Tout le monde s’est laissé prendre aux mensonges sur le Venezuela

Par Lee Camp
Paru sur Truthdig sous le titre Everyone has fallen for the lies about Venezuela


Le socialisme, l’abandon du dollar et une abondance de ressources naturelles locales sont les trois crimes qui poussent généralement les États-Unis à renverser un gouvernement étranger.

Et ce sont les raisons pour lesquelles ils commanditent le coup d’État au Venezuela.
Il y a trois choses dont je suis sûr dans cette expérience capricieuse et parfois peu glorieuse que nous appelons la vie :

  • Vous n’avez jamais d’épingle de sûreté quand vous en avez besoin, et vous n’avez que ça quand vous n’en avez pas besoin.
  • Les animaux sauvages sont d’une beauté à couper le souffle, tant qu’ils ne sont pas en train de grimper sur votre jambe de pantalon.
  •  Une administration présidentielle américaine n’admettra jamais qu’elle a envahi/soutenu une tentative de coup d’État dans un autre pays pour voler les ressources naturelles (pétrole) de ce pays.

C’est pourquoi il a été si frappant, la semaine dernière, que des membres de l’administration Trump aient ouvertement admis soutenir une tentative de coup d’État visant essentiellement à voler les ressources naturelles (pétrole) d’un autre pays.

Ce pays, c’est le Venezuela. J’y reviendrai dans un instant.

Prenons une seconde pour passer en revue les trois grands crimes. Il y a trois critères qui semblent inciter les acariâtres États-Unis à renverser ou à renverser un gouvernement étranger, quel qu’en soit le prix en vies civiles innocentes. (Si le nombre de décès est suffisant, les auteurs sont d’ailleurs souvent nominés au prix Nobel de la paix). Si votre pays remplit l’une des conditions, les États-Unis pourraient vous causer quelques migraines. Si votre pays en remplit deux, les États-Unis vont à coup sûr vous causer des migraines. Si votre pays les remplit toutes les trois, il vaudrait mieux que vous ayez un gros stock d’aspirine pour soulager les migraines que les USA vous causent déjà.

1. Être socialiste.

Cela se passe d’explications. Si vous n’avez pas le même système économique que nous, c’est comme si vous aviez des bonbons et que nous n’ayons pas le droit d’en avoir. Alors nous glissons des lames de rasoir dans les vôtres et nous disons à tout le monde que vos bonbons tuent.

2. Abandonner le dollar américain.

L’Irak a laissé tomber le dollar. Nous l’avons envahi.
La Syrie a laissé tomber le dollar. Nous l’avons envahie.
L’Iran a laissé tomber le dollar. Nous voulons l’envahir.
La Libye avait prévu de laisser tomber le dollar. Nous l’avons envahie.
Le Pakistan a laissé tomber le dollar dans ses échanges commerciaux avec la Chine, et les États-Unis l’ont ajouté à la liste des pays qui violent la liberté religieuse. (Je suppose qu’on pourrait dire qu’ils ont effectivement violé notre religion : le dollar.)

Fondamentalement, nous autres, les USA, n’aimons pas trop les pays qui laissent tomber le dollar.

Dans d’autres informations sans rapport avec ce qui précède, le Venezuela a laissé tomber le dollar.

3. Avoir du pétrole ou d’autres ressources naturelles dont les États-Unis ont besoin.

Au cas où vous voudriez le savoir, le Venezuela possède les plus grandes réserves de pétrole du monde. (Mais nous n’avons pas encore vérifié celles du nord du Wyoming, parce que c’est une longue route glaciale sans presque un magasin 7-11).

Ce sont donc les trois raisons RÉELLES pour lesquelles les États-Unis ont fomenté une tentative de coup d’État au Venezuela au cours des dernières semaines. Et en ce moment même, vous tombez dans l’une des deux catégories suivantes. Soit vous vous dites : « Bien sûr que ce sont les raisons. Ce sont les seules raisons pour lesquelles les États-Unis essaient de faire tomber des gouvernements. »

Ou bien, vous avez encore une foi étrange, profondément enracinée en nos médias détenus par Pepsi et l’industrie pharmaceutique, et donc vous vous dites : « Ce n’est pas vrai. Les États-Unis soutiennent l’opposition au Venezuela parce que nous voulons aider ces pauvres gens affamés. » Alors que si c’était vrai, nous ferions des pieds et des mains pour aider des gens affamés et malades dans le monde entier. Au lieu de cela, nous ne cherchons à les aider (bizarrement) que lorsqu’ils ont du pétrole sous les pieds. Et en fait, les données l’ont prouvé. Une étude réalisée il y a quelques années par les universités de Portsmouth, Warwick et Essex a démontré qu’une intervention étrangère dans des conflits civils internes d’un pays est cent fois plus probable si le pays a beaucoup de pétrole que s’il n’en a pas.

Alors, qui fait croire aux Américains moyens que l’engagement des USA au Venezuela vise à aider les gens ? Tous les médias, voilà qui. CHAQUE chaîne de médias grand public en Amérique — de MSNBC à Fox News en passant par NPR et autres. C’est vraiment stupéfiant de voir des soi-disant « libéraux de gauche » marcher au même pas que John Bolton, Elliott Abrams, Donald Trump et tous les néocons vivants en ce moment.

Ces organes se mettent littéralement à écumer en présentant des reportages selon lesquels le peuple vénézuélien est affamé, mais ils évitent à dessein de mentionner qu’en grande partie, les souffrances du Venezuela sont dues aux sanctions américaines. Entendons-nous bien, cela ne veut pas dire que le président du Venezuela, Nicolás Maduro, ait fait un travail remarquable. Mais quoi qu’il en soit, dire qu’il faut les sanctionner pour les aider, c’est comme si quelqu’un tombait à travers une fenêtre en verre et que vous disiez : « Aidons-le ! Commençons par lui arracher les éclats de verre de la peau avec ce tournevis rouillé que j’ai trouvé dans une mine abandonnée ! Puis nous verserons du soda sucré et de l’eau d’égout dans les plaies pour les aider à guérir ! »

Mais c’est comme ça que sont conçues nos sanctions. Elles sont essentiellement et sciemment prévues pour avoir le plus gros impact possible sur les plus pauvres et les classes moyennes, afin de les mettre en colère et les inciter à se rebeller. Il y a plus d’un an, lorsque Rex Tillerson était secrétaire d’État, il avait déclaré publiquement sa satisfaction à propos des sanctions contre la Corée du Nord, qui selon lui, fonctionnaient très bien parce que des cadavres décharnés de pauvres pêcheurs nord-coréens morts de faim avaient été retrouvés sur des plages. (On est perplexe face à la difficulté, parfois, de faire le distinguo entre « l’aide à d’autres pays » et le meurtre de masse.)

Les sanctions ne sont pas des bombes intelligentes. Elles détruisent tout le monde, sauf les riches, qui ont assez d’argent pour ne pas souffrir des sanctions. Maintenant que j’y pense, les sanctions sont un peu comme des bombes intelligentes. On nous dit qu’elles ne vont frapper que les méchants, mais en fait, les « bombes intelligentes » tuent toutes sortes de civils innocents, tout comme les sanctions.

De plus, « l’aide humanitaire » américaine que nous prétendons envoyer n’est pas ce qu’elle paraît. Même NPR a rompu avec son rôle traditionnel de sténographe-stagiaire du Département d’État pour révéler que « l’aide humanitaire » prévue est en fait destinée à fomenter un changement de régime. Et McClatchy a révélé la semaine dernière que la compagnie de fret aérien privée 21 Air LLC, basée en Caroline du Nord, a effectué 40 vols secrets vers le Venezuela au cours du mois dernier, et le gouvernement vénézuélien a affirmé que les vols étaient remplis à ras bord d’armes et de munitions destinées aux forces d’opposition. (Nous pensions que les Vénézuéliens affamés allaient se cuisiner un ragoût aux balles de fusil-mitrailleur, semble-t-il). Pour aggraver les choses, deux dirigeants de la compagnie ont des liens avec une autre compagnie de fret aérien qui dans le passé, a aidé la CIA à « envoyer » des terroristes présumés vers des sites de détention dits ‘noirs’ pour « interrogatoire » (lire : torture).

(Lee Camp : « M…e alors. NPR vient de dire la vérité sur le #Venezuela. Un rédac’ chef pourrait se faire virer avec un coup comme ça. 

NPR : « Les efforts des USA pour distribuer des tonnes de nourriture et de médicaments à des Vénézuéliens dans le besoin visent également à fomenter un changement de régime — c’est pourquoi de nombreux groupes humanitaires ne veulent pas y être mêlés.) 

Le prochain élément de propagande amoureusement placé sur un piédestal par nos bots des médias grand public est simplement d’appeler Juan Guaidó le « président intérimaire » sans mentionner qu’il n’a pas été élu à ce poste et que seulement 30 des 200 nations de la planète le reconnaissent comme tel. Il s’est seulement autoproclamé président. La dernière fois que j’ai vérifié, ce n’est pas vraiment de cette façon que les gouvernements fonctionnaient. Mais admettons. Dans ce cas, je me déclare gouverneur de… disons de l’Idaho. Personne ne le remarquera, de toutes façons. Moi-même, je ne sais pas qui est le gouverneur de l’Idaho. Un hérisson en nœud papillon, sûrement.

Il y a beaucoup d’autres choses que CNN, MSNBC, Fox News et tous les autres ne veulent pas que vous sachiez sur Juan Guaidó. Par exemple, jusqu’à ce qu’il se proclame président, 81% des Vénézuéliens n’avaient jamais entendu parler de lui, selon un sondage mené par la firme vénézuélienne Hinterlaces. Et il n’a remporté son siège à l’assemblée qu’avec 26% des voix. Pour gagner des élections dans n’importe quel pays, il faut en général que plus de 20 % de la population ait entendu parler de vous. Mr Bean est plus connu au Venezuela que Juan Guaidó.

En plus de cela, Guaidó est allé à l’Université George Washington. Comme l’a rapporté The Grayzone Project, « [en 2007] il a déménagé à Washington, D.C., pour s’inscrire au Governance and Political Management Program (Programme de gouvernance et de gestion politique) de l’université George Washington, sous la direction de l’économiste vénézuélien Luis Enrique Berrizbeitia, l’un des principaux économistes néolibéraux d’Amérique latine. Berrizbeitia est un ancien directeur exécutif du Fonds monétaire international. »

Guaidó s’est rendu à l’université GW, a été formé sous la direction de Monsieur FMI, puis nous l’avons déclaré président du Venezuela. C’est comme étudier le karaté, s’entraîner sous la direction d’Henry Kissinger, puis se faire proclamer roi du Japon par les États-Unis.

Mais cela ne s’arrête pas là, selon Grayzone :

« Juan Guaidó est le produit d’un projet vieux d’une décennie supervisé par l’élite des experts ès changement de régime de Washington. Tout en se faisant passer pour un champion de la démocratie, il a passé des années à l’avant-garde d’une violente campagne de déstabilisation. »

En outre, Juan Guaidó a déjà dit qu’il voulait vendre le pétrole vénézuélien à des compagnies étrangères et laisser revenir le FMI, ce qui asphyxierait le pays par la dette.

C’est donc un pion américain qui a été formé par le FMI pour s’emparer du Venezuela et brader ses ressources naturelles. Quel piège. Mais si c’est ce que le peuple vénézuélien veut vraiment, nous devons respecter sa volonté. Les médias grand public nous disent bien que c’est ce que les gens veulent, n’est-ce pas ?

Sauf que ce n’est pas le cas.

« Selon une étude menée au début janvier 2019, 86 % des Vénézuéliens seraient en désaccord avec une intervention militaire internationale », a rapporté Ben Norton de Grayzone le mois dernier. « Et 81% s’opposent aux sanctions américaines, qui ont gravement sapé l’économie du pays. »

Ainsi, d’après le sondage Hinterlaces, la plupart des Vénézuéliens ne connaissaient pas Guaidó jusqu’à récemment. La plupart des Vénézuéliens continuent de soutenir Maduro même s’ils pensent que la corruption au sein du gouvernement a augmenté (que vous aimiez Maduro personnellement ou non n’a pas d’importance), et la plupart des Vénézuéliens ne veulent ni intervention militaire, ni sanctions américaines. Pourtant, CNN, NPR, Fox News, la BBC et tous les autres médias grand public vous feront croire que tout le monde meurt de faim, et prie à genoux pour que les bombes démocratiques américaines pleuvent sur leur pays comme des billets de banque dans un club de strip-tease.

Mais j’ai peut-être tort. Peut-être que ces gens ont vraiment besoin de notre aide, et que l’intervention des États-Unis aura des résultats formidables — exactement comme en Syrie,
et au Yémen,
et en Irak,
et en Iran,
et en Afghanistan,
et au Chili,
et au Honduras,
et à Haïti,
et en Somalie,
et en Libye,
et au Guatemala,
et au Nicaragua,
et en Colombie,
et au Panama,
et à Fraggle Rock,
et sur ces arbres où vivaient les EWOKS !

Maintenant que nous avons une compréhension générale de la situation, revenons à la question du pétrole.

Quand j’ai commencé à écrire ceci, je n’avais pas la preuve que le gouvernement américain voulait le pétrole du Venezuela ; c’était juste une intuition. Un peu comme quand on met un ballon dans la même pièce qu’un porc-épic : on a l’intuition qu’à un moment ou à un autre, il le fera éclater. Mais je n’avais pas lu de citation d’un haut fonctionnaire de l’administration Trump disant : « Nous aimerions prendre leur pétrole. »

Le conseiller à la sécurité nationale, John Bolton (dit « la moustache tueuse »), s’est dépêché de combler cette lacune. Sur Fox News, il a déclaré clairement : « Cela fera une grande différence pour les États-Unis sur le plan économique si les compagnies pétrolières américaines peuvent investir dans, et produire du pétrole du Venezuela ».

En patois washingtonien, ça veut dire « nous voulons leur pétrole ».

Depuis 20 ans, les USA essaient de détruire le Venezuela, et le gouvernement répète toujours la même rengaine : « Nous voulons aider les gens. Nous nous soucions de leur démocratie. Ils ont une inflation terrible, et c’est pourquoi nous devons les libérer en larguant nos bombes sur leur tête. » Ils ont ressorti ces foutaises sous Bush, Obama et maintenant Trump. Les officiels ne disent jamais simplement : « Oui, ils ont des tonnes de pétrole, et on les veut. »

Et aujourd’hui, enfin, voilà. Les oripeaux d’humanitarisme dont la volonté de domination néolibérale américaine s’entourait ont disparu. (Ironiquement, la fausse moustache a été arrachée pour révéler une moustache encore plus grande.)

Et c’est incroyable de voir à quel point Bolton parle sur un ton monocorde et prosaïque. Un coup d’État soutenu par les États-Unis se solde souvent par de terribles violences et des dizaines de milliers d’innocents tués. C’est un vrai crève-cœur, quel que soit le camp que vous soutenez. Parfois, ça finit par la prise de contrôle d’une junte militaire brutale. Pourtant, John Bolton en discute sur le ton de quelqu’un qui se demande s’il va prendre de la crème glacée au chocolat ou de la tarte aux pommes comme dessert. (« Hmmm, la mort possible de cent mille personnes ? Ça a l’air bien – je vais prendre ça. »)

C’est d’autant plus horrifiant que ces politiques sont décidées par des malades non élus comme Elliot Abrams, Mike Pompeo et John Bolton. Trump a nommé Abrams envoyé spécial pour le Venezuela, bien qu’il ait un CV à faire pâlir d’envie Josef Mengele. Et ce qui est encore plus stupéfiant, c’est de voir des liberati de gauche comme les Démocrates du Congrès faire la queue pour soutenir les arguments des chefs de guerre de droite (les belligerati) comme Bolton, Abrams, Pompeo, Trump, Hannity et presque chaque Républicain du Congrès. Les montagnes de propagande empilée sont étouffantes (l’air est plus rare à ces sommets).

Pire encore – le Wall Street Journal a publié que la poussée américaine visant à évincer Maduro n’est que la première étape d’un plan de l’oligarchie pour remodeler l’Amérique latine. Il s’avère que la sociopathie est addictive. Notre empire américain ne connaît pas de limites à ses désirs de reconstruction de nations (après les avoir détruites).

Le peuple vénézuélien mérite l’autodétermination, peu importe ce que vous pensez du gouvernement actuel. La dernière chose qu’il faut à son pays est d’être transformé en parking néoconservateur/néolibéral d’où l’Amérique lui arrachera toutes ses ressources en appelant cela de la « liberté ».

Heureusement, de nombreux signes indiquent déjà que cette tentative de coup d’État américaine est en train de faire long feu.

Lee Camp est un satiriste politique, écrivain, acteur et activiste américain. Il anime l’émission satirique hebdomadaire Redacted Tonight sur RT America. Il a écrit pour The Onion et le Huffington Post. 

Traduction Entelekheia

Notes de la traduction :

1) Pour situer rapidement le personnage, un tweet sur Elliott Abrams, l’assistant au Secrétaire d’Etat « envoyé pour le Venezuela » :

(Michael Tracey : « Elliott Abrams a utilisé « l’aide humanitaire » comme prétexte pour armer des escadrons de la mort au Nicaragua dans les années 1980. Et aujourd’hui, nous sommes censés croire que « l’aide humanitaire » qu’il envoie au Venezuela est purement destinée à soulager la souffrance des gens. C’est une blague ? »)

2) Et un tweet pour comprendre une des tactiques de « changement de régime » employées par les USA (celle-ci nécessite le soutien des médias) :

(Venezuelanalysis : « Guaido est en ce moment en Colombie, en contravention d’un jugement de la Cour suprême qui lui interdit de quitter le pays. Donc, va-t-il faire face aux conséquences légales qu’il encourt s’il rentre ? S’il n’arrive pas à faire entrer l’aide au Venezuela, rentrera-t-il ? »)

S’il rentre et que la loi est appliquée, les USA hurleront à « l’emprisonnement politiquement motivé du leader légitime par le régime Maduro ». S’il rentre sans que Maduro ou la Cour suprême ne demandent sa mise en détention, les Américains l’interprèteront comme un aveu de faiblesse et peut-être même un aval implicite de leur « président par intérim », ce qui les conduira à durcir leurs pressions. A tous les coups l’on gagne… Sauf peut-être cette fois. 

via Tout le monde s’est laissé prendre aux mensonges sur le Venezuela

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