[Yemen]« C’est une mort lente » : la crise humanitaire la plus grave du monde

Source : The New York Times, Shuaib Almosawa, Ben Hubbard & Troy Griggs, 23-08-2017

23 août 2017

Sana, Yémen. Après deux ans et demi de guerre, peu de choses fonctionnent au Yémen.

Des bombardements répétés ont criblé les ponts, les hôpitaux et les usines. De nombreux médecins et fonctionnaires n’ont pas été payés depuis plus d’un an. La malnutrition et le faible niveau sanitaire ont rendu ce pays du Moyen-Orient vulnérable à des maladies que le reste du monde ne connaît plus que par les livres d’histoire.

En à peine trois mois, le choléra a tué près de 2 000 personnes et infecté plus d’un demi-million d’autres, l’une des catastrophes les plus importantes de ces 50 dernières années.

« C’est une mort lente », relate Yakoub al-Jayefi, un soldat yéménite qui n’a pas reçu de salaire depuis huit mois, et dont la fille âgée de six ans, Shaima, a été traitée pour malnutrition dans une clinique de Sanaa, la capitale du Yémen.

Depuis que les économies de la famille se sont épuisées, ils vivent principalement de lait et de yaourts donnés par les voisins. Mais ceci n’était pas suffisant pour maintenir sa fille en bonne santé, et sa peau est devenue pâle alors qu’elle maigrissait.

Comme plus de la moitié des Yéménites, la famille n’avait pas d’accès immédiat à un centre médical en état de fonctionnement, aussi M. Jayefi a emprunté de l’argent à des amis et à ses proches pour emmener sa fille à la capitale.

« Nous attendons juste l’Enfer ou un miracle du Ciel », dit-il.

Comment un pays dans une région de si grande richesse est-il tombé si bas et si rapidement dans la crise ?

Une nation coupée en deux

Le Yémen a longtemps été le pays arabe le plus pauvre, subissant localement de fréquents conflits armés. Les derniers troubles ont débuté en 2014, quand les Houthis, des rebelles vivant au Nord, se sont alliés avec une partie des militaires pour déferler sur la capitale, forçant le gouvernement reconnu au niveau international à s’exiler.

En mars 2015, l’Arabie saoudite et une coalition de pays arabes ont lancé une campagne militaire visant à repousser les Houthis et à restaurer le gouvernement.

L’opération a jusqu’à présent échoué, et le pays reste coupé en deux entre le territoire contrôlé par les Houthis à l’ouest et le territoire sous contrôle du gouvernement et de ses soutiens arabes au sud et à l’est.

Un État désintégré

De nombreuses attaques aériennes de la coalition ont tué ou blessé des civils, notamment les attaques mercredi autour de la capitale. Les bombardements ont aussi fortement endommagé les infrastructures du pays dont un port vital et des ponts importants, ainsi que des hôpitaux, des stations d’épuration et des usines privées.

Les services sur lesquels les Yéménites se reposaient ont disparu, et les dommages ont encore miné l’économie déjà faible du pays. Cela a également rendu plus difficile pour les organisations humanitaires de transporter et de distribuer de l’aide.

La coalition saoudienne a également entraîné la fermeture de l’aéroport international de Sanaa au trafic aérien civil depuis plus d’un an, empêchant les commerçants de faire venir des produits par la voie des airs, et les Yéménites malades et blessés ne peuvent être transportés à l’étranger pour traitement. Nombre d’entre eux n’ont pas survécu.

Ni l’une ni l’autre des deux administrations adverses du Yémen n’ont payé régulièrement de salaires à de nombreux fonctionnaires depuis un an, appauvrissant leur famille car il y a peu d’autres emplois possibles. Parmi ceux affectés, on trouve les professionnels dont le travail est essentiel pour gérer la crise, comme les médecins, les infirmières et les techniciens du système d’épuration, faisant craindre l’effondrement prochain de leurs secteurs.

Les ravages du choléra

Les dommages de la guerre ont fait du Yémen un terrain de prédilection pour le choléra, une infection bactérienne qui se propage par de l’eau contaminée par des excréments. Comme les déchets se sont accumulés et que les systèmes d’épuration sont tombés en panne, de plus en plus de Yéménites utilisent pour boire des puits couramment pollués. De fortes pluies depuis avril ont accéléré la contamination de ces puits.

Dans les pays développés, le choléra ne met pas la vie en jeu et peut être facilement traitée, avec des antibiotiques si besoin. Mais au Yémen, la malnutrition rampante a rendu la population, notamment les enfants, particulièrement vulnérables à la maladie.

« Avec la malnutrition subie par les enfants, s’ils ont des diarrhées, ils ne vont pas se rétablir », indique Meritxell Relano, le représentant au Yémen du Fond pour les enfants des Nations Unies.

Devant une clinique traitant le choléra à Sanaa, Mohammed Nasir attend des nouvelles de son fils âgé de 6 mois, Waleed, qui est atteint de la maladie. Travailleur agricole pauvre, M. Nasir a emprunté de l’argent pour emmener son fils à l’hôpital mais n’a plus assez d’argent pour retourner chez lui, même si son bébé guérit. « Ma situation est difficile », dit-il.

Cinq tentes ont été montées dans la cour du centre médical pour anticiper une augmentation soudaine du nombre des patients. Tous les jours, des familles viennent avec des proches atteints par la maladie. La plupart sont des personnes âgées ou des enfants portés sur le dos de leurs parents.

Si le nombre de malades continue à grimper, les chercheurs craignent que la situation ne rivalise avec la crise la plus grave jamais rencontrée, à Haïti, avec au moins 750 000 personnes infectées après le violent tremblement de terre de 2010.

Les organisations d’aide disent qu’elles ne peuvent pas remplacer les services que le gouvernement est censé fournir. Ce qui veut dire qu’il y a peu de chance de noter des améliorations significatives sans l’arrêt du conflit.

« Nous en sommes quasiment à la troisième année de guerre et rien ne s’améliore », indique M. Relano de l’Unicef. « Il y a des limites à ce que nous pouvons faire dans un tel état d’effondrement. »

Les Nations Unies ont mentionné la situation comme la plus grande crise humanitaire du monde, avec plus de 10 millions de personnes nécessitant une aide immédiate. Et la situation pourrait s’aggraver encore.

Peter Salama, le directeur exécutif du programme d’urgence de l’Organisation mondiale de la Santé prévient que, l’État étant défaillant, « la manifestation en est aujourd’hui le choléra mais [qu’]on pourrait connaître à l’avenir d’autres épidémies dont le Yémen serait l’épicentre ».

L’engagement international

Il ne semble pas qu’une fin du conflit soit en vue. Les négociations de paix proposées par les Nations Unies ont échoué, et aucune des parties n’a montré la moindre volonté de faire un pas. Les Houthis et leurs alliés contrôlent totalement la capitale et les leaders saoudiens ont affirmé qu’ils poursuivraient le combat jusqu’à la capitulation de l’autre bord.

Les Nations Unies annoncent que le Yémen a besoin de 2,3 milliards de dollars d’aide humanitaire pour cette année, mais que seulement 41% de cette somme ont été reçus. Les parties adverses sont parmi les plus importants donateurs, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis donnant d’importantes sommes. Mais les observateurs critiques notent que ces pays dépensent beaucoup plus en effort de guerre et que leur fermeture de l’aéroport de Sanaa a été dévastatrice pour les civils.

Les États-Unis sont également un important donateur, ainsi que le fournisseur principal d’armes aux membres de la coalition saoudienne. Bien que les USA ne soient pas directement impliqués dans le conflit, ils fournissent une aide militaire à la coalition saoudienne, et les Yéménites ont souvent trouvé les restes de munitions fabriquées aux USA dans les ruines laissées par les bombardements mortels.

Tout ceci n’augure rien de bon pour les civils

« La guerre nous hante de toutes parts » dit Saleh al-Khawlani, qui a fui sa maison dans le nord du Yémen, avec sa femme et ses six enfants, après que la coalition saoudienne a commencé ses bombardements. Puis ils ont fui à nouveau à Sanaa, après qu’une attaque a touché le camp où ils avaient trouvé refuge, tuant nombre de leurs proches.

Ils ont vécu dans la rue pendant un certain temps et ont du mendier la plupart de leur nourriture.

« La plupart du temps, nous n’avions qu’un repas, et parfois aucun », dit-il. « Si nous avons un déjeuner, nous n’avons pas de dîner. »

Sources : ministère yéménite de la Santé, Organisation mondiale de la Santé, Service de surveillance financière et l’American Enterprise Institute’s Critical Threats Project.

Additional work by Jasmine C. Lee

Shuaib Almosawa depuis Sanaa, Ben Hubbard depuis Beyrouth, au Liban, et Troy Griggs depuis New York

Recherche complémentaire par Jasmine C. Lee

Source : The New York Times, Shuaib Almosawa, Ben Hubbard & Troy Griggs, 23-08-2017

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