faut payer les médicaments au juste prix quand il y a derrière des innovations, quand il y a des investissements pour avoir une grande industrie pharmaceutique ».

7 mars 2017, Paris. C’était son « conseiller santé » : le médecin Jean‑Jacques Mourad oeuvrait en même temps pour Servier. L’association Formindep a découvert soixante interventions du cardiologue par le laboratoire Servier, plus 80 000 euros de frais de restaurant et de transport. Après ces révélations, il démissionne. À Nevers, Emmanuel Macron avait notamment plaidé pour un meilleur remboursement des médicaments contre l’hypertension artérielle sévère… précisément le domaine de spécialité de Servier ! (Au passage, ajoute Marianne : « Jean-Jacques Mourad est le frère de Bernard Mourad. Cet ancien banquier conseil de l’homme d’affaires Patrick Drahi a rejoint Emmanuel Macron en octobre 2016. Il est devenu l’un des plus proches conseillers du candidat. »)

4 juillet 2017, à l’Assemblée. Discours de politique générale du Premier ministre :
« Des maladies que l’on croyait éradiquées se développent à nouveau sur notre territoire. Des enfants meurent de la rougeole aujourd’hui en France. Dans la patrie de Pasteur ce n’est pas admissible. L’an prochain, les vaccins pour la petite enfance, qui sont unanimement recommandés par les autorités de santé, deviendront obligatoires. »

20 juillet, Vitry. Édouard Philippe, Premier ministre, rend une visite à Serge Weinberg, sur un site de Sanofi. Mais fait original : le chef du gouvernement n’a prévenu ni les syndicats ni les médias, ni les salariés ni les Français.
Cette rencontre s’effectue en catimini, discrète sinon secrète. Elle se déroule, semble-t-il, à l’initiative du « Cercle de l’industrie » : un lobby patronal, qui comprend Areva (dont Édouard Philippe fut lobbyiste), Alstom, L’Oréal, Peugeot, etc., et bien sûr Sanofi.
Que se sont raconté le Premier ministre et le PDG ?
Ont-ils évoqué le Crédit impôt recherche ?
La suppression de trois mille postes de chercheurs ?
Les milliards de dividendes ?
Ou encore le scandale de la Dépakine ?
Ou le sujet du moment : les vaccins ?
Le chef de gouvernement a-t-il évoqué les sujets qui fâchent ? 
Interrogé par nos soins, en plein hémicycle, le gouvernement a refusé de répondre.
Qu’il est bon d’avoir, ainsi, un président de la République intègre, dont on a la conviction qu’il ne doit rien à personne, qu’il saura défendre l’intérêt général contre les intérêts particuliers…

Source : Fakir, Cyril Pocréaux, François Ruffin11/10/2017

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VIDEO. Vifs échanges entre Edouard Philippe et le député François Ruffin sur la Dépakine et le patron de Sanofi

Source : France info, AFP, Reuters, 11/10/2017

“Oui, monsieur Ruffin, ce n’est pas parce qu’on crie qu’on a raison. Il va falloir vous y faire.” L’échange a été tendu ce mercredi lors des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale entre le député de La France insoumise François Ruffin et le Premier ministre, autour de la personnalité de Serge Weinberg, le PDG de Sanofi. Le député accuse Edouard Philippe et le président, Emmanuel Macron, d’être trop proches de Serge Weinberg.Le Premier ministre a dénoncé les “insinuations” du député François Ruffin, qui l’interrogeait sur des récentes visites des principaux membres de l’exécutif chez Sanofi sur fond de scandale de la Dépakine. Ces derniers mois, le député a relevé les visites d’Emmanuel Macron, d’Edouard Philippe et de Christophe Castaner sur des sites de Sanofi ou auprès du patron de l’entreprise.

Vous êtes en train de vous faire un film avec vos insinuations élégantes.

Edouard Philippe

“J’ai peur, monsieur le député, qu’une fois de plus, vous soyez en train de vous faire un film avec vos insinuations élégantes. Vous êtes en train de considérer qu’il serait normal pour la représentation nationale, normal pour le chef du gouvernement de ce pays, dans toute la mesure du possible, de dénigrer une entreprise française, une entreprise qui fonctionne bien”, a répondu le Premier ministre.

“Nous ne gagnerons rien du tout, ni vous, ni nous, ni personne en France à placer systématiquement le débat sur la santé, ou sur la production dans le thème du soupçon tel que vous venez de le faire”, a fini Edouard Philippe, très applaudi par les députés de la majorité.

Source : France info, AFP, Reuters, 11/10/2017

via » “Que les labos ne soient plus hors de contrôle”- Entretien avec Quentin Ravelli, par F. Ruffin

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