Soutien à la rébellion du Donbass : La fin du « Trop peu, trop tard ! »
Comme j’avais osé le craindre sous mon devoir de réserve lors des précédents SITREP, la ville de Krasni Liman est tombée aux mains des forces ukrainiennes au lendemain de la déclaration de rattachement à la Fédération de Russie de la République Populaire de Donetsk dont elle fait partie.
De jure, les forces ukrainiennes ont donc envahi une ville russe !
Ce nouveau recul des forces alliées sur le front russo-ukrainien n’est pas, loin s’en faut, une catastrophe stratégique qui scellerait le cours futur des opérations militaires, mais cependant c’est un événement suffisamment grave pour le Kremlin car il constitue à la fois:
- un revers militaire, du fait de l’importance stratégique de Krasni Liman sur ce front Nord Donbass car il menace d’un effondrement la ligne de front constituée sur le rivière Donets et libère les forces de réserve du corps de bataille ukrainien de Slaviansk.
- un affront politique, car depuis le 30 septembre cette ville comme toutes les localités des régions de Donetsk, Lougansk, Zaporodje et Kherson est une ville de la Fédération de Russie qui vient de lancer un ultimatum au pouvoir de Kiev pour qu’il cesse le combat.
Nous allons donc assister probablement à une réaction violente à la fois sur le front contre les forces ukrainiennes mais aussi probablement à une « réforme » organique radicale autour de cette stratégie russe qui, n’en déplaise aux courtisans manichéistes, a montré depuis 7 mois qu’elle ne parvenait pas à ses objectifs assignés soit parce qu’elle est inadaptée à la dynamique des opérations militaires dopées et menées par l’OTAN, soit parce qu’elle est mal conduite sur le terrain, souffrant d’une rigidité atavique notamment de ses chaînes de commandement et logistique et qui est incompatible avec les exigences d’un combat moderne fondé sur l’initiative des décisions, la rapidité de l’exécution et la mobilité des moyens.
Cela dit, « rien de nouveau sous le soleil » et l’Histoire nous apprend qu’à chaque fois que se découvre un nouveau type de guerre, cela provoque des réformes radicales et urgentes en cours d’action et qui peuvent même conduire à des « purges » dans les Etats Majors lorsqu’ils sont incapables de s’adapter aux situations nouvelles. Je n’en veux pour mémoire que la purge du commandement militaire français réalisée par le général Joffre en 1914 après l’enfoncement du front. Face à l’impéritie des Etats Majors face un nouveau type de guerre moderne, 162 généraux seront relevés de leur commandement et mutés dans des placards militaires au fin fond du pays, ce qui donnera naissance au terme « limogeage ».
Car l’armée n’apprend véritablement que sur le champ de bataille réel, les manœuvres et exercices qui précédent les conflits n’ayant pour seules conséquences que de renforcer l’entrainement des unités dans le confort d’une croyance stratégique dogmatique ânonnée dans l’onanisme fainéant des écoles de guerre et du népotisme des affectations. A part les entrainement de certaines unités d’élites et forces spéciales, le soldat sur les terrains de manœuvre n’apprend pas la guerre, il ne fait qu’un exercice militaro-médiatico-politique qui se déroule toujours bien !
Depuis 7 mois, à l’exception du front situé entre la Crimée et le Dniepr (régions de Kherson et Zaporodje) et confié en février et mars à la 58ème armée, les 2 phases stratégiques initiales russes n’ont pas pleinement atteint leurs objectifs militaires et ont échoué dans leurs objectifs politiques, donnant ainsi une force psychologique aux forces ukrainiennes. Je ne reviendrai pas ici sur les différentes raisons internes et externes (sous évaluation de l’ennemi, sous effectifs engagés, dispersion des forces, limitation des cibles stratégiques, mobilisations ukrainiennes, aides occidentales, co-belligérance de l’OTAN…) qui ont conduit à cette situation actuelle où l’initiative opérative est même passée depuis le 27 juillet dans le camp ukrainien.
Mais il apparait que les deux plus importants défauts observés du côté russe sont une « retenue » dans les moyens de destruction engagés et une lenteur de réaction au niveau du commandement militaro-politique. Si le premier peut s’expliquer par l’intention initialement juste coercitive des opérations militaires russes et qui voulaient faire plier le pouvoir kiévien vers un retour à une neutralité politico-militaire de l’Ukraine frontalière, en revanche le second relève d’un atavisme obsolète et profond d’une chaine de commandement rigide où l’anticipation et l’initiative restent mentalement considérées comme hérétiques. Ce même « défaut dans la cuirasse » existe aussi au sein d’une bureaucratie russe momifiée dans une paperasserie cauchemardesque et qui, comme la chaîne commandement militaire, établit ses procédures sur 2 piliers : la peur du chef et la suspicion du subalterne !
Lorsque le président Poutine arrive au pouvoir, il a pleinement conscience de cette lourdeur systémique et contre productive (à laquelle s’ajoute d’autre tares comme la corruption et le népotisme) et il entame alors au milieu du délabrement organisé par ses prédécesseurs des réformes profondes (mais toujours en cours) tout en dénonçant dans un style typiquement russe cette mentalité inepte qui ronge la société jusqu’aux forces régaliennes chargées de sa sécurité :
« J’ai toujours dit: il n’y a rien de mieux que la vérité exprimée, bien qu’amère, offensante, mais la vérité. C’est la seule façon d’avancer. Par conséquent, je ne peux pas garder le silence sur ce qui s’est passé à Krasny Liman.
La défense de ce secteur était dirigée par le commandant du district militaire central, le colonel général Alexander Lapin. Ce même Lapin, qui a reçu l’étoile du héros de Russie pour la prise de Lisichansk, bien que de facto qu’il n’y soit pas et n’y était pas là. Lapin a également été nommé au commandement des troupes du district militaire de l’Ouest.
Le colonel général a déployé des combattants mobilisés de la LPR et d’autres unités sur toutes les frontières de la direction de Liman, mais ne leur a pas fourni les communications, l’interaction et l’approvisionnement en munitions nécessaires. Il y a deux semaines, le commandant général de division des forces spéciales d’Akhmat, mon cher frère Apty Alaudinov, m’a personnellement signalé que nos combattants pourraient devenir une cible facile. À mon tour, j’ai informé Valery Gerasimov, le chef d’état-major général des forces armées de la Fédération de Russie, du danger. Mais le général m’a assuré qu’il n’avait aucun doute sur le talent de leadership de Lapin et ne croyait pas qu’une retraite était possible à Krasny Liman et ses environs.
Une semaine plus tard, Lapin déplace son quartier général à Starobelsk, à une centaine de kilomètres de ses subordonnés, alors que lui-même siège à Lougansk. Comment gérer rapidement des unités à 150 km d’elles ? En raison du manque de logistique militaire élémentaire, nous avons aujourd’hui abandonné plusieurs localités et un grand morceau de territoire.
Mais le pire ce n’est pas que Lapin soit médiocre. C’est le fait qu’il soit couvert au sommet par les chefs de l’état-major général. S’il n’en tenait qu’à moi, j’aurais rétrogradé Lapin au rang de soldat, je l’aurais privé de ses décorations et, une mitrailleuse à la main, je l’aurais envoyé au front pour laver sa honte avec du sang.
Le népotisme de l’armée ne mènera pas au bien. Dans l’armée, il faut nommer des personnes de caractère fort, courageuses, de principes, qui s’inquiètent pour leurs combattants, qui s’arrachent les dents pour leurs soldats, qui savent qu’un subordonné ne peut pas être laissé sans aide et sans soutien. Il n’y a pas de place pour le népotisme dans l’armée, surtout dans les moments difficiles.
Nous n’en avions pas assez après (la perte d’) Izioum ? Même moi alors, j’avais demandé: tirez sur la concentration militaire de l’ennemi dans Izioum capturée par les nazis, d’autant plus que notre artillerie à l’époque avait une telle opportunité. Ils auraient éliminé les principaux satanistes et fascistes d’un coup. Il faut réaliser les opérations militaires spéciales au sens plein du terme, et non flirter. Utilisez toutes les opportunités et toutes les armes pour défendre NOTRE territoire. Donetsk est toujours bombardé. Les résidents des 4 territoires réunis veulent être protégés.
Je ne sais pas ce que le ministère russe de la Défense rapporte au commandant en chef suprême, mais à mon avis, des mesures plus drastiques devraient être prises, jusqu’à la déclaration de la loi martiale dans les zones frontalières et l’utilisation de petites armes nucléaires tactiques. Il n’est pas nécessaire de prendre toutes les décisions en tenant compte de la communauté ouest-américaine – elle l’a déjà dit et fait beaucoup contre nous.Hier, il y avait un défilé ukrainien à Izioum, aujourd’hui un drapeau à Liman, et demain ?
Tout irait bien si ce n’était pas si grave. »
Du côté de Krasni Liman
Sur le terrain, la situation autour de Krasni Liman est très difficile, les forces alliées ayant subi des pertes importantes dans les combats défensifs et dans leur repli en direction de Kreminna (20 km à l’Est) sous les feux de l’artillerie ukrainienne.
Le député de la Douma et général à la retraite Andrey Gurulyov qui, après avoir commandé la 58ème armée était le Commandant adjoint du district militaire Sud (région de la Mer Noire) jusqu’en 2019 dit dans un ton également accusatoire « ne pas comprendre comment la chute de Krasni Liman n’a pu être évitée » et 3 semaines après le choc initial sur Balaklaïa.
Beaucoup d’hommes et de matériels ont été laissés sur le terrain, les renforts sont arrivés « trop peu et trop tard »… comme toujours depuis 7 mois…
Où se déclenchera le tsunami russe ?
Il est bien sûr difficile de spéculer sur le secteur et la date de l’inévitable réaction militaire russe qui non seulement a été politiquement annoncée mais dont la préparation concrète connaît une accélération massive et rapide depuis la mi septembre.
Sur le front de Kharkov ?
Possible car il est impératif pour Moscou de récupérer les territoires perdus pour la sécurité des populations, poursuivre la destruction du corps de bataille ukrainien du Nord Donbass qui reste le plus important des forces ukrainiennes, de poursuivre la libération du Donbass et aussi de laver l’humiliation subie.
Sur le front de Donetsk ?
Ce serait significatif mais peu rapide car du secteur de Gorlovka à celui de Dokuchaievsk, une offensive frontale sur les positions ukrainiennes qui sont parmi les plus fortifiées du front serait longue et coûteuse. On peut cependant s’attendre à des campagnes de bombardements intenses sur les positions ukrainiennes.
Sur le front de Zaporodje ?
Ce front, qui est resté le plus stable depuis 5 mois est une inconnue car il peut être le théâtre d’opérations offensives, aussi bien de la part des forces ukro-atlantistes par exemple en direction de Volnovakha, Melitopol ou Energodar (où se situe la centrale nucléaire de Zaporodje) que des forces alliées, en direction de Zaporodje.
Sur le front de Kherson ?
Sur ce front la probabilité de voir être lancée une contre-offensive russe est grande et pour plusieurs raisons : épuisement des forces ukrainiennes dans des attaques suicidaires menées depuis fin juillet sur la tête de pont russe au Nord du Dniepr, objectifs stratégiques majeurs, notamment Nikolaïv et Odessa et étirement des lignes logistiques ukrainiennes dont les forces se sont concentrées au Nord,
Les moyens des forces russes dont l’engagement maximal est désormais rendu possible grâce au changement de statut des régions de Kherson à Lougansk donne aussi le possibilité à l’Etat-Major russe d’engager concomitamment plusieurs offensives pour fixer sur leurs secteurs et détruire localement les forces ukrainiennes.
Ce qui est aujourd’hui certain, c’est que la chute de Krasni Liman a touché le nerf patriotique russe. « Ré zo ré ! » comme on dit en Bretagne, trop c’est trop et ce nouveau revers met fin définitivement à cette stratégie du « trop peu, trop tard » que je dénonce avec d’autres personnes libres de tout fantasme servile, depuis… fin mars 2022.
« Mieux vaut tard que jamais » dit-on mais cela ne nous fera pas oublier tout ce temps et ces vies perdues depuis 8 ans et 7 mois !
La Russie toujours poussée par le bellicisme anglo-étasunien vers le chemin du chaos est aujourd’hui devant les ruines de sa patience et n’a plus d’autre choix que de lancer contre son ennemi mortel une charge radicale et sans pitié.
Erwan Castel
Source : Soutien à la rébellion du Donbass : La fin du « Trop peu, trop tard ! »