RT Bashing : Sylvie Kauffmann nous ennuie…
Source : Proche & Moyen Orient, Etienne Pellot, 15-01-2018
L’une des directrices éditoriales du Monde – fonction qu’elle partage avec Gérard Courtois et Alain Frachon – vient de s’illustrer par une chronique très particulière : « Ma semaine devant RT France »1. Dès les premières lignes, on sent un parti pris militant contre la chaine de télévision Russia-Today (RT), une chaine russe : quelle horreur ! et, un petit coup de lèche appuyé à la présidence de la République : cela ne peut pas nuire à la carrière !
Sentencieuse, la dame écrit : « La France étant un pays ouvert et démocratique, cela n’a pas empêché RT d’installer son siège français à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), d’embaucher quelque 150 personnes, dont de nombreux journalistes français et de conclure un accord avec l’opérateur Free (son fondateur, Xavier Niel, est actionnaire du Monde à titre personnel) pour émettre à destination des téléspectateurs français ». S’il est essentiel de rappeler – en ces temps de Fake News – que Boulogne-Billancourt se situe bien dans les Hauts-de-Seine…, il est plus intéressant de rappeler que l’un des actionnaires du Monde a, effectivement participé à l’installation de la chaine russe en France et que celle-ci y a créé quelques emplois.
Ne pouvant pas trop noircir le tableau, la chroniqueuse est obligée d’admettre un autre fait indiscutable : « RT n’est pas (pour l’instant) une chaine à la gloire du régime russe ». Le « pour l’instant » laisse, bien-sûr, augurer d’une suite qui ne saurait que dégénérer : chasser le naturel léniniste, il revient toujours au galop… Puis, devant toutefois rappeler que « la France est 39ème dans le classement sur la liberté de la presse établi par Reporters sans Frontière », la « chroniqueuse », qui affirmait quelques paragraphes plus hauts que « l’essentiel de ses programmes d’actualité (de RT) porte sur la France », conclut son papier par une autre grande découverte : « le choix des sujets internationaux est sans surprise ». La chaine privilégie-t-elle l’actualité française ou internationale ? Faudrait savoir !
Au bout de deux colonnes aussi creuses qu’insipides, tombe enfin le verdict : « j’avoue : depuis le Nouvel An, j’ai regardé RT France chaque jour, et je me suis beaucoup ennuyée. Décidément, le hard power réussit mieux à Poutine que le soft ». Elle pensait sans doute voir des défilés de l’Armée rouge tous les jours…Mais qui juge qui ? Depuis des années, Sylvie Kauffmann écrit dans Le Monde des papiers qui nous ennuient profondément : des papiers sans informations, qui assènent toujours des commentaires allant dans le sens du vent et de sa carrière, du politiquement correct sans surprise, toujours destinés à nous faire la morale, nous disant ce qu’il faut penser ! Autrement dit, voilà quelqu’un qui impose ses Fake Analyses en toute impunité, et depuis très longtemps sans que personne n’ose vraiment lui tirer les oreilles.
Non contente de nous répéter régulièrement que Vladimir Poutine est une réincarnation de Léonid Brejnev, elle nous a même dressé des lauriers à la gloire de Tariq Ramadan2. Faut le faire ! Elle écrivait : « Tariq Ramadan est, en France, notre pestiféré préféré, mais pour les Britanniques, y compris ceux de l’establishment, il est d’abord professeur d’études islamiques contemporaines à Saint-Antony, l’un des meilleurs collèges de l’université d’Oxford ». Evidemment, les Britanniques sont tellement, tellement plus intelligents… que nous autres, petits Français demeurés !
En d’autres temps, Paul Nizan avait baptisé ce genre de plumitifs – « chiens de garde ». Depuis, le courageux Serge Halimi démasque à son tour « Les Nouveaux chiens de garde » avec son équipe du Monde Diplomatique, s’efforçant de promouvoir la pratique du Devoir d’irrespect de feu Claude Julien. Autant d’horreurs pour Sylvie Kauffmann qui a délibérément opté pour un journalisme couché, à l’abri des puissants et des faiseurs de rois. Mais d’où vient cette curieuse dame donneuse de leçons ?
Embauchée par Le Monde en 1988, elle a été correspondante en Europe de l’Est, puis aux Etats-Unis, à Washington et à New York où son à-plat-ventrisme a beaucoup plu. Entre-temps, elle a accompagné son mari – Pierre Buhler – nommé ambassadeur de France en Pologne où ce dernier a régulièrement défrayé la chronique par ses saillies russophobes. Les gens curieux osent tout, disait Michel Audiard, c’est même à ça qu’on les reconnaît ! En effet, ce curieux diplomate a même caressé l’espoir de représenter notre pays à… Moscou ! Désormais, il dirige l’Institut français. On n’est pas vraiment rassuré ! Mais le plus significatif du parcours professionnel de notre « chroniqueuse » est ailleurs : en 1998, elle participe au programme Young Leaders, organisé par la French-American Foundation.
Cette officine – La French-American Foundation/France – est une organisation qui se consacre à « renforcer les liens entre la France et les Etats-Unis ». Fondée en 1976, elle se donne pour objectif d’encourager un dialogue actif entre les deux pays. L’une de ses activités principales est l’organisation de séminaires pour des jeunes dirigeants (Young Leaders) français et américains issus de la politique, de la finance, de la presse « à fort potentiel de leadership et appelés à jouer un rôle important dans leur pays et dans les relations franco-américaines ». Ces séminaires (séjours payés) sont l’un des instruments du Soft Power américain… Et ce descriptif n’est pas tiré du Monde Diplomatique, mais de la très gauchiste encyclopédie Wikipédia !
Voilà donc, une championne du Soft Power américain qui vient nous mettre en garde contre le Soft Power russe… Quoi de plus normal ! La Guerre froide bat toujours son plein ! Toujours est-il que les papiers de Sylvie Kauffmann restent très, très ennuyeux et qu’ils ne contribuent pas à rehausser la réputation du Monde. Dans ce contexte, le président de la République s’alarme – à juste titre – de la prolifération des Fake News, mais sans qu’on ne comprenne bien encore qui va séparer le bon grain de l’ivraie. Quant aux Fake Analyses, comme par exemple l’éloge de Tariq Ramadan, on ne voit pas non plus qui et quelle instance ou quel algorithme pourra nous en prémunir !
La révolution numérique nous aurait-elle rendu à ce point stupide qu’on devrait désormais réduire la recherche de la vérité à la quête d’une substance relevant exclusivement d’une opinion strictement dualiste : j’aime/j’aime pas ! Fake News : ce produit d’importation américain est certainement le dernier symptôme d’une hégémonie culturelle de masse qui cherche à maintenir la « Vieille Europe » (comme disait Donald Rumsfeld !) dans une condition de colonialisme servile et amnésique. Le statut de la vérité ? C’est tout simplement l’objet de toute l’histoire de la raison occidentale qui, des pré-socratiques à Descartes, Spinoza, Kant, jusqu’à Pierre Bourdieu, Alain Badiou ou Frédéric Lordon, motive ce qu’on appelle les sciences humaines et leurs histoires. C’est une évidence, mais faut-il le rappeler régulièrement : l’information – l’histoire immédiate – n’est pas une science exacte !
A ce propos, notre « chroniqueuse » devrait lire – une fois dans sa vie – La Formation de l’esprit scientifique de Gaston Bachelard. Elle y apprendrait moult choses bien utiles à l’exercice de sa profession, notamment sur le « statut, organiquement historique, de l’erreur et de la vérité. Elle s’est ennuyée devant Russia Today ! En la matière, elle ferait bien d’observer la même vigilance à l’ensemble de l’offre audiovisuelle, notamment à l’égard des journaux télévisés de France-2, TFI ou France-24. Ne parlons pas de la propagande d’Israël-24, la chaîne du Likoud créée par un ancien cadre de Radio France Internationale (RFI)…
Curieusement, ces « médias » ne soulèvent jamais la moindre espèce de critique, comme si leurs médiocrité et partialité faisaient partie intégrante de notre culture de pays libres, démocratiques et défenseurs des droits humains… Pour notre part, ces différentes chaînes nous ennuient tellement qu’on ne les regarde même plus. Une grande partie de la jeunesse aussi !
Pour rester constructif, on ne saurait que conseiller à la « chroniqueuse » du Monde, une autre lecture supplémentaire (lire la critique de Jean Daspry dans nos BREVES) : celle du dernier livre d’Hélène Carrère d’Encausse3. Celui-ci développe trois idées fortes : dans sa longue histoire, la France éternelle a toujours considéré la relation avec Moscou comme une alliance de revers nécessaire afin de contrebalancer une Allemagne trop puissante ; c’est lorsque les relations se tendent avec un pays qu’il faut multiplier avec lui les initiatives de Soft Power ; enfin, la Russie demeure un grand pays qui fait partie de l’Europe continentale, celle qui s’étend de l’Atlantique à l’Oural ! Bonne lecture.
Etienne Pellot
1 Le Monde du jeudi 11 janvier 2018.
2 Sylvie Kauffmann : « Tariq Ramadan, l’exception française ». Le Monde du 13 mai 2013.
3 Hélène Carrère d’Encausse : Le Général de Gaulle et la Russie. Editions Fayard, décembre 2017
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Source : Proche & Moyen Orient, Etienne Pellot, 15-01-2018