“Nous savons où vivent vos enfants” : Comment John Bolton a menacé un fonctionnaire international. Par Mehdi Hasan

Des nouvelles de la Démocratie américaine…

Source : The Intercept, Mehdi Hasan, 29-03-2018

Qui de mieux placé pour conseiller la brute en chef, Donald Trump, sur le moment de faire la guerre et de tuer des gens qu’une autre brute ? Il est difficile, après tout, d’éviter l’étiquette – celle d’une brute – lorsqu’on pense à John Bolton, l’ancien fonctionnaire de l’administration Bush, devenu expert de Fox News, que Trump a récemment choisi comme conseiller en matière de sécurité nationale.

« John Bolton est un bourreau », m’a dit José Bustani, diplomate brésilien à la retraite et ancien chef de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, lorsque je l’ai contacté par téléphone à Paris au début du mois.

Il y a un certain nombre de personnes qui prétendent avoir été harcelés ou intimidées par Bolton – y compris Bustani. Les critiques de ce dernier à l’égard du célèbre faucon moustachu sont publiques depuis de nombreuses années, mais certains détails de sa rencontre tendue avec Bolton à l’OIAC [Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, NdT] n’ont jamais été rapportés auparavant en anglais.

Au début de 2002, un an avant l’invasion de l’Irak, l’administration Bush exerçait une pression intense sur Bustani pour qu’il démissionne de son poste de directeur général de l’OIAC – en dépit du fait qu’il avait été réélu à l’unanimité à la tête de l’organe de 145 nations deux ans plus tôt. Sa transgression ? Négocier avec l’Irak de Saddam Hussein pour permettre aux inspecteurs en désarmement de l’OIAC d’effectuer des visites inopinées dans ce pays – sapant ainsi la raison d’être du changement de régime de Washington.

En 2001, le secrétaire d’État de l’époque, Colin Powell, avait écrit une lettre à Bustani, le remerciant pour son travail « très impressionnant ». En mars 2002, cependant, Bolton – alors sous-secrétaire d’État à la maîtrise des armements et aux affaires de sécurité internationale – est arrivé en personne au siège de l’OIAC à La Haye pour adresser un avertissement au chef de l’organisation. Et, selon Bustani, Bolton n’a pas mâché ses mots. « Cheney veut que vous partiez », Bustani rapportant les propos de Bolton, en référence au vice-président des États-Unis de l’époque. « Nous ne pouvons pas accepter votre style de management ».

« Nous savons où vivent vos enfants. Vous avez deux fils à New York. »

Bolton a poursuivi, selon les souvenirs de Bustani : « Vous avez 24 heures pour quitter l’organisation, et si vous ne vous conformez pas à cette décision de Washington, nous avons des moyens de riposter contre vous ».

Il y a eu une pause.

« Nous savons où vivent vos enfants. Vous avez deux fils à New York. »

Bustani m’a dit qu’il était décontenancé mais qu’il refusait de reculer. « Ma famille est consciente de la situation et nous sommes prêts à vivre avec les conséquences de ma décision », a-t-il répondu.

Après avoir entendu la description de la rencontre par Bustani, j’ai contacté son gendre, Stewart Wood, un politicien britannique et ancien conseiller du Premier ministre Gordon Brown. Wood m’a dit qu’il se souvient très bien que Bustani lui a parlé de la menace implicite de Bolton pour leur famille immédiatement après la réunion de La Haye. « C’est devenu instantanément un mème interne à la famille », se souvient Wood. Deux anciens collègues de l’OIAC de Bustani, Bob Rigg et Mikhail Berdennikov, ont également confirmé par courriel qu’ils se souviennent que leur chef de l’époque leur avait parlé de la remarque absolument pas subtile de Bolton au sujet de ses enfants.

Un autre ancien fonctionnaire de l’OIAC, alors assistant spécial du Directeur général pour les relations extérieures, Gordon Vachon, qui se trouvait dans la salle pour la réunion avec Bolton, a confirmé que le fonctionnaire de l’administration Bush avait implicitement menacé Bustani. Le chef de l’OIAC « pouvait partir discrètement, sans faire d’histoires et avec de la retenue de tous les côtés et sans “traîner votre nom dans la boue” », se souvient Vachon sur les propos de Bolton dans un courriel à The Intercept. « Je ne peux pas dire de mémoire que j’ai entendu M. Bolton mentionner les enfants de la DG Bustani, probablement parce que j’étais sous le choc de la menace à peine voilée de M. Bolton à la réputation de la DG Bustani. »

J’ai demandé à John Bolton et à la Maison-Blanche de répondre à ces allégations. Plutôt que d’émettre un déni pur et simple, la Maison-Blanche a répondu par l’intermédiaire d’un porte-parole de presse qui m’a renvoyé à une section de ses mémoires de 2008, Surrender is Not an Option : Defending America at the United Nations, qui traite de Bustani et de l’OIAC. Dans le livre, Bolton a dit que les États-Unis considéraient Bustani comme un « désastre de management » (sans mentionner les louanges de Powell), mais prétend lui avoir offert « une sortie arrangeante et digne » – si, c’est-à-dire, il partait tranquillement.

Appeler la rhétorique de Bolton anti-diplomatique est un euphémisme. Il a rendu visite à Bustani en sa qualité de haut fonctionnaire du département d’État américain, mais son comportement était plus agressif. Comment un diplomate de haut rang, représentant un gouvernement démocratique, peut-il justifier de menacer implicitement les enfants d’un fonctionnaire international pour gagner un combat politique ? Comment une telle personne est-elle maintenant apte à occuper le poste de conseiller à la sécurité nationale – le poste le plus élevé au sein du gouvernement américain qui n’exige pas une victoire électorale ou une confirmation par le Sénat ?

« Le problème avec cet homme, c’est qu’il est si idéologique, si brutal ; il n’ouvre pas la porte au dialogue », m’a dit l’ancien chef de l’OIAC au téléphone. « Je ne sais pas comment les gens peuvent travailler pour lui. »

L’histoire de Bolton sur l’intimidation, en fait, est bien documentée. Carl W. Ford Jr, l’ancien chef des services de renseignements du département d’État, a qualifié Bolton « d’agresseur en série » d’employés subalternes et « d’un type par excellence qui embrasse et qui donne des coups de pied en traître ». Témoignant devant le Sénat en 2005, Ford a discuté du cas de Christian Westermann, l’ancien analyste en chef des armes biologiques au Département d’État qui avait refusé de signer un discours accusant Cuba de posséder un programme secret d’armes biologiques et qui avait été « réprimandé » par Bolton, qui « a alors essayé de le faire virer ».

Melody Townsel, ex-entrepreneur de l’Agence des États-Unis pour le développement international, a déclaré avoir été harcelée par le colérique Bolton, alors qu’elle était avocate dans le secteur privé, lors d’une visite au Kirghizistan en 1994 : « M. Bolton m’a poursuivi dans les couloirs d’un hôtel russe – en me jetant des objets, en poussant des lettres de menaces sous ma porte et, d’une manière générale, en se comportant comme un fou », se souviendra-t-elle plus tard dans une lettre adressée à la Commission sénatoriale des relations étrangères.

Le gros problème, c’est que Bolton – le « fou », « l’agresseur en série », « l’intimidateur » – est aussi très efficace pour faire avancer les choses.

Selon le magazine Time, son ancien patron Colin Powell a averti en privé les sénateurs républicains en 2005, lors des audiences de confirmation de la nomination controversée de Bolton comme ambassadeur des États-Unis auprès des Nations Unies, « qu’il avait été troublé par la façon dont Bolton avait traité ses subordonnés qui n’étaient pas d’accord avec lui ».

Pourtant, le gros problème, c’est que Bolton – le « fou », « l’agresseur en série », « l’intimidateur » – est aussi très efficace pour faire avancer les choses. C’est peut-être ce qui le rend si dangereux. Prenons le cas de Bustani et de l’OIAC : Bolton a réussi à faire retirer le Brésilien de son poste. Quelques semaines seulement après la visite du responsable américain à La Haye, le chef de l’OIAC a été « chassé » lors d’une réunion extraordinaire des pays membres de l’organisation (et dans une décision, soit dit en passant, qu’un tribunal administratif de l’Organisation internationale du travail qualifierait plus tard « d’illégale »).

Bolton lui-même a fièrement rappelé dans ses mémoires comment Joe Biden, Démocrate-Delaware. a critiqué ses opinions tout en louant ses capacités au cours des audiences du Congrès de 2001 pour le confirmer en tant que sous-secrétaire d’État. « Mon problème avec toi, au fil des ans, c’est que tu es trop compétent », a remarqué Biden, selon Bolton. « Je préférerais que tu sois stupide et pas très efficace ».

Le moment est donc venu de paniquer ; le moment est venu de tirer la sonnette d’alarme. Les intimidateurs se sont unis. Le Bolton « idéologique » et « brutal » est sur le point de se voir offrir un bureau à quelques mètres du Bureau ovale. En tant que conseiller à la sécurité nationale, il sera le premier dans la salle et le dernier à sortir. « Trump est totalement ignorant du monde, enclin à prendre des décisions impulsives, et a tendance à s’en remettre à la voix la plus forte dans la salle, surtout lorsqu’elle transmet des informations avec des rodomontades pleines d’assurance », a observé Damon Linker dans The Week. « Cela donnerait à Bolton un pouvoir énorme pour façonner la politique – ce qui signifie le pouvoir d’amener les États-Unis à lancer de nouvelles grandes guerres ainsi qu’à étendre les nombreuses guerres que nous menons déjà à travers de larges pans du Moyen-Orient, de l’Afrique et de l’Asie du Sud. »

Faut-il s’étonner que Bustani – qui a tant fait pour prévenir la menace de conflit et la prolifération des armes chimiques avant d’être évincé par Bolton – pense que la nomination de ce dernier comme conseiller de Trump pour la sécurité nationale pourrait être synonyme de « désastre » pour le monde entier ?

Photo du haut : L’ancien ambassadeur des États-Unis auprès des Nations Unies John Bolton arrive à la Maison-Blanche le 10 octobre 2017, à Washington.

Source : The Intercept, Mehdi Hasan, 29-03-2018

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

 

via » “Nous savons où vivent vos enfants” : Comment John Bolton a menacé un fonctionnaire international. Par Mehdi Hasan

Print Friendly, PDF & Email

Laisser un commentaire