Amiante: une vingtaine de dossiers bientôt abandonnés ?

Source : Le Figaro

En se basant sur une expertise judiciaire diligentée en 2016, le parquet de Paris estime que le diagnostic d’une pathologie liée à l’amiante ne permet pas de dater l’exposition des salariés à la substance néfaste.

Coup de tonnerre dans le scandale de l’amiante: le ministère public demande la fin des investigations dans plusieurs enquêtes pénales, considérant qu’il est impossible de déterminer avec certitude quand les victimes ont été intoxiquées. Une décision qui pourrait ouvrir la voie à des non-lieux dans une vingtaine de dossiers. «Le diagnostic d’une pathologie liée à l’amiante fait la preuve de l’intoxication, mais ne permet pas de dater l’exposition ni la contamination», a estimé le 13 juin le parquet de Paris dans ses réquisitions dévoilées par Le Monde et dont l’AFP a eu connaissance.

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Une analyse qui s’aligne sur celle défendue par les juges d’instruction chargés de ces dossiers: les magistrats ont estimé, dans une ordonnance rendue le 9 juin, que «cet aléa dans la date des faits ne pourra pas permettre de conduire des investigations ciblées et efficaces de nature à réunir des charges qui pourraient être imputées à quiconque». En clair, qu’ils ne pouvaient présenter d’éléments suffisamment précis pour justifier un renvoi des protagonistes devant les tribunaux.

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«C’est un scandale absolu d’arriver à une telle conclusion après 20 ans d’instruction», s’est indigné François Desriaux, l’un des porte-paroles de l’Andeva (Association nationale de défense des victimes de l’amiante). Le parquet et les magistrats instructeurs appuient leur analyse sur une expertise judiciaire diligentée en 2016 afin d’établir les liens entre la fibre cancérogène, interdite en France depuis 1997, et certaines maladies. Rendue au début de l’année, «cette expertise dit le contraire de ce que la justice veut aujourd’hui lui faire dire», a estimé Me Sylvie Topaloff, l’un des conseils de l’Andeva. «Selon les experts, dès que l’on a été exposé, on a été contaminé. C’est aberrant que les magistrats aient une lecture diamétralement opposée», a-t-elle ajouté.

Une décision «historique»

À ses yeux, la portée de cette décision du parquet est «historique» car elle signifie qu’«aucun responsable qui expose ses salariés à un produit cancérogène ne peut être poursuivi vu que l’on ne connaît jamais la date précise d’une contamination». Les non-lieux qui pourraient être prononcés concernent une vingtaine de dossiers actuellement instruits au pôle de santé publique de Paris: celui de la société Eternit, premier producteur français d’amiante-ciment jusqu’à l’interdiction de la fibre, de l’usine de Condé-sur-Noireau dans le Calvados, de l’entreprise Everite implantée par Saint-Gobain, des anciens chantiers navals de la Normed à Dunkerque ou encore du campus de Jussieu.

Dans les cas de Jussieu et la Normed, la justice doit se prononcer le 15 septembre sur les mises en examen de plusieurs protagonistes. «Il y a fort à craindre, au vu des réquisitions du parquet, que ces mises en examen soient annulées et que là encore on aboutisse à un non-lieu», a relevé François Desriaux. Il a annoncé que l’Andeva ferait «immédiatement appel lorsque les ordonnances de non-lieu seront prononcées». Selon les autorités sanitaires qui imputent à l’amiante 10 à 20% des cancers du poumon, l’exposition à cette fibre pourrait provoquer jusqu’à 100.000 décès d’ici à 2025. D’après l’Andeva, 3.000 personnes meurent chaque année.

L’affaire a éclaté sur le front pénal à la suite d’une plainte pour homicides et blessures involontaires déposée par d’anciens salariés d’Eternit en 1996 (BIEN 1996). Depuis, cette bataille judiciaire a donné lieu a une multiplicité de procédures. Les victimes de l’amiante ont essuyé un revers important en 2015 quand la Cour de cassation a remis en cause la responsabilité des décideurs publics dans l’ensemble des dossiers. La haute juridiction a confirmé l’annulation de la mise en examen de plusieurs hauts fonctionnaires, dont l’ex-ministre Martine Aubry, un temps mise en cause pour son rôle entre 1984 et 1987 au ministère du Travail, en tant que directrice des relations du travail.

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