Samaritaine : la victoire de Bernard Arnault, la défaite du patrimoine et de l’architecture

Source : La Tribune de l’art, Didier Rykner, 03-03-2019

Depuis la décision plus que contestable du Conseil d’État permettant à LVMH et Bernard Arnault de détruire le dernier bâtiment du XIXe siècle (on le voit sur l’ill. 3) encore debout, pour construire un nouvel édifice de la Samaritaine, nous n’avions rien écrit à ce sujet.

On pourra lire les articles que nous avions publiés au sujet de cette affaire. L’un d’entre eux résumait notre position et celle des associations de protection du patrimoine, en expliquant pourquoi ce chantier n’aurait jamais dû démarrer. Ce que nous contestions d’ailleurs, ce n’était pas en soi le bâtiment projeté par SANAA, son architecte, mais d’une part la destruction d’un bâti ancien de qualité des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, au cœur même de Paris, et d’autre part la rupture que ce nouveau bâtiment allait instaurer dans le contexte architectural de la rue de Rivoli. Le PLU interdisait d’ailleurs cette rupture, et c’était cela que le tribunal administratif avait jugé avant que le Conseil d’État ne revienne sur cette décision.

Notre combat, nous le précisons pour ceux qui ne l’ont pas compris (certains de bonne foi, d’autres pour décrédibiliser nos positions) n’est pas contre l’architecture contemporaine. Celle-ci a de grandes réussites (le MUCEM, le Louvre Abu Dhabi, l’IRCAM, la passerelle Solférino…) et de grands échecs (parfois dus aux mêmes architectes, d’ailleurs). Il est contre l’insertion de force d’une architecture contemporaine non respectueuse de son contexte au sein d’un lieu historique, et contre les destructions qu’elle génère. Nous n’avions même pas repris à notre compte le jugement « rideau de douche » utilisé par SOS Paris pour qualifier la nouvelle « façade » (qui « abolissait la notion même de façade » comme le disait la communication de LVMH) construite par SANAA. Et nous avions eu raison, finalement, car ce n’est même pas un rideau de douche qui se révèle aujourd’hui, alors que le nouveau bâtiment est désormais visible. Ce n’est, en réalité, rien. Une vague ondulation de verre, d’une médiocrité indicible, qui défigure la rue de Rivoli et n’est même pas conforme à ce qui nous avait été promis.

Nous pouvons en effet désormais comparer cette partie de la rue de Rivoli telle qu’elle était (ill. 1 et 5), telle que LVMH nous le promettait (ill. 3 et 7), et tel que nous le voyons aujourd’hui (ill. 2 et 4). Ces immeubles des XVIIIe et XIXe siècles (ainsi qu’un autre, du XVIIe, qui n’était pas visible depuis la rue) ont donc été détruits pour faire place à ce qui ressemble à n’importe quel immeuble moderne de n’importe quelle ville de n’importe quel pays. Qu’on ne vienne pas nous opposer l’argument d’autorité sur SANAA, grands architectes. On peut être de grands architectes et faire n’importe quoi, nous en avons une preuve ici. Le Louvre Lens, construit par le même cabinet ne ressemble extérieurement déjà pas à grand chose, mais il ne gâche rien, donc sa médiocrité architecturale n’est pas très grave. Ici, on est au cœur de Paris, à deux pas du Louvre, et dans un quartier ancien.

Et qu’on ne vienne pas nous dire que cela n’a rien à voir avec la défense du patrimoine. Cela a tout à voir, bien au contraire. Car pour construire cela, il a fallu piétiner allègrement tous les règlements existants, parce qu’on ne refuse rien à Bernard Arnault. Si le bâtiment SANAA avait été une réussite, le scandale aurait été tout aussi évident. Un autre bâtiment Arnault est beau, incontestablement : la Fondation Louis Vuitton. S’il ne vient pas ruiner un paysage ou un environnement historique, il reste que, là encore, il a pu exister uniquement parce qu’il s’agissait du patron de LVMH, qui a pu construire cet édifice grâce à un cavalier législatif au parlement (voir par exemple cet article du Moniteur). Nous ne dirons jamais que le bâtiment de Franck Gehry est moche, car il est beau. Qu’on nous laisse en revanche dire que celui de SANAA est une verrue plantée au cœur de Paris, car ce n’est malheureusement rien d’autre. Mais il est vrai qu’on a le droit de critiquer les films ou les livres, mais pas l’architecture ou l’art contemporains…

Nul doute que dans les prochaines semaines et les prochains mois certains journaux feront entendre leurs cris d’admiration. Qu’on se rappelle alors notre article « La Samaritaine : une question architecturale ou de liberté de la presse ? ». Nous sommes fiers, quoi qu’il en soit, de ne jamais avoir eu ou sollicité de publicité de la part du groupe Arnault. Et si nous en avions eu, nos articles auraient été exactement les mêmes.

Didier Rykner

via » Samaritaine : la victoire de Bernard Arnault, la défaite du patrimoine et de l’architecture. Par Didier Rykner

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